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Timothée Poisot : cartographier les risques de pandémie

Au moment où les autorités de santé du pays annoncent des mesures de déconfinement et songent à une deuxième vague potentielle de COVID-19, un chercheur de Montréal tente de déterminer où et quand pourrait émerger la prochaine pandémie.

par DAMIEN GRAPTON | 04 JUIN 20

Timothée Poisot est professeur agrégé au département de sciences biologiques de l’Université de Montréal et chercheur au Centre de sciences de la biodiversité du Québec. Il mène une étude internationale sur les calculs des risques d’une prochaine pandémie. Entrevue.

Affaires universitaires : Votre laboratoire travaille principalement sur la biodiversité. Comment êtes-vous passé de l’étude des interactions entre les espèces à l’étude de futures pandémies?

Timothée Poisot : Le préalable à une pandémie est souvent le passage d’un virus à travers plusieurs espèces animales avant d’arriver à l’humain. Dans ce projet, nous essayons de cartographier les zones à risque. Cela implique de réaliser une cartographie des espèces qui sont connues pour être des réservoirs ou des hôtes de ces virus. C’est exactement le mandat de ma discipline: comprendre la répartition des espèces.

L’idée n’est pas de prédire la date et le lieu de la prochaine émergence. Si on arrivait à le faire, ce serait excellent, mais c’est extrêmement difficile. Par contre, ce qu’on peut faire, c’est de cartographier les zones à risque.

Timothée Poisot.

AU : Quelle est la particularité du modèle que vous utilisez pour cartographier les risques d’émergence de nouveaux virus capables d’infecter l’humain?

TP : Avant l’étape de cartographie, il faut se poser la question de ce qu’on va mettre sur cette carte. C’est une étape de prédiction des espèces susceptibles d’abriter des virus qui pourraient passer à l’homme. Pour cela, on va faire appel à l’apprentissage automatique et à l’intelligence artificielle pour recommander des espèces auxquelles on devrait s’intéresser. Il y a souvent des incertitudes sur les espèces qu’on doit représenter pour la prévision du risque. Nous avons donc utilisé des modèles prédictifs pour faire des listes d’espèces à inclure dans nos cartes.

AU : Comment avez-vous réorienté les recherches de votre laboratoire pour travailler sur ces nouveaux modèles de prédiction?

TP : Ce sont des outils qu’on avait déjà et qu’on a pu adapter rapidement pour répondre aux nouvelles questions de recherche soulevées par la pandémie. Mon laboratoire travaille notamment sur la prédiction des interactions proie-prédateur et hôte-parasite. On avait développé une grande famille d’outils prédictifs et en discutant avec les différents collègues impliqués dans ce projet, on s’est rendu compte qu’il y avait un potentiel pour les adapter rapidement.

En tant que directeur d’un groupe de recherche, ce qui était intéressant, c’est que j’ai pu demander à des étudiants diplômés de réorienter leurs recherches assez rapidement. Par exemple, ils sont passés de l’analyse de la distribution des oiseaux à celle des mammifères ou des chauves-souris.

AU : Comment est-il possible d’appliquer cet outil de cartographie pour prévenir l’émergence d’un nouveau virus?

TP : En tant qu’écologiste, je n’en ai aucune idée. C’est l’objectif du consortium Verena, dont je fais partie. Il regroupe des représentants scientifiques de l’ensemble des disciplines. Il y a des épidémiologistes, des écologistes des maladies, pour orienter les recherches. Il y a des chercheurs en écologie et en science des données pour s’occuper de la modélisation et des virologistes qui vont vérifier que les résultats des prédictions ont du sens. Verena inclut aussi des spécialistes en élaboration de politiques et en droit international. On aimerait agir rapidement sur l’ensemble des étapes du processus pour que les prédictions qu’on va faire soient utiles. C’est une chose de faire de la science fondamentale et on peut générer des dizaines de milliers de figures et de résultats ou de cartes. Mais la question est : dans un temps qui est court, quels résultats vont être les plus utilisables par les acteurs en santé publique? Il y a un parallèle avec les sciences de la biodiversité, c’est le souci de faire de la science fondamentale de très haute qualité, mais qui soit applicable de manière immédiate.

AU : Vous êtes un défenseur des sciences et des données ouvertes. Comment cela peut-il aider à la prédiction des prochaines épidémies?

TP : Il y a deux aspects. D’abord, le fait d’avoir accès aux algorithmes et aux programmes informatiques est extrêmement important pour pouvoir les réutiliser et continuer de les améliorer. Ensuite, il y a l’accès aux données. Dans notre projet, il y a par exemple un volet qui vise à étudier comment le risque va évoluer en réponse aux différents scénarios de changements climatiques. Ce sont des données ouvertes qui vont nous permettre de répondre à cette question. Les cartes de distribution des espèces sont un autre exemple de données ouvertes. Si ces données n’existaient pas, ce projet serait infaisable. Il faudrait envoyer des étudiants un peu partout sur la planète pour faire des recensements de la diversité des mammifères, quelque chose de clairement impossible.

D’ailleurs, au-delà des prévisions de pandémie, il y a toute une série de projets prédictifs, qui sont réalisables uniquement parce qu’on a ces données ouvertes.

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