Accessibilité des données sur les médicaments : la longue démarche d’un chercheur
Nav Persaud, médecin à Toronto, a lancé un signal d’alarme au sujet des comprimés de Diclectin contre la nausée matinale.
Tout a commencé en 2011, quand le Dr. Nav Persaud s’est heurté au scepticisme d’une patiente enceinte à qui il venait de prescrire du Diclectin pour soulager ses nausées matinales. Un peu inquiet, il décide de relire les lignes directrices de pratique clinique du Diclectin après le départ de la patiente et y relève des lacunes sur le plan de l’information. S’en sont suivies des années d’échanges avec les organismes de santé afin d’avoir accès aux données probantes et d’en favoriser la diffusion publique.
En janvier, la revue Médecin de famille canadien, qui avait publié les lignes directrices initiales préconisant le recours au Diclectin à titre de traitement de première intention contre les nausées et les vomissements pendant la grossesse, a indiqué ne plus appuyer ses conclusions antérieures au vu des nouvelles recherches (en anglais seulement) menées par le Dr. Persaud et ses collègues. Affaires universitaires s’est entretenu avec le Dr. Persaud au sujet de sa démarche.
Affaires universitaires : Parlez-moi d’abord de vos antécédents en tant que chercheur et médecin.
Nav Persaud : Je suis médecin de famille à l’hôpital St. Michael’s de Toronto et professeur adjoint au département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto. Je dispense donc des soins en médecine familiale à un groupe diversifié de patients tout en menant des travaux de recherche.
AU : Qu’est-ce qui vous a poussé à faire de la recherche sur le médicament Diclectin?
NP : La question d’une patiente qui se demandait s’il lui fallait vraiment prendre le Diclectin que je venais de lui prescrire. Je lui ai expliqué qu’il s’agissait du traitement de première intention recommandé dans les lignes directrices canadiennes de pratique clinique, mais je ne crois pas l’avoir convaincue. Après son départ, j’ai constaté que les lignes directrices ne citaient pas les données probantes habituellement attendues dans une recommandation touchant un médicament. J’ai donc tenté de retracer ces données, mais bon nombre de renseignements importants manquaient. Nous étions en 2011, je crois. Il a fallu beaucoup de temps pour que je puisse enfin obtenir les renseignements.
AU : Comment avez-vous eu accès à ces renseignements?
NP : J’ai présenté des demandes de renseignements à la Food and Drug Administration des États-Unis, à l’Agence européenne des médicaments et à Santé Canada, de même qu’à la société pharmaceutique ayant commandité l’étude. J’ai attendu, relancé ponctuellement. Apparemment, une partie des renseignements que je demandais n’était pas encore rédigée.
AU : Qu’avez-vous fait, une fois les renseignements obtenus?
NP : Je les ai examinés attentivement avec des collègues. Nous sommes en train d’analyser toutes les données disponibles et tentons de les rendre accessibles au public, notamment aux cliniciens et aux femmes enceintes qui souhaitent prendre une décision éclairée à l’égard du médicament. De l’avis général, il devrait toujours en être ainsi. Vous savez, les études sur les médicaments visent à améliorer les soins. Les personnes qui prennent des décisions au sujet des soins devraient donc avoir accès à tous les renseignements pertinents.
AU : Avez-vous découvert que le médicament était dangereux ou simplement qu’il n’était pas efficace?
NP : Mes conclusions diffèrent des renseignements publiés en matière d’efficacité du médicament. Celui-ci est réputé être un médicament efficace, voire le plus efficace, selon l’interprétation qu’on fait des lignes directrices. Or ce n’est pas ce que révèle mon analyse.
AU : Santé Canada dit s’en tenir à son examen de l’innocuité et de l’efficacité du médicament, tandis que la revue Médecin de famille canadien, dans laquelle avaient été publiées les lignes directrices préconisant le recours au Diclectin, s’est rétractée. Entrevoyez-vous des changements ou des répercussions à cet égard?
NP : La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada est désormais le seul organisme canadien à préconiser le recours au Diclectin. Il se pourrait que cette recommandation soit modifiée un jour. Selon moi, tous les diffuseurs de lignes directrices de pratique clinique procèdent à un examen minutieux de la documentation scientifique. À l’heure actuelle, on prescrit encore souvent ce médicament. Il est très difficile de passer outre une recommandation. En définitive, je souhaite qu’on s’appuie davantage sur les données probantes pour orienter les pratiques cliniques. Le Diclectin n’est peut-être pas le seul exemple de médicament couramment prescrit en dépit de données non concluantes.
AU : Vous avez analysé les essais cliniques qui ont été menés dans les années 1970. Or certains de vos collègues médecins estiment que des études sérieuses appuyant le recours au Diclectin ont été menées depuis. Qu’en pensez-vous?
NP : Il s’agit d’un objet d’étude permanent. Mes collègues et moi avons entrepris de réexaminer la plus récente étude à ce sujet qui a été publiée en 2010 et qui a donné lieu à une approbation du médicament par la FDA des États-Unis. J’aimerais pouvoir parler des données tirées de l’étude, mais celle-ci est assujettie à une entente de confidentialité avec Santé Canada. Espérons que l’information relèvera un jour du domaine public. Ce serait le meilleur moyen de faire toute la lumière sur l’interprétation la plus judicieuse des résultats de l’étude.
AU : Quels ont été les obstacles à surmonter et les facteurs de motivation dans le cadre de vos travaux?
NP : C’est la crainte de prendre une mauvaise décision clinique qui a motivé notre démarche. Nous avons dû composer avec de nombreux obstacles, mais principalement avec l’attente. Il est très difficile de mener des travaux de recherche quand il faut attendre des années avant d’obtenir des renseignements. Puis, il y a la rédaction de l’information, les ententes de confidentialité qui doivent être examinées par des avocats et les restrictions concernant la diffusion de l’information. Tous ces aspects minent la capacité à analyser les données et à publier les résultats. Nous nous efforçons encore de surmonter certains de ces obstacles.
AU : Vous êtes intervenu sur la scène publique tout en composant avec vos responsabilités en tant que chercheur et médecin. Qu’avez-vous tiré de cette expérience?
NP : Il est rassurant de constater que la population s’intéresse à la question. Selon moi, cet intérêt a permis d’ancrer les travaux de recherche. Les chercheurs sont en quelque sorte habitués à surmonter les embûches, mais les membres du public à qui j’ai parlé sont stupéfaits. Ils ignoraient qu’il était si difficile d’accéder à ce genre de renseignements qui devraient être à la portée de tous. Je crois que l’intérêt du public contribue à faire avancer le dossier.
Cet entretien a été révisé et condensé pour plus de clarté.
Postes vedettes
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
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