Diversifier les admissions dans les écoles de médecine
Partout au pays, des universités modifient leurs processus d’admission pour attirer les étudiants issus de milieux défavorisés.
Gabby Schoettle, étudiante de première année à l’Université Western, avait huit ans quand sa mère est décédée d’un cancer du sein. Lorsqu’elle était adolescente, la santé de son père s’est détériorée et elle a commencé à en prendre soin et à préparer les repas pour son jeune frère. Son père est décédé au cours de la dernière année de ses études secondaires. Mme Schoettle et son frère ont dû travailler pour payer l’hypothèque. « Il nous a fallu apprendre beaucoup de choses sur le tas », dit-elle.
Mme Schoettle veut devenir médecin pour prévenir et soulager la souffrance, entre autres parce qu’elle a perdu ses parents beaucoup trop tôt. Pendant ses études de premier cycle, elle a travaillé en recherche dans un laboratoire de l’hôpital Victoria et a été serveuse dans un pub les soirs et les fins de semaine. Elle n’a pas eu le temps d’étudier beaucoup, et n’a pas pu se payer un cours préparatoire avant de passer le test d’admission au collège des médecins (MCAT).
Mme Schoettle a envoyé des demandes à toutes les écoles de médecine de l’Ontario, et seule l’école de médecine et de dentisterie Schulich de l’Université Western l’a admise. En 2018, l’année avant l’envoi de sa demande, l’école avait abaissé les exigences relatives au MCAT et ajouté une section autobiographique dans son processus de demande d’admission. L’établissement voulait ainsi permettre aux étudiants comme Mme Schoettle de faire valoir certains aspects de leur vie qui passent habituellement inaperçus dans un CV – comme son expérience d’aidante naturelle, sa résilience et sa maturité. En effet, Mme Schoettle avait accompli beaucoup de choses, et ce, sans le soutien familial dont bénéficient généralement les autres candidats.
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De nombreuses écoles de médecine canadiennes ont changé leur processus d’admission au cours des dernières années dans l’espoir d’attirer des étudiants comme Mme Schoettle. Il est largement reconnu que les étudiants en médecine viennent majoritairement de ménages aisés. Une étude menée en 2018 par l’Association des facultés de médecine du Canada (AFMC) a révélé que 63 pour cent des étudiants provenaient d’une famille gagnant plus de 100 000 dollars par année et que seulement sept pour cent avaient grandi dans une famille au revenu annuel inférieur à 40 000 dollars. Cette même année, l’AFMC a donc créé le Groupe de réflexion sur l’avenir des admissions au Canada (GRAAC) afin de conseiller les écoles de médecine sur la façon de structurer les admissions pour améliorer la diversité.
Les écoles de médecine ont pris des mesures pour accroître la diversité raciale et de genre ainsi que le nombre d’étudiants d’origine autochtone, mais elles « ont peut-être négligé, jusqu’à tout récemment, l’importance de la diversification sur le plan de la situation économique », précise Geneviève Moineau, présidente-directrice générale de l’AFMC. C’est d’ailleurs ce que démontrent de nombreuses analyses récentes, selon lesquelles les processus d’admission des écoles de médecine favorisent les personnes privilégiées qui peuvent se payer un tuteur, faire du bénévolat ou accepter des emplois peu rémunérés dans un domaine médical, ce qui met un CV en valeur.
L’importance de corriger cette inégalité ne fait aucun doute.
