Représentation et rémunération des femmes dans les universités canadiennes: Un bilan de plus de 50 ans
Une analyse statistique des universités canadiennes de 1970 à 2022.

Au cours des dernières décennies, la représentation des femmes dans le secteur universitaire s’est nettement améliorée au Canada. Toutefois, malgré ces progrès et le fait qu’elles sont plus nombreuses que les hommes à obtenir un diplôme, les femmes demeurent sous-représentées dans le milieu universitaire.
Le présent article examine plus de 50 ans de données pour documenter l’évolution de la représentation des femmes dans les postes professoraux à temps plein des universités canadiennes. Il explore également les disparités salariales entre les hommes et les femmes (« l’écart de rémunération » entre les genres), et démontre dans quelle mesure les femmes continuent d’être moins bien payées que leurs homologues masculins.
L’analyse s’appuie sur des calculs détaillés tirés de jeux de données de 1970 à 2022 du Système d’information sur le personnel d’enseignement dans les universités et les collèges (SIPEUC) de Statistique Canada. Le SIPEUC recueille des données anonymisées, comparables à l’échelle nationale, sur le nombre de membres du personnel enseignant à temps plein dans les universités canadiennes et leurs caractéristiques socioéconomiques. Ces données sont produites à partir des renseignements sur la rémunération fournis par l’administration.
Représentation globale des femmes dans le milieu universitaire
Comme l’illustre la figure 1-A, le pourcentage de postes professoraux à temps plein occupés par des femmes à tous les échelons est passé d’environ 12 % en 1970 à 42 % en 2022.


Figure 1 : Représentation globale des femmes
La plupart des gains ont été réalisés dans les années 1990 et 2000, où l’on observe une augmentation de huit points de pourcentage par décennie. À titre de comparaison, le pourcentage de postes professoraux à temps plein occupés par des femmes a augmenté de 1 % dans les années 1970 et de 6 % depuis 2010.
La composition globale par genre reflète les stratégies actuelles et passées en matière de recrutement et de rétention. En se concentrant sur la répartition par genre des nouvelles recrues, on obtient un meilleur aperçu des pratiques en vigueur. La figure 1-A montre que le pourcentage de nouvelles recrues féminines est aussi demeuré sous la parité pendant presque toute la période d’échantillonnage et a atteint les 50 % pour la première fois en 2017.
Même si l’on observe une tendance à la hausse du pourcentage de femmes au fil du temps, les progrès réalisés peuvent être attribués à un ralentissement du recrutement de membres du corps professoral masculins plutôt qu’à une hausse du recrutement de femmes, comme illustré à la figure 1-B. Par exemple, une moyenne d’environ 480 femmes et 2 070 hommes ont été embauchés annuellement dans les années 1970, comparativement à environ 590 femmes (+23 %) et 1 000 hommes (-52 %) dans les années 1990. Ce n’est qu’au cours des dernières années que le nombre total d’embauches est revenu à la moyenne historique (environ 2 000 par an) et à une répartition à peu près égale entre les hommes et les femmes.
Échelons et promotions
La répartition globale des hommes et des femmes dans l’ensemble des postes professoraux masque les différences plus marquées qui subsistent à certains échelons.

Figure 2 : Représentation des femmes par échelon
Comme le montre la figure 2, les femmes ont été légèrement surreprésentées dans les postes professoraux à temps plein des échelons inférieurs à celui de professeure adjointe (55 à 57 %) au cours des deux dernières décennies. Cette tendance pourrait s’expliquer, du moins en partie, par une différence entre les genres dans l’accès aux postes menant à la permanence.
En raison du nombre croissant de nouvelles recrues féminines au cours des dernières années, le pourcentage de femmes qui occupent un poste de professeure adjointe a finalement atteint la parité il y a quelques années.
Aux échelons de professeure agrégée et de professeure titulaire, les femmes demeurent considérablement sous-représentées. En 2022, le pourcentage de femmes à ces échelons était de 42 % et 32 %, respectivement. La bonne nouvelle est que la représentation des femmes dans ces postes titularisés gagne du terrain avec les années et que cette tendance à la hausse risque de se poursuivre alors que de jeunes femmes professeures grimpent les échelons et accèdent à la permanence.
Le fait que les femmes soient sous-représentées dans les postes titularisés entraîne également une sous-représentation des femmes parmi les membres du corps professoral qui exercent des responsabilités administratives. Une représentation équitable au sein de l’administration pourrait aider à lutter contre la discrimination fondée sur le genre dans d’autres domaines, comme la prise de décisions relatives à l’embauche, à la promotion et à la titularisation.
Les responsabilités administratives examinées dans le cadre de l’analyse sont les suivantes : décanat, vice-décanat ou soutien au décanat, direction de département et soutien à la direction de département. Elles ne comprennent pas les fonctions de haute direction (p. ex. rectorat, vice-rectorat et provost).


