J’ai été agressée sexuellement. J’ai fait appel à mon université pour obtenir de l’aide. Voici ce qui s’est passé
Après avoir lutté pendant des mois pour obtenir des accommodements, une étudiante nous raconte son histoire afin que les administrateurs, les professeurs et le personnel de première ligne des universités en tirent une leçon.
Je suis étudiante dans une université canadienne et, il y a un an, deux semaines après le début des cours, j’ai été violée. Mon histoire est bouleversante et malheureusement trop commune. Comme l’objectif de ce texte n’est pas de pointer qui que ce soit du doigt, mais plutôt de raconter ce que j’ai vécu lorsque j’ai demandé de l’aide auprès des instances de mon université, je préfère garder l’anonymat.
Lorsque je me suis réveillée ce matin d’automne, j’ai réalisé que ma vie était à jamais changée – que je ne serais plus la même personne. Mon premier instinct a été de me présenter au centre d’aide de mon université qui héberge notamment une équipe de counseling et une clinique médicale. J’étais très émotive et incapable de parler à voix haute. J’ai donc écrit sur mon téléphone : « J’ai été violée hier soir, j’aimerais avoir de l’aide » et je l’ai montré au réceptionniste. Quelques instants plus tard, une conseillère m’invitait à la suivre dans son bureau pour plus d’intimité. J’ai accepté avec grand soulagement. D’une oreille très attentive, elle m’a écoutée et m’a posé des questions sur mes sentiments et la soirée. Elle m’a rassurée en essayant d’amoindrir le plus possible mon sentiment de culpabilité. Cette conseillère a été d’une aide très précieuse à un moment crucial.
Elle m’a ensuite emmenée à la clinique médicale située sur le campus. Après peu d’attente, je me suis retrouvée dans la salle d’observation. Même accompagnée par la conseillère, j’étais mal à l’aise face à l’infirmière dont les mouvements étaient brusques et la voix forte. J’aurais souhaité que ses gestes et son ton soient plus doux. Après lui avoir expliqué ce qui s’était passé, elle m’a demandé avec un ton accusateur la quantité d’alcool que j’avais consommée. Je me suis sentie jugée et encore plus coupable. Son comportement me faisait douter de la pertinence de ma présence à la clinique et mon sentiment de culpabilité s’était amplifié.
Au terme de cette conversation, j’étais soulagée d’avoir à m’entretenir avec le médecin. Ne sentant aucun jugement de sa part, j’étais plus à l’aise de lui raconter mon histoire. Il m’a expliqué que la prochaine étape serait de subir la série d’examens requis dans la trousse médico-légale afin d’obtenir des preuves au cas où je planifiais porter plainte. Si ma décision n’était pas encore prise quant au dépôt d’une plainte, je considérais que ces examens étaient une bonne idée. Ne pouvant pas recueillir en clinique les éléments requis pour la trousse médico-légale, le médecin m’a donc demandé de déterminer le centre hospitalier où je préfèrerais aller. J’ai choisi celui de mon quartier.
Je me suis rendue à cet hôpital en taxi. Encore une fois, j’ai passé rapidement à la salle d’observation et le médecin écoutait attentivement les réponses aux questions qu’il me posait. À la fin de mon récit, il m’a expliqué qu’il n’était pas en mesure d’effectuer les prélèvements et les examens prévus à la trousse médico-légale étant donné que le seul endroit dans la région habilité à recueillir ces éléments de preuve est un autre hôpital. Je pouvais sentir son irritation envers le premier médecin, d’autant plus qu’il pratique dans une clinique qui reçoit plusieurs patientes dans la même situation que moi et que cette information serait connue dans la région. La journée avait déjà été extrêmement pénible, et je n’avais plus le goût de raconter mon histoire. Je ne voulais que rentrer à la maison et pleurer avant de passer à autre chose. La seule raison qui me poussait à continuer, c’était ma crainte par rapport à ma santé physique. Je suis allée à l’hôpital qui héberge le centre spécialisé et l’accueil du personnel a été phénoménal.
La semaine qui a suivi le viol ressemblait à des montagnes russes. J’étais incapable de rester dans mon quartier, en raison de la proximité de l’agresseur (mes doigts tremblent encore en écrivant le mot), ou de rester dans la même ville. Dès que je pouvais, je prenais mes jambes à mon cou. J’essayais d’oublier les derniers jours. Je ne voulais pas que cet événement me définisse et que l’agresseur ait une emprise sur ma vie. J’y travaillais fort. Toutefois, je devais revenir à la réalité : le semestre était maintenant commencé et j’avais déjà plusieurs travaux à remettre.
