Les villes deviennent des laboratoires vivants en matière d’évolution des espèces
Des chercheurs ont observé chez les animaux urbains non seulement des adaptations comportementales, mais aussi des mutations génétiques par rapport à leurs congénères des campagnes.
Si on sait depuis longtemps que la vie urbaine peut avoir de profonds effets sur les gens, les chercheurs commencent à peine à cerner ses conséquences sur les créatures sauvages. Leurs travaux ont donné naissance à une nouvelle discipline scientifique, la « dynamique éco-
évolutionniste », déjà porteuse d’enseignements fascinants, parmi lesquels le fait que la vie en ville provoque chez les animaux sauvages non seulement des adaptations comportementales, mais aussi des mutations génétiques, plus rapides que Darwin aurait pu l’imaginer.
« L’idée voulant que l’évolution soit si lente qu’elle n’est perceptible qu’à très long terme a été complètement balayée », précise Colin Garroway, écologiste évolutionniste et professeur adjoint au Département de sciences biologiques de l’Université du Manitoba. « On peut littéralement voir l’évolution se dérouler sous nos yeux, d’une génération à l’autre. »
Cette possibilité d’assister à l’évolution en action a fait des milieux urbains un formidable laboratoire pour les chercheurs. Marc Johnson, professeur agrégé de biologie à l’Université de Toronto à Mississauga, et Jason Munshi-South, professeur agrégé de biologie à l’Université de Fordham à New York, ont récemment épluché 192 études scientifiques qui semblent témoigner des changements des processus évolutifs imputables au milieu urbain. Ils ont publié le fruit de leurs travaux en 2017, dans la revue Science, citant divers exemples dont celui de ces roselins familiers de Tucson, en Arizona, qui développent des becs plus gros et solides pour se nourrir plus facilement à même les mangeoires à oiseaux.
Les deux chercheurs évoquent aussi ces lézards anolis à crête de Puerto Rico qui développent des pattes plus longues et des doigts plus épais pour escalader les immeubles aux surfaces lisses, ces poissons de l’Est des États-Unis qui ont acquis une telle résistance aux polluants qu’ils survivent dans des eaux dont la concentration en toxines atteint mille fois le taux létal, ou encore ce nouveau type de moustique vivant dans le métro, qui se nourrit exclusivement à même les humains et les rats et dont les gênes ainsi que leur façon de se reproduire diffèrent de ceux des moustiques qui vivent à la surface. Selon M. Johnson, « il est clair que l’incidence des villes sur l’évolution des organismes qui y vivent est bien plus importante qu’on le
croyait ».
Les villes influent sur la vie animale d’innombrables manières : par le bruit, la chaleur et la fragmentation de l’habitat qui y règnent, par la nourriture qui y est accessible, par les maladies qui y sévissent, et par d’autres facteurs que les chercheurs peinent à cerner pleinement. « L’influence humaine sur l’évolution est plus grande qu’on aurait pu le croire », affirme Sarah Otto, éminente biologiste théoricienne et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en évolution théorique et expérimentale à l’Université de la Colombie-Britannique.
Mme Otto cite à titre d’exemple ces hirondelles à front blanc du Nebraska qui vivent le long des routes et qui, victimes d’une mortalité croissante liée aux voitures, développent des ailes plus courtes qui leur procurent une agilité accrue en vol. « On n’aurait jamais cru que les voitures pourraient à ce point influer sur la mortalité des oiseaux », souligne Mme Otto.
M. Garroway, de l’Université du Manitoba, s’intéresse pour sa part aux écureuils des villes et à leur régime alimentaire. Si, dans les bois, ces petits mammifères se nourrissent avant tout de graines, il en va tout autrement en ville, où la malbouffe abonde. « On trouve sur Reddit des dizaines et des dizaines de photos d’écureuils en train de gruger une pizza », souligne M. Garroway, qui s’est par ailleurs aperçu que les écureuils qu’il étudiait pesaient bien plus lourd qu’il ne l’aurait cru. « Nous tentons maintenant de déterminer s’ils sont simplement grassouillets, ou en mauvaise santé. Les premières données plaident dans le second sens, les analyses de sang pratiquées sur eux ayant révélé une glycémie élevée.
