Universités de la francophonie canadienne : moteurs d’épanouissement des collectivités

Les universités canadiennes en milieu minoritaire francophone participent activement au développement de leurs communautés et à l’avancement des savoirs malgré plusieurs défis.

15 janvier 2025
Photo courtoisie de : l’Université Laurentienne

Au Canada, une douzaine d’établissements universitaires offrent des programmes en français dans des milieux majoritairement anglophones. Ces établissements relèvent au quotidien des défis de recrutement et de financement.  

Afin d’assurer leur pérennité à titre d’établissements postsecondaires en francophonie minoritaire, ils multiplient les initiatives. Affaires universitaires a sondé une dizaine d’acteurs et d’actrices du monde universitaire pour connaître les bons coups des universités de la francophonie canadienne. En voici cinq. 

  1. Répondre concrètement aux besoins de la communauté  

Les formations en éducation sont fondamentales selon la rectrice de l’Université de Saint-Boniface (USB), Sophie Bouffard. « Parce que l’éducation, c’est cette colonne vertébrale de nos communautés », affirme-t-elle. 

Pour soutenir la clientèle croissante de francophones et de francophiles, plusieurs établissements ont développé des programmes adaptés. Il y a 20 ans, par exemple, le ministère provincial de l’Éducation de la Colombie-Britannique a insufflé la création d’un bureau des affaires francophones à l’Université Simon Fraser pour offrir des formations en enseignement du français langue seconde, du français d’immersion et du français langue première. 

À l’USB, une formation d’auxiliaire en enseignement a vu le jour l’an dernier. « On a commencé très modestement avec le projet pilote, mais là, il y a beaucoup d’engouement », confie Sophie Bouffard, rectrice de l’établissement. Présentement, 48 personnes sont inscrites, dont 26 à temps partiel. « Un bon coup », dit-elle.  

  1. Préconiser les partenariats  

Pour pallier le manque de services en santé mentale ou en travail social, particulièrement dans les régions rurales, certaines universités misent sur les partenariats. Avec le soutien du Consortium national de formation en santé, l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse offre un programme de service social en partenariat avec l’Université Laurentienne, basée en Ontario.  

C’est aussi le cas pour le programme de common law en français. Seules deux universités offrent ce programme : Ottawa et Moncton. Pour quiconque venant d’ailleurs qui souhaite étudier le droit, doit déménager ou opter pour une formation en anglais plus proche de chez soi. D’ailleurs, en 2009, un rapport du ministère fédéral de la Justice soulignait les lacunes dans l’accès aux services juridiques en français.  

Ce rapport a donné naissance au programme de 30 crédits de l’Université d’Ottawa, qui se substituent aux cours au choix. 

Selon son architecte, la Franco-Albertaine et Fransaskoise Caroline Magnan, depuis sa première cohorte, 45 personnes diplômées sont venues enrichir les services. Au total, une centaine de personnes ont suivi des cours au certificat. Ces juristes proviennent en forte majorité des écoles d’immersion, fait valoir Mme Magnan. « Sept juristes de plus par année dans l’ouest, sept juristes de plus qui peuvent desservir la population francophone, c’est beaucoup », affirme-t-elle. 

  1. Former des leaders 

L’université est le lieu de formation de futurs leaders, font valoir les recteurs et rectrices. Mme Bouffard précise que la définition de leader doit demeurer englobante : ce sont toutes les personnes « qui œuvrent à la vitalité de la communauté », précise-t-elle. « On peut être des leaders, peu importe la discipline et le type d’emploi, je pense. » 

C’est l’une des raisons qui ont motivé le Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta à ajouter à sa gamme de programmes un doctorat. Celui-ci a franchi rapidement les étapes d’approbation, se réjouit le doyen Jason Carey. Le programme a démarré en septembre.  

Grâce à son caractère transdisciplinaire, le programme vise à briser les silos pour mieux répondre aux problèmes de l’heure, estime le doyen. « C’est vraiment en amenant les gens de toutes les disciplines ensemble pour vraiment examiner un problème d’une nouvelle façon qu’on pourra apporter des changements significatifs. » 

La réponse a été probante. L’établissement s’attendait à quatre inscriptions, au mieux. Mais le programme a également attiré des transferts d’autres facultés de l’Université de l’Alberta « parce que ces personnes voulaient faire leur programme en français ». Le programme compte donc neuf personnes inscrites, et les premiers grades pourraient être remis en juin. « J’ai bien hâte de dire : “voici les premiers doctorants en français de l’Alberta” », lance M. Carey.  

