Le Canada navigue en eaux troubles
L’abondance en eau du Canada est trompeuse sur le plan de l’accessibilité et les réserves sont mal gérées, selon des chercheurs.
Cet article est un sommaire de l’article « Canada’s troubled waters ».
La sécurité hydrique est en péril au Canada. En 2015, les villes de Regina et de Moose Jaw, en Saskatchewan, ont dû limiter leur approvisionnement en eau à cause d’une incapacité à combattre la prolifération d’une algue toxique dans le lac Buffalo Pound. À l’été 2016, une sécheresse a entraîné l’imposition de restrictions dans le sud de l’Ontario et en Nouvelle-Écosse. En 2018, le plus faible débit des rivières a entraîné des restrictions sévères dans de nombreuses collectivités et exploitations agricoles du sud de l’Alberta. Vancouver, située en bordure d’une forêt humide, a commencé à limiter l’utilisation de l’eau en été en raison de la demande croissante des résidents jumelée au rétrécissement du manteau neigeux des montagnes environnantes qui alimente le réservoir municipal.
De nombreux Canadiens, qui croient encore que nos sources d’eau sont quasiment inépuisables, seront surpris d’apprendre que le pays connaît des problèmes d’approvisionnement en eau. « Ce mythe de l’abondance a influé sur la réglementation des eaux, affirme Rob de Loë, professeur à la Faculté de l’environnement, des ressources et de la durabilité de l’Université de Waterloo et membre de l’Institut de l’eau du même établissement. Il nous a rendus un peu négligents. »
Environ 20 pour cent des ressources en eau douce de la planète se trouvent au Canada, mais seulement sept pour cent de ces ressources sont renouvelables – et la plus grande partie s’écoule vers le nord, notamment vers la baie d’Hudson et l’océan Arctique, hors d’atteinte de 90 pour cent des Canadiens, qui vivent à moins de 160 km de la frontière sud du pays. M. de Loë fait partie des nombreux experts qui s’emploient à renverser la tendance en ce qui concerne les problèmes de conception dont est victime la réglementation canadienne des eaux et des infrastructures ainsi qu’à juguler l’appauvrissement des ressources hydriques.
John Pomeroy, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en ressources d’eau et en changement climatique, dirige le programme de recherche Global Water Futures (GWF) de l’Université de la Saskatchewan, auquel participent 190 professeurs et quelque 900 étudiants aux cycles supérieurs, chercheurs et scientifiques provenant de 15 universités canadiennes. Selon lui, les municipalités canadiennes devraient trouver des moyens de stocker l’eau et de réduire leur consommation. « Chaque ville et province doit se doter d’un plan d’action en cas de sécheresse qui comprend la façon dont elle entend gérer la pénurie d’eau afin de maintenir l’approvisionnement des usagers prioritaires et comment elle répartira l’eau en cas d’insuffisance. »
À l’heure actuelle, de nombreuses enveloppes, telles que l’agriculture, la santé, l’eau et le traitement des eaux usées, relèvent de pouvoirs partagés par plusieurs organismes et paliers de gouvernement, tandis que l’eau, elle, circule librement sans se soucier des limites municipales, provinciales, territoriales et parfois nationales. Selon le gouvernement fédéral, pas moins de 20 ministères et organismes fédéraux se partagent la responsabilité de l’eau douce au pays. Ce genre de structure cloisonnée mène à une paralysie organisationnelle. « Quand un problème survient, personne ne veut s’en charger », explique Banu Örmeci, professeur de génie de l’environnement et titulaire de la Chaire Jarislowsky en eau et santé mondiale à l’Université Carleton.
Jusqu’ici, la segmentation des responsabilités a compliqué la mise en oeuvre d’une vision pancanadienne de la gestion de l’eau. Or, la nécessité d’adopter une vision nationale devient pressante, compte tenu notamment du fait que les catastrophes naturelles les plus probables au Canada – sécheresse, inondations et feux de forêt – sont étroitement liées à l’eau et seront vraisemblablement aggravées par les changements climatiques. Le GWF estime que les catastrophes naturelles liées à l’eau ont coûté 28 milliards de dollars entre 2000 et 2017. À elles seules, les inondations devraient coûter annuellement au gouvernement fédéral plus de 650 millions de dollars en aide aux sinistrés au cours des cinq prochaines années. Malgré la menace imminente, le Canada est le seul pays du G7 à ne pas avoir de système national de prévision des crues.
Une étude récente menée par le Centre Intact d’adaptation au climat de l’Université de Waterloo auprès de 16 villes canadiennes révèle que ces municipalités ont fait peu de progrès pour se préparer aux risques d’inondation depuis cinq ans, récoltant la note moyenne de C+ à cet égard. Selon Blair Feltmate, coauteur du rapport de l’étude, des inondations à vaste échelle ce printemps, en plus de la pandémie, pourraient avoir des conséquences catastrophiques pour les Canadiens.
Dans l’Ouest du pays, les inondations et la sécheresse découlent directement des conditions d’enneigement des Rocheuses. Cette neige approvisionne en eau (potable, irrigation, etc.) des dizaines de millions de personnes en Amérique du Nord. « Elle disparaît peu à peu », constate M. Pomeroy. La hausse des températures accélère la fonte et augmente le débit dans les bassins fluviaux, qui s’assèchent avant la fin de l’été. Ce sont des conditions parfaites pour des feux de forêt, comme ceux qui ont ravagé la région de Fort McMurray en 2016.
De plus, l’un des problèmes liés à l’eau qui fait rarement la manchette est la pénurie d’eau potable dans les collectivités éloignées. Ce problème est plus fréquent qu’on le pense, indique Lee Jackson, professeur de biologie évolutive à l’Université de Calgary, qui étudie l’approvisionnement des municipalités en eau. « Le 7 juillet 2020, par exemple, 750 avis d’ébullition d’eau étaient en vigueur au Canada. » Toutefois, des solutions technologiques existent. Par exemple, des chercheurs de l’Université de Calgary ont mis au point un système de traitement de l’eau potable et des eaux usées adapté aux collectivités de 750 à 1 000 habitants. « Le problème consiste à trouver une façon d’équiper les collectivités d’un tel système, ajoute M. Jackson, car le coût est d’environ 1,5 million de dollars par collectivité. »
Sur une note plus positive, l’aide pourrait être sur le point d’arriver. Le gouvernement fédéral est en train de créer une agence canadienne de l’eau, qui élaborera un plan de gestion des ressources hydriques en collaboration avec tous les paliers gouvernementaux, le milieu scientifique et les collectivités autochtones. Des discussions et des consultations sont en cours depuis mai 2020.
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