« Presque toutes les maladies que nous traitons en médecine sont très fortement liées à des déterminants sociaux, souligne Saleem Razack, président du réseau de l’AFMC sur l’Équité, la diversité et le genre et membre du GRAAC. Nous n’obtiendrons pas les résultats voulus si nous [les médecins] ne sommes pas représentatifs de la population. »
Tisha Joy, doyenne associée aux admissions à l’École de médecine de l’Université Western, ajoute que les étudiants issus de milieux atypiques bonifient la formation de leurs pairs. « Nous savons que, dans les milieux des affaires et de la technologie, plus une équipe est diversifiée, plus elle sera capable de trouver des solutions novatrices et de comprendre les besoins du client. Le même principe s’applique en médecine, explique-t-elle. Le parcours non scolaire peut s’avérer tout aussi important, et même parfois plus que les capacités scolaires. »
Changer le processus d’admission en abaissant les exigences du MCAT et en tenant compte du parcours des étudiants a permis à l’Université Western d’évaluer 280 candidats de plus. La nouvelle section autobiographique a été examinée par des médecins et divers membres de la collectivité, par exemple des citoyens des centres urbains et des régions rurales, des nouveaux arrivants, des parents monoparentaux et des retraités. Cette rubrique a permis aux candidats de décrire comment leurs expériences les avaient modelés, au lieu de se contenter de dresser une liste de leurs activités, comme du bénévolat dans un pays africain », explique Mme Joy.
Le Collège de médecine Max Rady de l’Université du Manitoba, qui adapte progressivement son processus d’admission depuis des années, est maintenant reconnu comme un chef de file en matière de diversité. Sur les 110 étudiants de la nouvelle cohorte de cette année, 15 sont Autochtones, 42 appartiennent à la première génération de leur famille à faire des études postsecondaires, 41 sont issus de ménages dont le revenu est inférieur à la médiane canadienne et 36 sont membres d’une minorité visible. Pour arriver à ces résultats, le Collège a utilisé un questionnaire détaillé, dans lequel l’étudiant doit entre autres indiquer s’il a déjà reçu des prestations d’aide sociale ou s’il est un réfugié. Chaque question est notée, et les notes sont prises en compte dans les décisions d’admission. « Nous n’envoyons pas d’enquêteur pour vérifier les réponses, mais nous précisons très clairement que tout étudiant qui ment sera passible de renvoi », explique le doyen du Collège, Brian Postl.
La diversité croissante « a changé la façon dont les étudiants considèrent la diversité et l’équité sociale », souligne Dr Postl. Tolérer les microagressions contre des groupes comme les Autochtones ou les minorités sexuelles « n’est plus acceptable, donc les gens dénoncent rapidement les situations », dit-il. Et la qualité persiste. « Au début, certains craignaient que ces changements nous empêchent d’avoir accès aux meilleurs, mais le bassin de candidats est si grand que les résultats des étudiants sont meilleurs que jamais. »
Les méthodes varient selon les écoles de médecine. Plutôt que de changer les critères d’admission pour tous, certaines créent un processus d’admission distinct. Le Collège de médecine de l’Université de la Saskatchewan a lancé en 2018 son programme d’admission pour la diversité et la responsabilité sociale appelé Diversity and Social Accountability Admissions Program (DSAAP). Celui-ci réserve six places aux étudiants à faible statut socioéconomique. Les candidats qui souhaitent soumettre une demande au programme doivent démontrer que leur revenu familial moyen des cinq dernières années est inférieur à 80 000 dollars. Ensuite, ils répondent à des questions sur l’éducation de leurs parents et indiquent s’ils ont déjà reçu de l’aide sociale, s’ils ont déjà été réfugiés, s’ils ont un handicap et s’ils ont fait leurs études secondaires dans un milieu rural. La note à ce questionnaire est prise en considération dans l’évaluation de leur candidature, explique Trustin Domes, directeur du programme des admissions à l’École de médecine.
