BIRD: comprendre les inondations à travers les voix des communautés côtières aux Philippines 

Doctorante à l’Université York et lauréate d’une Bourse internationale de recherche doctorale, Ria Jhoanna Ducusin explore les réponses communautaires aux inondations dans deux villes côtières philippines, en s’appuyant sur l’écologie politique féministe.

26 juin 2025
Ria Ducusin est lauréate d’une Bourse internationale de recherche doctorale. Photos courtoisie de : Ria Ducusin

Originaire des Philippines, Ria Jhoanna Ducusin est doctorante en géographie à l’Université York. Grâce à la Bourse internationale de recherche doctorale (BIRD) obtenue en 2023, elle a mené un terrain ethnographique de 14 mois dans deux municipalités côtières de la province de Cavite, soumises à une urbanisation rapide et à des inondations récurrentes. À la croisée de l’écologie politique féministe et de la géographie urbaine critique, sa recherche met en lumière les inégalités sociales face aux catastrophes climatiques, tout en valorisant les stratégies de résilience portées par les populations locales – en particulier les femmes. Dans cette entrevue, elle partage ses observations, les défis du terrain et sa volonté de créer des ponts entre les savoirs communautaires et les politiques publiques. 

Q : Vous avez récemment effectué des recherches sur le terrain aux Philippines. Pourriez-vous décrire la nature du travail sur le terrain que vous y avez effectué? 

  R : J’ai récemment terminé 14 mois de travaux ethnographiques sur le terrain à Bacoor et à Rosario, dans la province de Cavite, deux municipalités côtières des Philippines qui s’urbanisent et s’industrialisent rapidement et qui subissent de fréquentes inondations. Fondée sur l’écologie politique féministe et l’économie politique de l’urbanisation locale, ma recherche examine comment les conditions écologiques et la dynamique sociopolitique provoquent et façonnent les inondations dans ces villes. En même temps, j’explore comment des facteurs qui se recoupent, comme le sexe et la classe, contribuent aux disparités dans les risques liés aux inondations et au système alimentaire. 

J’ai effectué mon travail sur le terrain en deux phases, à quatre mois d’intervalle, en utilisant à la fois l’observation des participantes et participants, des entrevues approfondies avec des résidentes et résidents, des entrevues menées par des informatrices et informateurs clés du gouvernement local et d’enquêtes réalisées auprès des ménages. Mon objectif était de comprendre comment les gens vivent les inondations récurrentes et y réagissent, en particulier comment ils s’y retrouvent dans les politiques de l’État, gèrent les contraintes en matière de ressources et s’appuient sur des structures de gouvernance informelles. Je m’intéressais particulièrement à la façon dont les résidentes et résidents élaborent leurs propres stratégies d’adaptation, en s’appuyant souvent sur des réseaux informels, et à la façon dont ces interventions locales interagissent avec les efforts plus généraux d’expansion urbaine et d’atténuation des inondations. 

En plus d’examiner les pratiques de survie quotidiennes, ma recherche examine de façon critique comment l’expansion urbaine et les interventions dirigées par l’État peuvent renforcer les inégalités socioéconomiques existantes. Dans le cadre de ce travail, je souligne la nécessité d’intégrer les perspectives locales dans les discussions sur les politiques afin d’assurer des réponses plus justes et inclusives aux inondations et au développement urbain dans les villes côtières en évolution rapide. 

Q : Quel a été un moment fort de votre expérience sur le terrain? 

