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L’enseignement à distance est « là pour rester », selon l’experte Diane Leduc

Comment les universités s’adaptent-elles à la pédagogie numérique à l’ère de la COVID-19 : l’exemple du département de didactique de l’UQAM.

par MAUD CUCCHI | 25 MAI 20

La fermeture soudaine des campus forcée par la pandémie actuelle a obligé les universités à se tourner vers l’enseignement à distance. Professeure dans ce domaine depuis 10 ans, Diane Leduc confirme un engouement récent pour sa discipline considérée comme une aide immédiate à l’abandon des cours en présentiel. La professeure de didactique à l’UQAM et directrice du programme court de 3e cycle en pédagogie universitaire et numérique (PCPUN) a vu le nombre d’inscriptions pour le cours de juin décupler. Regards sur l’enseignement à distance, une pratique en vogue aujourd’hui, pourtant pas si nouvelle.

Affaires universitaires : Quand le gouvernement a ordonné le confinement, à la mi-mars, il restait cinq semaines à la session d’hiver. Comment s’est passée la transition en ligne du secteur de l’enseignement supérieur ?

Diane Leduc : Quand on a commencé à savoir que tous les cours allaient se poursuivre à distance, notre équipe a mis en place une communauté de pratiques au sein de notre faculté, afin de s’échanger nos meilleures idées. On organise une rencontre par semaine sur une thématique particulière, d’une heure ou d’une heure et demie, en groupe de 20. On y aborde l’évaluation à distance, par exemple, ou les travaux en ligne. Il faut dire qu’au début du confinement, les professeurs étaient un peu en panique. Ces rencontres leur permettaient aussi de ventiler leur stress. Puis l’UQAM a offert gratuitement notre cours sur les possibilités pédagogiques du numérique à tous les professeurs, chargés de cours, employés et à certains étudiants à la maîtrise et au doctorat. On offre également du soutien aux professeurs par l’intermédiaire de nos étudiants. Trois diplômés du PCPUN ont été embauchés sous contrat afin d’aider les professeurs qui le souhaitent à mettre leurs cours à distance. Les professeurs commencent à connaître ces étudiants-là, ils constatent ainsi l’utilité d’avoir quelqu’un qui les aide, ce qui peut déboucher sur d’autres contrats avec nos étudiants.

Diane Leduc. Photo par Rolline Laporte.

AU : Les professeurs étaient-ils outillés pour s’adapter rapidement à la pédagogie numérique ?

DL : Certains professeurs étaient très prêts, d’autres moins et certains pas du tout. Cette crise les amène à renouveler leur pratique dans l’urgence, ce qui signifie qu’on change pour être réactif et non proactif; des décisions se prennent rapidement et pas toujours selon les bonnes pratiques appuyées par la recherche. Cette idée de devoir se renouveler dans l’urgence, c’est difficilement conciliable avec le fait que se former en enseignement, transformer son cours, ça prend du temps. Beaucoup de professeurs se retrouvent devant le fait accompli. Certains ont de la difficulté avec la technologie. Or soudainement, il faut qu’ils se mettent à penser leur cours différemment. Je crois toutefois qu’une bonne partie des universités ont tout pour faire la transition, beaucoup plus que les écoles secondaires : on a les outils, les formations, les infrastructures, les connaissances des apprentissages en ligne. Il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas faire cette transition-là.

AU : Comment les universités peuvent-elles se réinventer afin que les étudiants aient la meilleure formation possible dans le contexte actuel ?

DL : On parle de vrais défis. Il faut d’abord former les enseignants à la pédagogie numérique sans pour autant les y obliger, car ça enlèverait leur autonomie, leur désir de se développer. À l’université, beaucoup de professeurs sont formés comme chercheurs. Il faut les amener à considérer la pédagogie comme un élément clef de leur parcours professoral. Encore aujourd’hui, un professeur d’université est embauché sur la base de son doctorat. Qu’il ait enseigné auparavant ou suivi une formation pédagogique, c’est un atout, mais ça reste secondaire.

Le deuxième défi, c’est d’accompagner et de soutenir les étudiants, car ce sont eux qui sont au coeur de cette transition. Il faut penser moins à celui qui enseigne et plus à celui qui apprend. Dans le contexte actuel, les étudiants doivent être en autonomie, autodisciplinés, et patients. Je pense que ça peut provoquer un changement de l’enseignement profond à moyen terme, après la course que nous vivons actuellement.

Le dernier défi, c’est de poursuivre le développement des infrastructures. Les universités doivent investir du temps et de l’argent pour améliorer les serveurs et les outils technologiques. En enseignement à distance, le professeur n’est plus seul : il a besoin de techniciens, de monteurs pour ses capsules vidéos, d’éditeurs, entre autres.

AU : La qualité de l’enseignement à distance inquiète les étudiants, selon un sondage commandé par l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU). Certains reprochent aussi de payer des frais dispendieux pour un enseignement qui n’aurait pas la même valeur en ligne; comment analysez-vous ces critiques ?

DL : Je crois que les étudiants n’ont pas à s’inquiéter, les professeurs sont dévoués, ils vont y arriver. Ils vont offrir des cours au moins équivalents, sinon dans bien des cas de meilleure qualité. La situation les force à faire des changements qu’ils n’auraient pas faits sinon. La distance peut aussi amener beaucoup de créativité, de richesse, des suivis d’élèves plus élaborés. Un cours à distance, ça n’est pas moins de travail qu’un cours en présentiel. Il faut sortir de la conception figée de la formation à distance : le professeur, derrière son écran, donnant son cours comme il le donnerait en classe. Si on reproduit ce qu’on faisait en présentiel, on passe à côté de la plus-value du cours à distance. Or les étudiants pourraient avoir de belles surprises. À distance, c’est une présence différente de celle à laquelle on est habitués.

Je pense aussi que la distance est là pour rester. Ce serait très étonnant que dans un an, les cours à distance soient écartés alors que les professeurs ont travaillé dur pour les concevoir et s’adapter. J’envisage plutôt un retour des cours hybride, avec une séance de temps en temps donnée en ligne. La situation que nous vivons va amener professeurs et élèves à créer un autre rapport à la distance. Il n’y a pas de raison d’opposer distance et présentiel. Ces deux approches peuvent se côtoyer et s’enrichir pour le bénéfice des étudiants et la qualité de l’enseignement.

COMMENTAIRES
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  1. Michel Carrier / 28 mai 2020 à 14:46

    Quel article désolant et inquiétant. La fétichisation de la technologie se poursuit aveuglement, faisant fi de tout ce qui échappe au quantifiable. Qu,en est-il de la présence incarnée et humaine de la pédagogie ? L’ironie tragique est que tout cela est fait par souci des étudiants.

    Il est d,autant plus dérangeant que l’idéologie de la technophilie contemporaine ne soit aucunement remise en question dans cet article