Figure 3 : Représentation des femmes parmi les personnes qui exercent des responsabilités administratives.
Dans la figure 3-A, les points pleins indiquent la proportion d’hommes qui exercent des responsabilités administratives par rapport au nombre total d’hommes (en rouge), de même que le pourcentage de femmes exerçant des responsabilités administratives par rapport au nombre total de femmes (en bleu). Historiquement, les hommes étaient plus susceptibles d’exercer des fonctions administratives que les femmes, même en tenant compte de leur plus grande représentation.
Ce n’est qu’au cours des dernières années qu’on a commencé à observer une convergence des pourcentages. Toutefois, comme les hommes demeurent majoritaires aux postes professoraux, ces tendances laissent entendre qu’ils occupent également la plupart des postes à responsabilités administratives. Les points vides sur la figure 3-A indiquent que le nombre (la fréquence) d’hommes exerçant des responsabilités administratives s’élevait à environ 3 315 en 2022 (en rouge), alors que le nombre de femmes exerçant ces mêmes responsabilités s’élevait à 2 285 la même année (en bleu), ce qui représente un écart d’un peu moins de 70 %.
La figure 3-B montre qu’en 2022, l’écart entre les genres est le plus marqué pour les postes de direction (39 % de femmes) et de soutien à la direction (38 % de femmes). Une proportion un peu plus élevée de femmes occupent un poste de décanat (45 %), alors que le pourcentage de femmes occupant des fonctions de soutien au décanat est très proche de la parité (49 %).
Domaines d’études
La figure 4 illustre l’évolution de la représentation des femmes dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM) par rapport aux domaines de la santé, des arts, du commerce, des sciences humaines, de l’éducation et des sciences sociales (SACHES). Puisque des changements dans les pratiques de recrutement entraînent souvent une évolution de la composition des effectifs, l’analyse est répétée séparément pour l’ensemble du corps professoral et les nouvelles recrues.

Figure 4 : Représentation des femmes selon les domaines d’études
Tout au long de la période d’échantillonnage, la représentation des femmes en STIM est demeurée structurellement inférieure à celle constatée dans d’autres domaines. En 2022, les femmes représentaient seulement 37 % du corps professoral en STIM, comparativement à 48 % en SACHES (un écart de 11 points de pourcentage).
Depuis les années 1990, un écart de 8 à 12 points de pourcentage s’est maintenu.
La représentation des femmes parmi les nouvelles recrues en STIM (52 %) est également inférieure à celle en SACHES (59 %). Cet écart pourrait être attribuable à des pratiques d’embauche discriminatoires ou au fait que les femmes et les hommes ont choisi de faire des études dans des domaines différents. Par exemple, le nombre de femmes qui s’inscrivent dans des programmes en génie a augmenté au cours des dernières décennies, même s’il reste beaucoup à faire pour atteindre la parité. Pour la première fois récemment, les femmes ont représenté un peu plus de la moitié des nouvelles recrues en STIM, ce qui est de bon augure. Si cette tendance se maintient, elle pourrait contribuer à combler les écarts entre les genres dans les domaines d’études et les choix de carrière.
Écart de rémunération entre les genres
L’une des caractéristiques les plus persistantes du marché de l’emploi canadien est qu’à travail égal, les hommes gagnent plus que les femmes. À titre d’exemple, selon Statistique Canada, les femmes nées au Canada gagnaient en moyenne 9,2 % de moins que leurs homologues masculins en 2022.
La figure 5-A présente l’écart de rémunération entre les genres estimé pendant la période d’échantillonnage. L’analyse suivante s’appuie sur une mesure du salaire de base annuel. Le salaire de base correspond à la rémunération annuelle prévue dans le contrat d’embauche (p. ex. le taux selon l’échelle salariale spécifiée dans une convention collective, le cas échéant). Les salaires sont exprimés en dollars constants de 2022 pour tenir compte des effets de l’inflation sur la valeur du dollar. De plus amples détails sur la méthodologie d’estimation de l’écart de rémunération sont fournis dans Baker et coll. (2023).