  R : L’un des moments les plus significatifs de mon travail sur le terrain a été de voir comment les gens créent leurs propres stratégies d’intervention en cas d’inondation en l’absence d’un soutien gouvernemental fiable. Dans un quartier vulnérable aux inondations, j’ai rencontré un groupe de femmes qui avaient développé un système d’alerte précoce entièrement informel basé uniquement sur les observations des gens du quartier, le bouche à oreille, des messages sur les médias sociaux et des messages Facebook. De même, dans un autre barangay (petit district territorial et administratif), des personnes qui conduisent des tricycles et des vélo-taxis ont fait de la surveillance des crues en temps réel. Elles ont fait le point sur la montée du niveau de l’eau et l’état des routes dans le cadre de discussions de groupe. Leurs déplacements constants dans la région en ont fait de précieuses sources d’information, surtout pour les personnes qui devaient évacuer leur habitation rapidement. Sans directives ou ressources officielles, ces personnes dépendaient les unes des autres pour suivre les niveaux d’eau, partager les mises à jour, protéger leurs effets personnels essentiels et aider les familles à se réinstaller dans un endroit plus sûr. Ce qui m’a frappée, c’est que ce système était fondé sur la confiance, le savoir local et l’aide mutuelle plutôt que sur une intervention structurée. Il n’y avait pas de protocoles établis, de technologies ou de financement externe. Il s’agissait simplement d’un effort collectif pour se protéger les uns les autres en temps de crise. Le fait de voir cela de mes propres yeux a transformé ma façon de comprendre l’adaptation, non seulement comme des solutions techniques, mais comme des processus sociaux et politiques profonds façonnés par des expériences vécues. 

Q : Quels aspects de votre expérience vous ont le plus surpris, et quels ont été les plus grands défis auxquels vous avez fait face? 

  R : L’un des aspects les plus surprenants de ma recherche a été de voir à quel point les inondations sont devenues la norme. Bon nombre de résidentes et de résidents ne voyaient plus cela comme une crise, mais comme un élément inévitable de la vie. Les familles ont instinctivement surélevé leurs meubles, construit des barrières de fortune et même créé des voies navigables informelles pour rediriger les eaux de crue. Ces pratiques ont été improvisées, transmises par l’expérience et adaptées à chaque inondation. Ce qui est encore plus frappant, c’est que les lacunes de la gouvernance ont souvent aggravé les vulnérabilités. Certains projets de lutte contre les inondations ont déplacé l’eau dans des zones non protégées, tandis que les systèmes de drainage étaient souvent défaillants en raison d’un entretien inadéquat. Dans bien des cas, les fonctionnaires ont minimisé le problème ou ont transféré la responsabilité à la population locale, en particulier les personnes qui vivent dans des établissements informels, pour l’élimination inappropriée des déchets, plutôt que de s’attaquer aux facteurs politiques et économiques plus vastes qui ont contribué à ces risques. 

Naviguer dans les méandres politiques et gagner la confiance de la communauté étaient parmi mes plus grands défis. Bon nombre de résidentes et de résidents étaient sceptiques en raison d’expériences passées où des chercheuses et chercheurs avaient recueilli de l’information sans prendre de mesures concrètes. Pour bâtir la confiance, il a fallu du temps et une écoute active. Il a fallu s’assurer que les voix locales contribuaient à des discussions plus vastes sur les inondations. 

Q : Quelles sont les prochaines étapes, et comment comptez-vous tirer parti de cette expérience de travail sur le terrain? 

R : En m’appuyant sur mon travail sur le terrain, mes prochaines étapes immédiates consistent à rédiger ma dissertation, dans laquelle j’analyserai et contextualiserai mes conclusions dans le cadre de discussions plus vastes sur l’écologie politique féministe, les catastrophes critiques et la géographie urbaine. En même temps, j’ai l’intention de rédiger des publications universitaires et de faire des présentations à des conférences pour faire part de mes recherches à des universitaires qui travaillent sur des questions semblables. La mobilisation du milieu universitaire aidera à affiner mon analyse, à susciter de nouvelles conversations et à contribuer à des discussions plus vastes sur les inondations, la gouvernance et l’urbanisation dans les villes côtières. 

Au-delà de la diffusion de ma recherche auprès des universitaires, j’ai l’intention de travailler avec des organisations locales, des groupes de défense des droits et des réseaux de réduction des risques de catastrophe pour renforcer les solutions communautaires. De nombreuses personnes avec lesquelles j’ai travaillé ont élaboré des stratégies d’adaptation informelles, mais très efficaces, qui sont souvent négligées dans la planification officielle. J’espère créer des espaces où leurs points de vue seront reconnus et partagés plus largement. Mon objectif est de m’assurer que leurs connaissances éclairent les discussions stratégiques de façon significative et aident à combler l’écart entre l’expérience vécue et les processus décisionnels.