Peu d’universités canadiennes cessent d’investir dans les combustibles fossiles

Alors que plus de la moitié des universités publiques au Royaume-Uni ont annoncé un désinvestissement complet ou partiel, seuls 10 établissements canadiens ont fait de même.

08 décembre 2021
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Après huit ans de pressions étudiantes, l’Université de Toronto a annoncé cet automne qu’elle cesserait d’investir dans les combustibles fossiles. Cette décision rappelle des choix similaires faits par d’autres établissements postsecondaires, notamment l’Université Harvard, en septembre, et l’Université de Waterloo, en juin. Au Canada, on répertorie 10 universités qui ont opté au cours des cinq dernières années pour un désinvestissement complet ou partiel.

« La gravité de la crise climatique exige de grandes mesures, à la fois concrètes et symboliques », a affirmé Meric Gertler, recteur de l’Université de Toronto, en annonçant la nouvelle. À peine quelques mois plus tôt, il écartait pourtant cette option, soutenant que « le désinvestissement est une solution simpliste à un problème extrêmement complexe ».

Il n’est pas le seul à se raviser : de plus en plus d’organisations font volte-face. Quelque 1 500 gestionnaires de placements œuvrant sur la scène mondiale et gérant collectivement 39,2 billions de dollars se sont engagés à se détourner des combustibles fossiles, dont la Caisse de dépôt et placement du Québec qui est le deuxième gestionnaire de fonds de pension en importance au Canada. Durant la dernière Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26) à Glasgow, des institutions financières gérant près de 130 billions de dollars en capital privé ont soutenu viser la décarbonisation.

« Un mauvais investissement »

L’objectif du désinvestissement, en particulier pour un établissement de renom comme l’Université de Toronto, est de « poser un geste public audacieux », explique Evelyn Austin, membre de la coalition universitaire Divestment and Beyond, regroupant étudiants, professeurs et employés de l’université torontoise, et du groupe d’activistes étudiants Leap UofT. « Le but premier n’est pas d’éviter un mauvais investissement », ajoute-t-elle.

Comme la presque totalité des établissements postsecondaires, l’Université n’avait investi qu’une fraction du quatre milliards de dollars que représentent ses fonds de dotation dans les exploitations fossiles. En effet, ces entreprises rapportent peu depuis 10 ans, selon l’Institut d’analyse financière et économique de l’énergie, situé en Ohio. Un récent rapport mandaté par la Ville de New York indique d’ailleurs que le désinvestissement ne nuit pas au rendement économique; dans certains cas, il l’améliore même.

C’est autour de 2010 qu’est né aux États-Unis le mouvement étudiant réclamant le désinvestissement des énergies fossiles. Deux ans plus tard, le Collège Unity, au Maine, était le premier à montrer l’exemple. Oxford, Cambridge et plus de la moitié des universités publiques au Royaume-Uni ont depuis suivi, accompagnées d’importants établissements scolaires aux États-Unis, dont les universités de Californie, du Michigan et Harvard.

Des milliers d’étudiants désireux de défendre la cause se sont joints au mouvement et ont acquis par la même occasion des connaissances pratiques en mobilisation citoyenne ainsi que sur le monde politique et financier. « Les étudiants me disent souvent que c’est une des expériences les plus enrichissantes de leur passage à l’université », confie Bill McKibben, porte-parole pour le désinvestissement, cofondateur de l’organisation environnementale 350.org et auteur à succès. Et beaucoup de ces étudiants ne s’arrêtent pas là. Varshini Prakash, organisateur de la campagne de désinvestissement de l’Université du Massachusetts, a ensuite cofondé le mouvement Sunrise, qui a contribué à l’élection du président américain Joe Biden. Chloe Maxmin, fondatrice de la campagne de Harvard, est quant à elle aujourd’hui sénatrice du Maine.

Fossé entre les étudiants et les administrateurs

Les sondages sont clairs : les changements climatiques préoccupent de plus en plus les Canadiens, particulièrement les jeunes. Selon Mme Austin, si les universités sont réticentes à se joindre au mouvement, c’est que les principaux décideurs entretiennent des liens avec les entreprises de combustibles fossiles et des secteurs minier, banquier et financier, entre autres. Il faut dire que les cinq grandes banques du Canada sont d’importants bailleurs de fonds de l’industrie des combustibles fossiles, la Banque Royale du Canada en étant le cinquième plus grand bailleur de fonds dans le monde. (Mme Austin est actuellement gestionnaire de projet pour l’organisation de jeunesse Banking on a Better Future).

Inutile de creuser loin pour constater l’existence de ces liens, directs ou indirects : le président du conseil d’administration de l’Université McMaster par exemple, Bradley Merkel, a été cadre supérieur à la Pétrolière impériale et à ExxonMobil, et vit toujours à Houston.

« Les étudiants, les professeurs et toutes les organisations de l’Université McMaster appuient le désinvestissement, mais rien ne bouge, se désespère Adeola Egbeyemi, étudiante de quatrième année en arts et sciences et membre de l’organisation étudiante MacDivest. Les étudiants ont honte de cette inaction. » Le recteur de cette université, David Farrar, soutient la cause, mais le dialogue avec les administrateurs stagne. Ces derniers se sont réunis le lendemain de l’annonce de l’Université de Toronto, mais ont décidé de ne pas l’imiter.

La lutte contre le « pétronationalisme »

Les puissants intervenants du secteur qui comprend des multinationales, des entreprises minières et de combustibles fossiles, des services d’électricité, des fabricants de machinerie lourde et autres « ont tout intérêt à freiner les progrès environnementaux », fait remarquer Jessica Green, politologue à l’Université de Toronto. En coulisses, ils cherchent à protéger la valeur de leurs actifs.

Faisant jouer son influence politique et ses liens avec les universités canadiennes, l’industrie des combustibles fossiles a fait naître une sorte de « pétronationalisme » qui fait passer ses propres intérêts pour ceux du pays, explique James Rowe, professeur agrégé d’études environnementales à l’Université de Victoria.

Cette dernière, qui se dit pourtant leader mondial en développement durable, tarde aussi à délaisser ses investissements dans les combustibles fossiles. Depuis huit ans, un mouvement étudiant et professoral y milite à cette fin, et cette année, l’Université a placé une partie de ses investissements dans des fonds garantis qui excluent les placements dans des combustibles fossiles. Plus récemment, la Fondation de l’Université de Victoria, qui gère les fonds de dotation, s’est aussi engagée à « réduire l’intensité carbone de son portefeuille de 45 % d’ici 2030 ».

Les détracteurs du désinvestissement affirment que l’engagement des actionnaires des entreprises œuvrant dans les combustibles fossiles est une stratégie plus efficace; mais pour l’instant, elle n’a pas du tout porté fruit, estime M. Rowe. Selon une analyse récente de la période entre 2005 et 2018 réalisée par Mme Green et trois de ses collègues, les entreprises de combustibles fossiles n’ont pas investi plus de 0,1 % de leurs revenus dans l’énergie renouvelable.

« Les conséquences des changements climatiques se font de plus en plus sentir, se désole M. Rowe. Les données scientifiques sont sans équivoque : il faut cesser l’extraction de combustibles fossiles, point à la ligne. »

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