Moins de cases, plus de sens : le pari du CV descriptif

Le CV descriptif replace la personne chercheuse au cœur de l’évaluation scientifique.

12 septembre 2025
Illustration par : Vladimir Melnyk

Depuis plus de dix ans, des voix s’élèvent pour repenser les critères d’évaluation de l’excellence en recherche. D’où sont nées des initiatives comme la Déclaration de San Francisco en 2012 et, plus récemment, la Coalition européenne pour le changement de l’évaluation de la recherche. Leur objectif : corriger les effets pervers d’une évaluation fondée presque exclusivement sur des critères quantitatifs. 

Pourquoi ? Parce que ces critères mettent uniquement l’accent sur l’importance de publier dans des revues prestigieuses, qui ne représente qu’un seul type de contribution à la recherche au détriment du processus collaboratif de la recherche et des autres formes de retombées qui sont tout aussi importantes, sinon plus. Soyons honnêtes, de tels critères favorisent avant tout les personnes qui évoluent dans les institutions les mieux financées, les disciplines les plus reconnues et les trajectoires les plus linéaires. Cela a pour impact de renforcer les inégalités plutôt que de reconnaître la richesse de la diversité des contributions scientifiques.  

Quiconque a déjà rempli le CV commun canadien (CVC) s’est soumis à ces règles du jeu. Conçu pour centraliser les informations et expériences professionnels dans un système, le CVC imposait un format uniforme à toutes les personnes candidates, quel que soit leur domaine ou leur trajectoire. Ce gabarit numérique, utilisé pendant plus d’une décennie par les organismes de recherche fédéraux et provinciaux, incarnait une conception quantitative étroite de la recherche, où chaque expérience devait faire l’objet d’une case. 

Dans ce contexte, en 2023, les trois principaux organismes subventionnaires fédéraux ont annoncé qu’ils abandonneraient le CVC. Le Fonds de recherche du Québec (FRQ) a introduit son propre CV descriptif, désormais requis pour soumettre une demande de bourse ou de financement. Malgré une forme plus narrative, ce dernier reste structuré. Pour un total de 6 pages en français, trois grandes sections doivent être retrouvées: 1) parcours et compétences, 2) contributions et expériences importantes et 3) supervision et mentorat. Le but est notamment de mettre en lumière les compétences, l’expertise et les réalisations collaboratives liées au projet proposé, en misant sur la qualité plutôt que la quantité.  

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Comme doctorante en fin de parcours, puis chercheuse en transition vers le postdoctorat, je me suis prêtée à l’exercice de ce nouveau CV : raconter de façon factuelle explicative plutôt que lister. Pour une fois, je ne me suis pas sentie en train d’énumérer mes publications sans contexte, mais bien d’expliquer ce que j’avais réellement construit dans la communauté scientifique et la société. J’ai trouvé le processus beaucoup plus authentique, réfléchi, créatif et, donc, plaisant! 

Évidemment, il y a des défis. Écrire un texte autoréflexif prend plus de temps que remplir des cases. Cela demande une littératie narrative et une capacité à faire des choix — et n’est-ce pas justement une compétence centrale dans l’académia qui gagne à être prise en compte dans le processus d’évaluation de l’excellence d’une personne candidate? Aussi, autorésumer ses plus grands apports à la recherche nécessite de parler de soi et de sa valeur avec intégrité académique, avec des preuves concrètes. Au-delà des compétences techniques propres à la recherche, cela demande des compétences transversales; et n’est-ce pas justement une autre compétence centrale à valoriser dans l’académia? 

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Reste la question : est-ce que cela diminue la pression à la performance ? À mon sens, oui, parce que le CV descriptif n’annule pas l’exigence d’excellence dans le monde scientifique (qui est essentielle), mais il la redéfinit. Le CVC était source de stress, entre autres, parce qu’il donnait l’impression qu’il fallait accumuler toujours plus de lignes et répondre à toutes les cases. À l’inverse, le CV descriptif invite à donner un sens à son parcours et à expliquer quelles expériences comptent vraiment et pourquoi, en cohérence avec le projet de recherche proposé.  

Je félicite donc le FRQ, car en donnant une voix à la personne qui postule, on reconnaît que l’excellence ne se résume pas à un cumul de publications scientifiques et de métriques, mais se manifeste surtout dans la pertinence, la créativité, la collaboration et l’engagement dans la réalité du domaine de cette personne candidate. Cela peut certes déstabiliser au départ, mais c’est aussi profondément libérateur.  

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