Seuls les dossiers des candidats qui n’ont pas été retenus au terme du processus habituel sont examinés dans le cadre du DSAAP, ce qui permet de remplir la mission de ce
programme : favoriser l’accès des étudiants qui ne seraient pas admis autrement. Ensuite, les dossiers sont détruits. Les étudiants ne savent donc pas s’ils ont été admis dans le cadre du processus habituel ou du DSAAP. « Nous ne voulions pas que les étudiants aient le sentiment de devoir prouver leur valeur, explique Dr Domes, qui souligne que le programme spécial n’a pas pour but d’abaisser les exigences d’admission. Il a plutôt pour objectif d’égaliser les chances pour les étudiants désavantagés par des facteurs sur lesquels ils n’ont aucun pouvoir. »
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Lucas King et son frère aîné ont été principalement élevés par une mère monoparentale qui multipliait les gagne-pains pour subvenir à leurs besoins. Elle occupait un emploi saisonnier à l’aréna et au terrain de camping de la ville et aidait les enfants ayant des besoins spéciaux à l’école. À 19 ans, M. King est devenu père et a travaillé un an avant de décider de faire des études postsecondaires. Il est actuellement en deuxième année à l’école de médecine de l’Université de la Saskatchewan et vit avec sa conjointe et leur fils. Ils attendent un deuxième enfant. (Même s’il a présenté sa demande au programme DSAAP, il ignore par quelle voie il a été admis.)
Déjà, M. King dit voir l’écart de perspective par rapport à de nombreux autres étudiants. Lors d’un stage en clinique, ses camarades et lui ont rencontré une mère monoparentale sans famille au Canada. Son superviseur et les autres stagiaires ont recommandé à la femme d’inscrire son fils à des activités, comme le soccer, pour qu’il perde du poids. Toutefois, après lui avoir posé des questions sur sa situation, M. King a compris qu’elle n’avait probablement pas le temps ni les moyens de le faire. « J’ai eu l’impression que sa situation n’était pas prise en compte et ça m’a dérangé », affirme-t-il.
M. King aimerait devenir médecin de famille. « Nous avons du mal à retenir les médecins dans les régions rurales de la Saskatchewan. Ils signent un contrat pour quelques années, puis partent travailler ailleurs. J’ai vu les répercussions de ce roulement dans ma propre famille. »
Évidemment, pour que des étudiants qui viennent des collectivités rurales, éloignées et à faible revenu fassent une demande au DSAAP, ils doivent d’abord envisager des études en médecine. Comme l’explique Victor Do, président de la Fédération des étudiants et des étudiantes en médecine du Canada (FEMC) et étudiant de quatrième année à l’Université de l’Alberta, « nous devons identifier ces étudiants cinq ou dix ans à l’avance et nous assurer qu’ils comprennent que leur profil est intéressant pour la médecine ».
L’Université de Montréal (UdeM) tente de diffuser ce message par l’entremise de son programme Accès médecine. Chaque mois, des étudiants en médecine de l’Université visitent les écoles secondaires et les cégeps des collectivités mal desservies pour parler de leur expérience d’études et répondre aux questions. Les élèves du secondaire sont invités à participer à des ateliers où ils peuvent acquérir des compétences comme la lecture des signes vitaux. Les adolescents se rendent aussi dans des hôpitaux et des cliniques et rencontrent des professionnels de la santé. Le programme les aide à s’imaginer dans le rôle d’un médecin, explique Dr Jean-Michel Leduc, président du comité équité et diversité de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.
Sur le plan des admissions, depuis 2017, l’UdeM subventionne entièrement deux places pour des étudiants dont les besoins financiers ont été prouvés et vérifiés par la Direction des finances de l’Université. Ces étudiants suivent le même processus d’admission, mais les critères touchant les résultats scolaires sont légèrement assouplis. « Ce n’est qu’un petit pas dans la bonne direction, mais il faut commencer quelque
part », explique Dr Leduc. D’autres intervenants de l’Université craignaient une baisse de niveau. Toutefois, jusqu’ici, les notes des quatre étudiants retenus se comparent à celles de leurs pairs. Dr Leduc dit espérer que le nombre de places réservées augmente. « Un étudiant qui a une cote R de 36 fera-t-il un meilleur médecin qu’un autre dont la cote R est de 35,5? Je ne crois pas, dit-il. La communication, la collaboration, la résilience et l’empathie, qui sont des traits de caractère si importants en médecine, ne sont peut-être pas bien représentées dans les relevés de notes », ajoute-t-il.