Figure 5 : Écart de rémunération entre les genres
L’écart de rémunération inconditionnel entre les genres (sans variables de contrôle) a diminué au fil du temps, passant d’environ 25 000 $ au début des années 1970 à environ 15 000 $ en 2022. Au sein du corps professoral, le salaire moyen des femmes est donc inférieur d’environ 15 000 $ à celui des hommes, en moyenne.
L’écart inconditionnel ne tient pas compte des déterminants relatifs à la paie qui varient entre les hommes et les femmes. Par exemple, le fait qu’un plus grand nombre d’hommes occupent un poste titularisé (voir figure 2) et que les salaires sont habituellement plus élevés pour ce type de poste expliquerait l’écart de rémunération entre les genres. De plus, la figure 5-A présente également les disparités salariales conditionnelles (avec variables de contrôle) qui tiennent compte de ces déterminants. Les variables de contrôle comprennent l’établissement, le département, le nombre d’années au sein de l’établissement et le plus haut grade obtenu.
L’écart de rémunération conditionnel s’est également resserré avec le temps, quoique la parité soit encore loin. En 2022, les femmes gagnaient environ 5 000 $ de moins en moyenne que leurs homologues masculins occupant les mêmes postes dans le même établissement. Ces estimations sont semblables à celles qu’ont avancées Momani, Dreher et Williams (2019) en s’appuyant sur les données publiques relatives aux salaires supérieurs à 100 000 $ en Ontario.
La figure 5-B présente la même comparaison pour les nouvelles recrues, et les résultats sont cohérents avec ceux pour l’ensemble du corps professoral : les femmes dans cette catégorie gagnent aussi environ 5 000 $ de moins que les hommes.

Figure 6 : Représentation des femmes selon la rémunération au sein du département
Le recours à des variables pour contrôler les éléments observables peut être utile afin d’équilibrer la comparaison entre les sexes, mais peut également amortir certains des effets à l’étude. Par exemple, si la discrimination fondée sur le genre à l’embauche fait en sorte que les femmes acceptent des postes professoraux au sein d’établissements et de départements où elles sont moins bien rémunérées, il est quelque peu justifié d’omettre ces variables,
Comparativement aux hommes, les femmes sont plus susceptibles de travailler dans des départements offrant un salaire réduit, comme le montre la figure 6. Cette constatation vaut pour l’ensemble du corps professoral et les nouvelles recrues. En 2022, par exemple, les femmes représentaient 55 % du corps professoral des départements offrant un salaire réduit, comparativement à 38 % de celui des départements offrant un salaire élevé. Dans une certaine mesure, les écarts de rémunération conditionnels entre les genres (sans variables de contrôle) présentés à la figure 5 constituent des estimations à la limite inférieures de l’ensemble des disparités salariales entre les hommes et les femmes.
Enfin, la figure 7 permet d’analyser l’écart de rémunération conditionnel entre les genres selon différents groupes. Le volet A montre que l’écart salarial demeure plus important dans les départements qui offrent un salaire réduit, ce qui suggère qu’une réduction des disparités entre les domaines d’études pourrait constituer une bonne stratégie pour remédier à la situation. Le volet B montre que l’écart de rémunération était historiquement élevé en STIM, mais qu’il se rapproche désormais de celui observé en SACHES. Le volet C montre que l’écart salarial entre les genres est le plus faible au Québec et dans le Canada atlantique, mais qu’il tend à se creuser dans les Prairies et en Colombie-Britannique.



Figure 7 : Écarts de rémunération entre les genres selon certains groupes
Conclusion
Le pourcentage de femmes occupant des postes professoraux à temps plein a atteint 42 % en 2022. Ces dernières années, un peu plus de la moitié des nouvelles recrues étaient des femmes, même en STIM.
Les femmes demeurent toutefois sous-représentées dans l’ensemble de ces domaines et sont moins susceptibles d’exercer des responsabilités administratives que les hommes. Elles sont également plus susceptibles de travailler au sein de départements qui offrent un salaire réduit. Selon les estimations, l’écart de rémunération entre les genres s’est rétréci au fil du temps, mais les femmes gagnent toujours environ 5 000 $ de moins que leurs homologues masculins qui occupent un poste identique dans le même établissement.
Ces disparités entre les genres pourraient s’estomper graduellement à mesure que de jeunes femmes professeures grimpent les échelons et accèdent à la permanence. Cependant, il se peut qu’il existe des solutions à court terme pour accélérer la progression vers la parité, comme mettre en œuvre des mesures d’équité salariale, ce que certains établissements ont fait (voir le Tableau A2 dans Baker et coll., 2023), ou réduire les disparités salariales entre les différents départements.
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