Ces constatations rejoignent celles d’Albrecht Schulte-Hostedde, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écologie évolutionniste appliquée à l’Université Laurentienne. M. Schulte-Hostedde a en effet découvert que les ratons laveurs des villes présentent des taux de glycémie semblables à ceux des diabétiques, dont les conséquences précises sur leur santé restent toutefois à déterminer.
Ce que l’on sait, c’est que les animaux intelligents ont tendance à prospérer dans les milieux créés par l’Homme. Certaines données semblent aussi indiquer que la vie en ville renforce l’intelligence de certaines espèces. Professeure agrégée d’écologie ainsi que de sciences évolutives et comportementales à l’Université du Minnesota, Emilie C. Snell-Rood a découvert que les souris à pattes blanches et les campagnols des champs qui vivent en milieu urbain possèdent une capacité cérébrale supérieure à celle de leurs congénères ruraux. Mme Snell-Rood croit que ce peut être dû aux sollicitations cérébrales qu’entraîne la nécessité de s’adapter à de nouvelles sources de nourriture ainsi qu’à des menaces et environnements nouveaux.
Professeure de psychologie à l’Université York, Suzanne MacDonald croit qu’un phénomène similaire touche les ratons laveurs. Les expériences de Mme MacDonald axées sur la résolution de problèmes semblent indiquer que la complexité de l’adaptation à l’habitat urbain engendre peu à peu un raton laveur plus intelligent et ingénieux que ses congénères ruraux.
On savait déjà que les corbeaux étaient intelligents, mais la vie en ville semble amplifier leurs capacités cérébrales. Ainsi, au Japon, des corbeaux urbains ont appris à casser des noix en les laissant tomber aux intersections devant les voitures en mouvement. Ils attendent ensuite que le feu change pour les récupérer. Les corbeaux des villes utilisent aussi des frites pour appâter les poissons, et imitent le miaulement des chats pour inciter les résidents à disposer des bols de croquettes à l’extérieur.
L’intelligence des oiseaux des villes a été mise en lumière par les biologistes de l’Université McGill, Jean-Nicolas Audet, Simon Ducatez et Louis Lefebvre, grâce à des tests visant à évaluer les capacités de résolution de problèmes de bouvreuils pivoine capturés en zones rurales et urbaines, à la Barbade. Confrontés à une boîte en plastique semi-transparente, les oiseaux avaient la possibilité d’accéder à la nourriture qu’elle contenait en ouvrant le couvercle de celle-ci ou en tirant sur un petit tiroir. Les oiseaux des villes ont été les premiers à trouver la solution, dans les deux cas. L’article signé en 2015 par MM. Audet, Ducatez et Lefebvre dans Behavioural Ecology a été le premier à faire état de nettes différences cognitives entre oiseaux urbains et ruraux.
D’autres facteurs liés à la vie urbaine influent sur les oiseaux. Ainsi, les faucons pèlerins des villes sont devenus plus nocturnes que leurs congénères ruraux, exploitant l’éclairage artificiel pour chasser les oiseaux de nuit et les chauves-souris, et plusieurs espèces d’oiseaux chanteurs vivant en milieu urbain ont développé un chant plus aigu pour éviter qu’il se noie dans le tintamarre des villes.
L’urbanisation croissante devrait continuer à entraîner des mutations génétiques et l’apparition d’espèces. C’est pourquoi M. Johnson, de l’Université de Toronto, estime vital que nous parvenions à mieux comprendre comment l’urbanisation peut causer des mutations et à déterminer si elles peuvent nuire à la santé humaine. « C’est la question la plus importante à laquelle l’étude de l’évolution liée à la vie urbaine doit répondre », assure-t-il.
Mme Otto, de l’Université de la Colombie-Britannique, s’inquiète pour sa part de l’impact dramatique de l’Homme sur la nature. « Nous orientons l’évolution dans une toute nouvelle direction, et la diversité se perd. L’évolution est un des processus les plus merveilleux qui soient. La perspective de la voir dérailler me terrifie. »
Comme M. Johnson, Mme Otto pense qu’il nous faut absolument mieux cerner notre impact sur l’environnement et sur les créatures qui nous entourent. « Nous devons veiller à ce que les changements que nous induisons ne provoquent pas la disparition des créatures qui nous sont chères et bénéfiques, sans quoi l’avenir pourrait nous réserver de bien mauvaises surprises. »
Postes vedettes
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
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