L’aumônerie universitaire et son évolution

En se présentant désormais comme des services interconfessionnels, spirituels ou de santé mentale, les aumôneries sur les campus jouissent d’une nouvelle attention, mais le changement peut aussi être problématique.

10 novembre 2017

En 1999, après avoir été pasteur au sein de l’Église Unie pendant 14 ans, le révérend Tom Sherwood a estimé qu’il était mûr pour un changement. Il a quitté sa congrégation d’Ottawa pour devenir l’unique aumônier de l’Université Carleton et de ses 20 000 étudiants.
Même si ses nouvelles tâches étaient similaires aux anciennes, la population étudiante présentait quelques particularités. « Les premières fois sont toujours difficiles, et elles sont nombreuses à l’université. On perd un de ses grands-parents ou un ami pour la première fois, et on doit assister à ses premières funérailles. Ceux qui réussissaient très bien au secondaire vivent parfois leur premier échec ou n’arrivent parfois plus à être premiers de classe. »

M. Sherwood, qui a pris sa retraite en 2009, a pu observer que le soutien spirituel offert sur les campus a subi une profonde transformation. Parmi la soixantaine d’aumôneries sur les campus canadiens, plusieurs ont adopté une démarche multiconfessionnelle pour servir une clientèle diversifiée, tandis que d’autres ont mis de côté leur affiliation religieuse au profit d’une spiritualité laïque. Beaucoup offrent les services de mieux-être psychologique que les établissements postsecondaires peinent à offrir assez rapidement. Autrefois une caractéristique traditionnelle (et chrétienne) des universités canadiennes (qui ont souvent des origines religieuses), l’aumônerie est devenue un réseau de soutien multidimensionnel capable de changements, voire de remises en question.

Photo de Paul Weeks.

En 2013, l’aumônerie de l’Université McGill a mené un sondage sur le campus afin d’évaluer la perception du rôle d’un aumônier. Selon Sara Parks, directrice du Bureau de la vie religieuse et spirituelle de 2012 à cette année, moins de 10 pour cent des participants connaissaient le terme, et la plupart d’entre eux croyaient qu’il s’agissait d’un prêtre catholique.

Les origines de l’aumônerie sont bel et bien chrétiennes (le terme est lié à Martin de Tours, un saint chrétien, et remonte au troisième siècle après Jésus-Christ). Or, les aumôniers modernes peuvent adapter leur soutien à différents rites en période de stress ou de deuil, ou simplement offrir une oreille attentive à n’importe qui sur le campus, dans un cadre religieux ou laïque. Pour des raisons éthiques, ils ne font pas de prédication. De nombreuses universités confient d’ailleurs leur programme spirituel à des coordonnateurs non confessionnels et font appel à des aumôniers de différentes confessions (aussi appelés pasteurs ou aumôniers oecuménistes) qui offrent leur temps bénévolement ou sont rémunérés par des subventions ou le soutien de groupes religieux.

La confusion à l’égard de l’aumônerie sur les campus est peut-être partiellement due à l’apparente contradiction entre la foi et l’activité savante, même si bien des aumôniers vous diraient que l’université est l’endroit idéal pour s’interroger sur la foi. « On ne voit pas souvent les lacunes de la raison et de la logique faire l’objet d’un examen critique. Dans ces cas-là, la foi est utile, explique le révérend James Smith, aumônier bouddhiste zen à l’Université Dalhousie. À l’université, il peut être bénéfique, bien que contre-intuitif, de recommander un examen de l’esprit doué de raison. »

Presque tous les aumôniers que nous avons joints ont mentionné qu’un nombre accru d’étudiants faisant appel à eux vivaient une crise liée au stress, à l’anxiété ou à la solitude. Lors d’une étude menée en 2016 auprès d’environ 44 000 étudiants dans 41 établissements postsecondaires canadiens, 63 pour cent des participants ont affirmé avoir ressenti une « anxiété intense » au cours des 12 mois précédents, alors que 46 pour cent d’entre eux ont affirmé avoir été « déprimés au point d’avoir du mal à mener leurs activités ». Par conséquent, les étudiants sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les services de santé mentale de leur campus, mais aussi d’aumônerie.

« Les conseillers et les professionnels en santé mentale ont parfois affaire à des étudiants croyants, et j’ai l’impression qu’ils se sentent mal outillés pour les servir, souligne Laura Gallo, responsable des services interconfessionnels à l’Université Concordia. Dans ces cas-là, ils viennent souvent nous voir ou nous envoient l’étudiant. »

Les étudiants étrangers sont de plus en plus nombreux au Canada. Pour ceux qui luttent en silence contre des problèmes de santé mentale, les services interconfessionnels s’avèrent parfois une porte sur le reste de la collectivité. À titre d’exemple, Mme Gallo organise chaque automne une visite des sites sacrés de Montréal. Elle raconte que, à l’une de ces occasions, un étudiant tout juste arrivé d’Inde s’est mis à pleurer de joie en découvrant le temple hindou qui deviendrait son lieu de culte.

« Ces visites visent normalement à exposer les gens à la différence et à les amener à s’ouvrir l’esprit, mais cet étudiant y a trouvé du réconfort », se souvient-elle.

En se présentant désormais comme des services interconfessionnels, spirituels ou de santé mentale, les aumôneries sur les campus jouissent d’une nouvelle attention, mais le changement peut aussi être problématique. « Le revers de la médaille est qu’il est facile de minimiser l’importance de la religion et de n’offrir aucun service aux étudiants qui se disent religieux », précise Mme Parks. Elle affirme que c’est ce qui a amené l’Université McGill à s’efforcer de traiter équitablement les étudiants religieux qui sont « des membres importants de l’université qui méritent certains services ».

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