Le milieu universitaire peut faire mieux en matière de développement durable (DD), croient des chercheurs et chercheuses réuni.e.s à l’occasion d’un colloque organisé dans le cadre du 90e Congrès de l’Acfas, qui s’est tenu en mai à Montréal. Le DD et ses composantes environnementales, sociales et de gouvernance, qui constituent un des piliers stratégiques dans plusieurs universités québécoises et canadiennes en 2023, ont été l’objet de maintes critiques.
L’un des principaux reproches formulés a trait à la timidité des actions mises en place pour tenir compte des objectifs sociaux du DD. « On parle encore trop peu des injustices sociales, lesquelles sont pourtant indissociables de la crise climatique, constate Lovasoa Ramboarisata, professeure au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Les discours et pratiques sont majoritairement axés sur l’environnement et l’écoresponsabilité. »
Selon la professeure, la transition socioécologique demeurera inachevée dans les universités tant et aussi longtemps que celles-ci ferment les yeux sur « d’autres savoirs », comme ceux autochtones. Malgré l’abondance de cours de DD dans les écoles de gestion, « on ne va pas trop loin dans la remise en question » de certains dogmes, « comme le capitalisme ». Les formations y demeurent « très technicistes », estime celle qui est justement rattachée à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.
Important, mais…
Les attentes de la clientèle étudiante sont, il faut le dire, assez élevées. Les jeunes adultes accordent de plus en plus d’importance à l’environnement, observe Chantal Royer, professeure au Département d’études en loisir, culture, tourisme à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Depuis 2022, la chercheuse a interrogé plus d’une centaine de Québécois.es âgé.e.s de 16 à 30 ans sur leurs valeurs, dont celles liées à l’environnement.
« Ce qui était une valeur latente il y a encore une décennie est devenue périphérique de nos jours », analyse celle qui en est à la quatrième vague d’entretiens de cette étude longitudinale. Attention : il serait cependant abusif de mettre l’ensemble des jeunes dans le même panier. « Les jeunes ne constituent pas un bloc monolithique. Une minorité est détachée et désengagée, voire carrément insensible et indifférente », insiste-t-elle. Les « minimalement sensibles » sont aussi bien représenté.e.s.
Franck Scherrer, directeur académique et instigateur de l’initiative Chemins de transition, peut en témoigner. Pour imaginer les futurs possibles vers la transition socioécologique, le professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage à l’Université de Montréal et son équipe ont fait appel à plus de 1 000 intervenant.e.s, dont plusieurs jeunes. Malheureusement, « il faut composer avec une baisse de l’engagement étudiant [sur les campus], surtout depuis la pandémie de COVID-19 ».
Qu’est-ce qui cloche? Plusieurs choses, pense Mme Royer, à commencer par la complexité des enjeux climatiques et environnementaux. « Les jeunes disent manquer de connaissances, se sentir dépassé.e.s ou ne pas avoir le temps de réfléchir à ça. Aussi, certaines vaches sacrées demeurent, comme les voyages », rapporte-t-elle. Selon elle, les universités doivent prêcher par l’exemple pour espérer faire changer le statu quo.
S’attaquer aux silos
Le défi a beau être de taille, HEC Montréal est prêt à le relever. L’établissement a fait de la formation de leaders responsables qui contribuent à la transition durable de la société le cheval de bataille de son nouveau Plan d’action en développement durable, responsabilité sociale et éthique – 2022-2025 dévoilé plus tôt cette année. Cela signifie que chaque étudiant.e devra, à la fin de son parcours universitaire, avoir fait siennes les connaissances et aptitudes en DD.
Ces savoirs seront systématiquement évalués dès la prochaine rentrée, à l’automne, de manière à brosser un portrait fidèle de la situation. « Près de deux de nos ancien.ne.s étudiant.e.s sur trois composent avec des objectifs de DD une fois rendu.e.s sur le marché du travail », rappelle Jean-Michel Champagne, responsable du développement durable à HEC Montréal, qui se défend bien d’imposer une quelconque volonté aux quelque 13 500 membres de la communauté étudiante.
Une des stratégies employées sera de mettre à profit le pouvoir d’influence de certains des 1 025 cours offerts par l’établissement. Le but : intégrer des thématiques écoresponsables dans le contenu de ceux suivis par une masse critique d’étudiant.e.s, de manière à maximiser l’impact. Cet exemple de cible facile ne peut toutefois se concrétiser sans briser les silos institutionnels. « Sans une vision croisée entre le corps professoral, l’administration et le personnel de soutien, on n’y arrivera pas », admet-il.
Encore faut-il qu’il y ait place à l’innovation. « Comme nos programmes sont agréés par le Bureau canadien d’agrément des programmes de génie, nous ne pouvons trop déroger d’une certaine ligne directrice qui contribue à créer des silos disciplinaires », explique Annie Levasseur, professeure au Département de génie de la construction de l’École de technologie supérieure de Montréal et membre du comité stratégique de DD de cet établissement.