Avec mon emploi, mes rendez-vous avec des intervenants et mes inquiétudes par rapport à ma santé physique et mentale, j’étais incapable de me concentrer sur mes travaux universitaires et de respecter les échéances. Après avoir analysé les ressources disponibles aux étudiants (plan de cours, guide de l’Université contre la violence sexuelle, etc.), j’ai constaté que le processus pour obtenir des mesures d’accommodement pour les victimes n’était affiché nulle part.
Voulant trouver une solution à mon problème, j’ai pris mon courage à deux mains et me suis présentée au bureau de la directrice de ma faculté. J’ai demandé un rendez-vous pour une rencontre urgente de cinq minutes en mentionnant que je préférais parler à une femme. Malheureusement, la directrice ne pouvait m’accorder du temps que cinq jours plus tard. En revanche, le directeur adjoint était prêt à me rencontrer immédiatement. Les yeux pleins d’eau, j’ai songé à laisser tomber et à partir.
Un an auparavant, ce même directeur avait tenu des propos qui m’avaient blessée. Alors qu’il souhaitait la bienvenue à tous les étudiants de première année, il avait présenté une diapositive sur le thème de la violence sexuelle. Sur un ton badin, il en parlait comme étant une « exigence de l’Université », laissant entendre que ce sujet était de moindre importance puisque ses supérieurs lui imposaient d’aborder la question. Il avait enchaîné en disant que nous étions tous des adultes responsables et qu’il était évident que personne ne devrait commettre de gestes de cette nature et est rapidement passé au sujet suivant. À ce moment, je n’avais pas été victime de viol, néanmoins ses paroles et son ton m’avaient terriblement bouleversée. J’aurais plutôt voulu entendre un discours ayant pour but de mettre les victimes en confiance et de mentionner que le personnel, notamment la haute direction, était là pour les écouter, les protéger et les aider.
Pesant rapidement le pour et le contre, j’ai conclu qu’il serait préférable, pour ma réussite universitaire, de discuter avec le directeur adjoint. Une grande peur m’envahissait. Après avoir pris place dans la salle de réunion, j’ai pris une profonde inspiration et je lui ai dit que j’avais été victime de viol une semaine plus tôt et que j’étais là pour discuter des possibilités d’accommodement pour mes échéances universitaires. Pris
au dépourvu, sa première réaction a été de me demander si j’étais allée au poste de police. Une petite voix me disait : « Si je ne vais pas à la police, est-ce que ce que je vis est assez important pour demander des accommodements? Est-ce que je mérite de me faire aider? » En dépit de ce questionnement intérieur, j’ai calmement répondu que c’était d’ordre personnel et que j’aimerais que notre discussion porte sur des arrangements afin que je puisse réussir mes cours.
Malgré sa sympathie évidente, le directeur m’a expliqué que contrairement à une école secondaire, un directeur de programme universitaire ne peut imposer aux professeurs d’offrir des adaptations à leurs étudiants. Il m’a conseillé d’expliquer ma situation à tous mes enseignants et d’en venir à une entente avec ceux-ci quant aux délais de remise. Je lui ai répondu que je ne serais pas en mesure de répéter ce que je venais de lui confier et que j’aimerais qu’on trouve une autre solution. L’idée d’être à la merci des jugements de mes professeurs et de revivre plusieurs fois mes explications m’apeurait.
Plus tard le même jour, il m’a confirmé qu’il y avait une autre solution dont lui avait parlé la directrice du programme. Il m’a expliqué que je devais « fournir une preuve en obtenant une lettre d’un médecin confirmant un besoin d’accommodement ». La lettre devait énoncer les arrangements, sans nécessairement en expliquer la raison. Celle-ci serait ensuite envoyée à tous mes professeurs qui seraient dans l’obligation de suivre les exigences stipulées.
D’une part, j’étais soulagée de savoir que je n’étais pas obligée d’avoir une conversation avec tous mes professeurs. D’autre part, j’ai senti un stress et une frustration monter en moi, car j’allais devoir à nouveau prendre congé du travail pour me rendre à l’hôpital qui a fait l’analyse de la trousse. Je ne pensais pas avoir le temps de fournir ce document avant la date d’échéance de mon premier projet. D’instinct, j’ai expliqué la proposition de la haute direction à ma conseillère. Celle-ci m’a informée que selon les politiques de l’Université, cette même lettre pouvait également être écrite par une conseillère du centre d’aide et elle l’a rédigée sur-le-champ. Je suis passée chercher le document signé et l’ai soumis en main propre au directeur adjoint. En lui remettant, je l’ai avisé de la nuance dont m’avait fait part la conseillère.
