Les universités doivent résister au ressac pour opérer de véritables changements sociaux
Remplacer l’EDI par l’« appartenance » est contraire aux objectifs très clairs des programmes d’équité, de diversité et d’inclusion

Ces vingt dernières années, la nécessité d’éradiquer les iniquités structurelles (soit les injustices systémiques, les préjugés et les inégalités qui ont imprégné les établissements d’enseignement supérieur) a impulsé l’adoption de politiques d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) dans bien des universités et collèges. Ces politiques visent à promouvoir la justice, l’équité et l’inclusion en évitant la distribution injuste et inéquitable des ressources socio-économiques. La diversité des embauches, l’élargissement des champs de recherche et le remaniement des programmes d’études dans une optique d’équité et d’inclusion sont autant d’initiatives répandues. Or, tout ce travail en faveur de l’EDI est maintenant de plus en plus compromis en Amérique du Nord, sous les assauts des politiques de droite qui le dépeigne comme une illusion libérale dommageable.
Sous l’effet des pressions sociales, des entreprises comme Target, Amazon, Ford et Walmart ont restreint leurs initiatives d’EDI alors que certains établissements d’enseignement supérieur cherchent à transformer l’EDI en employant différents dérivés des termes « accessibilité, communauté et appartenance ». Même si l’« appartenance » est intrinsèquement politique, le milieu de l’enseignement supérieur en a fait un concept universel et apolitique de célébration, en phase avec les normes et la vision politique dominantes. Les universités montrent peut-être des visages souriants dans des brochures promouvant l’« appartenance », mais elles peinent toujours à résoudre des problèmes concrets comme le manque de logements accessibles aux étudiantes et étudiants ayant un handicap et les microagressions envers les étudiantes et étudiants racisés. Cet intérêt pour l’appartenance relègue au second plan les iniquités systémiques et empêche d’opérer de véritables changements sociaux.
L’EDI, ou la DEI, pour employer un terme plus courant aux États-Unis, devrait se passer d’explications. Pourtant, en cette ère de post-vérité, il importe de s’attarder à sa légitimité et sa nécessité. Découlant de la loi américaine de 1964 sur les droits civiques, les politiques de DEI visent à combattre la discrimination en matière d’embauche, de salaire et de promotions ainsi que les pratiques d’emploi fondées sur la race, la couleur de peau, la religion, le sexe et la nationalité. Mises en place efficacement, les politiques de DEI ou d’EDI corrigent les iniquités structurelles en matière de distribution des ressources, créant des milieux de travail et des établissements plus justes. À l’instar des entreprises, les établissements d’enseignement supérieur ont pris conscience des disparités et entrepris de réduire les écarts entre les salaires et les genres et d’améliorer la représentation au sein du corps professoral et de la direction.
Dernièrement, le président des États-Unis Donald Trump a rejeté à tort la responsabilité de la gestion des feux de forêt de Los Angeles et de l’écrasement d’avion dans le Potomac sur les politiques de DEI, et ordonné la suppression d’emplois en lien avec la DEI dans les organismes fédéraux. Si elle n’a rien de nouveau, cette réaction s’est intensifiée sous sa présidence. Même si le Canada tente de se distancer sur le plan politique, on voit émerger une opposition semblable dans les rangs conservateurs. Le chef conservateur Pierre Poilievre s’oppose depuis longtemps aux initiatives d’équité, qualifiant l’EDI de « foutaise » et de projet « woke ». La première ministre de l’Alberta Danielle Smith et le Parti conservateur uni promeuvent l’embauche « fondée sur le mérite », cherchant à abolir la race comme facteur d’admission dans les établissements postsecondaires, à éliminer la DEI, et à révoquer le financement des établissements dotés d’un bureau de la DEI.
En outre, les initiatives d’EDI sont critiquées pour leur caractère performatif et leur manque d’objectifs clairs et concrets. Selon Garrett D. Hoffman et Tanian D. Mitchell, bien que l’EDI ébranle les normes linguistiques et améliore la représentation des communautés marginalisées, bien souvent, elle ne parvient pas à éliminer les obstacles systémiques dans l’enseignement supérieur. Les discours coloniaux et dominants sont rarement remis en question. Cela dit, malgré certaines failles et malgré la nécessité de conserver un regard critique, les principes d’EDI demeurent la clé de voûte d’un système d’enseignement supérieur plus juste et équitable.