Retenir les cerveaux en Alberta est une idée qui séduit les instances dirigeantes. « Ça aide l’Alberta, ça aide la francophonie locale, nationale », commente notre interlocuteur. 

Il constate le besoin de leadership « pour influencer les gouvernements et revendiquer au nom des communautés minoritaires et rurales ». 

Sophie Bouffard partage cet avis. Récemment, un diplômé de l’USB lui a confié : « si l’Université de Saint-Boniface n’avait pas été là, la communauté ne serait pas aussi forte aujourd’hui. » 

  1. Participer à l’économie locale, au-delà des études 

Hearst le sait bien. La vie universitaire rayonne fort dans les communautés du Nord-Est ontarien où l’Université de Hearst (UdeH) est implantée.  

Aux yeux de sa rectrice, Aurélie Lacassagne, en poste depuis le printemps dernier, l’UdeH est bien plus qu’un établissement d’enseignement : c’est un véritable moteur économique pour les villes de Hearst et Kapuskasing. La population étudiante, notamment celle provenant de l’international, fait tourner l’économie locale, explique-t-elle. « Pas par leur pouvoir d’achat tant que ça, mais par leur force de travail ». Dans les magasins, les restaurants, au supermarché, dans les hôtels, la présence de la population étudiante est palpable.   

Elle nourrit l’espoir que ces jeunes s’établissent dans la collectivité une fois leur diplôme en poche. « Ça rend nos communautés plus vivantes, plus épanouies », observe-t-elle. 

D’ailleurs, le campus de Hearst a vu naître un club d’entrepreneuriat destiné à la population étudiante. Mme Lacassagne aspire à ce qu’il évolue en un véritable hub entrepreneurial : « pour moi ça correspond bien à l’ADN de l’Université. » 

  1. Faire avancer les savoirs 

Quelle place peut occuper la recherche lorsque la francophonie universitaire se bute à des défis de financement et de découvrabilité ? 

Le développement des savoirs scientifiques constitue un défi en milieu francophone. « Il y a des enjeux qui touchent la recherche en français, qui est vraiment une dynamique particulière et qui est aussi sous-financée et sous-reconnue d’une certaine façon », dit Mme Bouffard. 

L’UdeH a fait de la recherche appliquée sa marque de commerce. L’établissement compte trois centres d’intégration des acquis : un centre d’archives régionales, un centre d’évaluation et d’intervention psychosociale et un centre de développement économique et communautaire. Ce dernier a contribué à la mise en place sur le corridor de la route 11 (constituée de plusieurs municipalités et cantons bilingues majoritairement francophones de Hearst à Cochrane) de la nouvelle communauté francophone accueillante, axée sur l’immigration . Grâce à des cartographies environnementales, des consultations et à l’élaboration de plans stratégiques, « ce centre utilise exactement tous les instruments de la recherche scientifique, explique la rectrice Aurélie Lacassagne. Sauf que c’est extrêmement appliqué. » 

Néanmoins, la recherche en milieu minoritaire francophone a fortement progressé ces 20 dernières années, avec l’apparition de chaires, d’un océan à l’autre.  

« C’est pas mal extraordinaire de voir tout ce qu’on arrive à faire », estime pour sa part la rectrice de l’USB, qui admet du même souffle que l’administration se concentre davantage sur les programmes d’études. Elle n’est pas la seule haute dirigeante d’une université de langue française à y voir une priorité. 

Mme Lacassagne s’est donnée pour mission de développer ce pan à l’UdeH : « La base d’une université, ce n’est pas simplement de la transmission des savoirs, mais c’est aussi la création des savoirs », croit-elle avec conviction.  

Jason Carey espère que le nouveau programme de doctorat contribuera à positionner favorablement le Campus Saint-Jean en matière de recherche : « c’est une question de crédibilité dans le milieu », dit-il. 

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