Les semaines ont passé et la majorité de mes professeurs ont été compréhensifs sauf deux d’entre eux. Même si ma lettre d’adaptation indiquait une date limite ultérieure, elles ont exigé que je remette tous mes travaux à la dernière journée du semestre. Impuissante face à cette exigence puisque le directeur adjoint de la faculté leur avait donné raison, j’ai fait mon possible pour m’y plier. J’ai par la suite appris que cette façon de faire ne répondait pas aux critères formulés dans la politique de l’Université. Cette politique stipule que, dans cette situation, les travaux peuvent être remis quand la personne se sent capable de les terminer, et ce, indépendamment de la date inscrite dans la lettre d’accommodements.
Je m’inquiétais pour mon succès scolaire et mon stress était à son apogée. J’ai donc appelé à nouveau ma conseillère. Elle m’a mise en contact avec l’ombudsman à qui j’ai dû raconter à nouveau toutes les péripéties que j’avais vécues. Après avoir répondu à toutes ses questions, l’assistante de l’ombudsman m’a demandé si j’avais communiqué avec le bureau des droits de la personne de l’Université. J’avais effectivement laissé un message au mois d’octobre demandant de l’aide, mais on ne m’avait pas rappelée, et ce, alors que nous étions maintenant en décembre.
Bien que mon problème relevât du bureau des droits de la personne, c’est celui de l’ombudsman qui a fait un suivi. Quelques heures et des courriels plus tard, un membre de l’équipe du bureau des droits de la personne a communiqué avec moi pour me présenter ses excuses. Le silence du bureau s’expliquait par un changement de personnel et le suivi de mon dossier n’avait pas été fait.
Après de longues discussions, une note a été envoyée à toutes les facultés au sujet de la politique contre la violence sexuelle, plus particulièrement sur les accommodements pour les victimes. Une formation obligatoire pour tous a également été mise sur pied pour assurer l’application uniforme de cette politique. L’intervenante pour le bureau des droits de la personne m’a même offert de suivre cette formation et de formuler des recommandations au comité pour l’améliorer. J’ai accepté avec plaisir.
Après la fin des cours, j’ai pris rendez-vous avec la directrice de ma faculté. Je lui ai expliqué tout ce qui entourait mes accommodements scolaires. Une fois mon récit terminé, elle avait les larmes aux yeux. D’un professionnalisme exemplaire, elle s’est excusée au nom de la faculté et m’a offert de reprendre tous les travaux dont je n’étais pas satisfaite de la note obtenue. Au cours de ce coeur à coeur, elle s’est montrée très compatissante, souple et calme. Les trois choses dont j’avais le plus besoin.
Une fois tous mes travaux remis et le semestre bel et bien terminé, j’ai eu la chance de me ressourcer auprès de ma famille et de consulter des intervenantes spécialisées dans le domaine. Elles m’ont fait prendre conscience que ma force de caractère et ma résilience ne sont pas données à toutes les victimes dans la même situation.
Comme en témoigne mon parcours, chercher de l’aide et faire les démarches pour obtenir des arrangements peuvent être des étapes traumatisantes. J’ai dû passer par plusieurs étapes (nécessaires ou non) afin d’obtenir des accommodements, et j’ai dû répéter mon histoire une dizaine de fois. C’est toujours un moment stressant et pénible. Mon objectif était seulement d’assurer mon succès scolaire et ma survie. Si je suis consciente que les divers intervenants ne me voulaient aucun mal, le choix de mots, le manque de compétences ou les gestes maladroits, même bien intentionnés, peuvent laisser de profondes blessures et entraver le processus de guérison. Le réflexe de se blâmer, quoique parfois incompréhensible pour quelqu’un de l’extérieur, est bien réel et fréquent chez une victime. Il peut être très difficile de chercher de l’aide, surtout si elle n’est pas facilement accessible. Personnellement, cette situation est l’un des moments de ma vie où je me suis sentie le plus vulnérable. Intentionnellement ou non, je me suis sentie jugée et non soutenue par certains membres du personnel de l’Université.
Le fait d’avoir dû frapper à plusieurs portes aura au moins permis d’apporter de nombreux changements pour mieux outiller les membres du personnel afin qu’ils soient en mesure d’appliquer cette politique. Je ne peux qu’espérer que ce texte incitera d’autres universités à prendre des mesures similaires pour assurer le respect de leur politique en vigueur.
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