Les écueils de l’appartenance
Sous les pressions des décisionnaires et des directions, différents établissements comme l’Université de l’Alberta s’attachent à supprimer les programmes d’EDI pour adopter une nouvelle mouture sous l’angle de l’« appartenance ». Malgré sa connotation réconfortante, il s’agit d’un terme vague et apolitique axé sur le bien-être individuel et sourd aux iniquités systémiques, qui fait retomber la responsabilité sur les épaules des personnes marginalisées, renforçant l’adoption de pratiques d’exclusion et la mentalité « nous contre eux » au lieu d’écarter les obstacles structurels ou de provoquer de véritables changements sociaux. La notion ambigüe d’appartenance complique les objectifs très clairs des programmes d’équité, de diversité et d’inclusion. Ce changement en apparence anodin camoufle les transformations requises pour combattre l’injustice sociale. Sans équité, l’appartenance ne suffit pas à résoudre les problématiques d’épanouissement au travail. Nombreuses sont les personnes à accorder de la valeur à un environnement juste et inclusif plutôt qu’une appartenance superficielle à des espaces discriminatoires qui minent constamment leur expertise et leur humanité.
En se détournant de l’EDI pour adopter le concept d’appartenance, les établissements risquent bien de renforcer un argumentaire et des processus au service du groupe dominant. Chez les groupes privés d’équité, l’appartenance nécessite bien souvent une assimilation à l’égard des idéologies, des façons d’être et des manières de vivre dominantes. Seule, la notion d’appartenance est contraire aux objectifs fondamentaux des initiatives d’EDI que sont l’équité et la justice.
La véritable équité est plus nécessaire que jamais
Dans un climat particulièrement polarisant, plus que jamais, la politisation est un pari risqué qui met à l’épreuve la volonté collective. Changer la terminologie de l’EDI n’a rien d’une action concrète : c’est plutôt une faible concession face aux pouvoirs en place. En adoptant le terme d’appartenance, dans l’idée que l’appartenance est une réalité individuelle et fixe, on neutralise et universalise le concept d’EDI en plus d’évacuer son essence politique tant à l’échelle institutionnelle que sociopolitique. Ce discours dépolitisé et universalisé évacue des iniquités profondément ancrées, renforçant le déséquilibre des pouvoirs et alourdissant encore plus le fardeau des personnes entravées par les obstacles systémiques.
D’aucuns voient peut-être l’EDI et l’appartenance comme d’inoffensives étiquettes, mais rien n’est plus faux : leur principe est fondamentalement différent. Là où l’appartenance demande aux personnes marginalisées de s’adapter, l’EDI vise à modifier les iniquités systémiques causant l’exclusion. Même si le terme n’est peut-être plus à la mode, mise à contribution adéquatement, l’EDI peut s’avérer un outil transformateur dans le renversement des systèmes racistes, homophobes et transphobes. Sans l’EDI, l’appartenance force des personnes marginalisées à l’assimilation, c’est-à-dire à se conformer à des normes hétéronormatives, patriarcales et coloniales.
La suprématie blanche gagne du terrain. On le voit avec l’AfD en Allemagne, les Proud Boys aux États-Unis, et la résurgence de l’extrême droite au Royaume-Uni. Ce n’est pas le moment pour les établissements d’abandonner discrètement leurs engagements d’EDI devant la mise en avant de normes sociales ou la menace de foudres politiques. Si les tenants de l’équité et de la justice sociale ont longtemps porté la responsabilité de ce travail, il est temps que la société exige à son tour l’adoption de principes d’EDI ancrés dans des principes et des pratiques de décolonisation. Individuellement et dans les établissements, il nous faut approfondir notre compréhension, combattre la mésinformation et affirmer la nécessité de l’EDI. Maintenant plus que jamais, il nous faut maintenir le cap : réfléchir, renforcer et réformer l’EDI, et non l’abandonner.
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