L’Université de Calgary ouvre la voie à la médecine de manière plus formelle. Les résidents de l’Alberta qui viennent d’un milieu à faible statut socioéconomique et qui sont acceptés dans un programme de premier cycle peuvent présenter une demande au programme de bourses d’études Pathways to Medicine. Jusqu’à cinq étudiants sont acceptés chaque année. Ils reçoivent de l’aide financière, ainsi que du tutorat, du mentorat et du soutien psychologique.
« Nous voulions cibler les étudiants talentueux tôt dans leur parcours afin de leur fournir les outils nécessaires pour
réussir », affirme le Dr James Fewell, chef du programme. Le Dr Fewell et Barb Cowley, coordonnatrice du programme, prennent des nouvelles des étudiants chaque semaine, et parfois même chaque jour. « La transition de l’école secondaire à l’université est difficile, surtout pour les étudiants des régions rurales, alors nous les suivons de près, surtout la première année », explique le Dr Fewell. Tant que les étudiants du programme répondent aux exigences, qu’ils maintiennent entre autres une moyenne pondérée cumulative de 3,4, leur admission à l’école de médecine est garantie.
Mathieu Chin est en dernière année du programme Pathways to Medicine. Il entrera à l’école de médecine l’année prochaine. Premier de sa famille à poursuivre des études universitaires, il explique que l’aide financière du programme lui a permis de renoncer à des emplois d’été plus lucratifs pour travailler au salaire minimum comme adjoint à la recherche. Il décrit aussi le mentorat offert par le programme comme s’il s’agissait de l’aide qu’un parent au bagage universitaire pourrait offrir à son enfant. Par exemple, alors qu’il était déçu de sa note au MCAT – même si elle était suffisante pour son admission à l’école de médecine –, il affirme que la neurologue et professeure Lara Cooke, sa mentore à l’école de médecine, lui a dit de prendre une grande respiration, que tout irait bien et qu’il devrait être fier de lui.
Et il a en effet de quoi l’être : il a présenté ses travaux de recherche concernant les effets des politiques de mise en échec sur le taux de blessures au hockey dans le cadre de conférences prestigieuses, il aide bénévolement des personnes atteintes du cancer à faire leurs exercices de réadaptation et, en 2019, il a remporté l’un des dix Prix nationaux d’excellence 3M pour étudiants pour son leadership. « Une des choses que j’aime dans la médecine est l’aspect humain, échanger avec les gens, affirme M. Chin. Je pense que le fait d’avoir grandi sans luxe ni vacances palpitantes me permet d’établir un lien avec une plus grande variété de gens. »
Bien que ces efforts pour élargir les admissions soient encourageants, M. Do de la FEMC souligne qu’ils ne profitent qu’à une fraction des étudiants en médecine. En général, les processus d’admission « sont encore très archaïques, indique-t-il, et ils privilégient les étudiants qui ont fait le plus de bénévolat et qui ont remporté le plus de prix ». M. Do aimerait voir davantage d’écoles adopter les dissertations et questions à développement comme l’a fait l’Université Western, afin que les étudiants moins bien nantis puissent parler des difficultés qu’ils ont surmontées et des compétences qu’ils ont acquises en dehors des programmes officiels. Datant de 2016, l’exposé de position du FEMC propose d’autres mesures pour rehausser la diversité, comme la suppression des frais d’admission, le retrait de l’exigence relative au MCAT, la hausse de l’aide financière selon les besoins et l’appui aux regroupements étudiants axés sur la diversité.
Les méthodes visant à accroître la diversité en médecine existent déjà, explique M. Do. Le problème réside souvent dans « la résistance de ceux qui détiennent le pouvoir et des privilèges, qui nous reprochent “d’abaisser les exigences” ». Pour continuer d’accroître la diversité, soutient-il, les professeurs des écoles de médecine devront remettre en question le statu quo. « Les privilégiés devront un peu sortir de leur zone de confort. Pour le bien-être du milieu de la santé, cela doit être l’avenir de la médecine. »
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