Les femmes se font de plus en plus rares au fil des échelons universitaires

Même si elles sont maintenant plus nombreuses que les hommes à obtenir un diplôme, les femmes sont encore sous-représentées dans le milieu universitaire.

Students research

Au Canada, si vous entrez dans à peu près n’importe quelle faculté universitaire, les étudiants que vous rencontrerez seront en majorité des femmes. Travail social, éducation, orthophonie, psychologie, médecine… À l’exception des sciences pures et appliquées (les femmes y représentent 43 pour cent des étudiants) et du génie (20 pour cent), au pays, 60 pour cent des diplômés universitaires sont des femmes.

Cette majorité s’estompe toutefois en passant aux études supérieures. Ces dames sont 54,4 pour cent à la maîtrise, puis 47,8 pour cent au doctorat. Dans le milieu universitaire professionnel, 48 pour cent d’entre elles sont professeures adjointes, 41 pour cent sont des professeures associées et 26 pour cent des professeurs titulaires.

Pour illustrer ce phénomène d’attrition, les experts parlent du « pipeline qui fuit ». « Plus on avance dans les carrières académiques, donc dans le niveau d’étude, plus on perd de femmes », mentionne Vincent Larivière, professeur agrégé à l’Université de Montréal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante. « Le problème n’est pas nécessairement de convaincre les femmes de venir en sciences, mais plutôt de les garder », renchérit Paula Rochon, médecin gériatre et chercheuse senior au Women’s College Research Institute, à Toronto.

On pourrait croire que ce n’est qu’une question de temps avant que les femmes n’arrivent dans les strates les plus élevées du savoir. Mais selon les analyses démographiques de M. Larivière, la parité pourrait encore attendre longtemps. « Selon les tendances mondiales, en sciences sociales on atteindra la parité en 2050. En sciences naturelles, ce sera en 2150. »

Biais multifactoriels

Pourquoi les femmes, plus que les hommes, quittent-elles le milieu universitaire?

Il y a tout d’abord encore des biais favorisant les hommes aux femmes, explique le chercheur. « À CV égal, les directeurs et directrices de laboratoire sont plus susceptibles d’engager un homme qu’une femme et de lui offrir un salaire plus important », dit-il en citant une étude états-unienne publiée en 2012 par la National Academy of Sciences. « Le fait que la femme va un jour tomber enceinte, ça freine certaines personnes à l’embaucher. Il y a des domaines où la recherche est tellement compétitive qu’il est difficile même de concevoir prendre des congés », relate quant à elle Ève Langelier, professeure agrégée au département de génie de l’Université de Sherbrooke, et titulaire de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie au Québec.

Il est aussi répertorié que, devant la précarité de la recherche, les femmes sont typiquement moins tentées que les hommes à se lancer. Par manque de confiance en leurs capacités, elles repoussent parfois elles-mêmes le moment de devenir professeure titulaire. Au laboratoire, elles seraient davantage impliquées dans les manipulations expérimentales qu’en conceptualisation, ce qui les amènerait à publier plus lentement. Par soucis de rester près de la famille, elles voyagent moins que les hommes et diminuent ainsi leur visibilité internationale. Sans compter que les grossesses sont souvent synonymes de perte de productivité.

Un système à changer

Les femmes ont le droit d’être moins productives à certains moments et de prendre des congés, rappelle Mme Rochon. « Toutes ces choses sont normales. L’enjeu reste de savoir ce qui va être fait [en termes de politiques] dans les prochaines décennies pour penser en ces termes. »

Il y a bel et bien des mesures en place pour faciliter la vie des mères chercheuses. Des congés parentaux payés par les organismes subventionnaires, par exemple. « Mais durant les congés, il n’y a pas de production », reconnaît Mme Langelier. Selon elle, il faut revoir le système d’évaluation basé sur le mérite et la performance.

Plutôt que de dénoncer que c’est sexiste, il faut donc dénoncer le système, ajoute Yves Gingras, sociologue des sciences et professeur au département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal. Aujourd’hui, ceux qui demandent aux femmes de faire comme les hommes « ont internalisé une aberration », croit-il. « On devrait plutôt dire que ce sont les femmes qui ont raison. »

Dans le contexte où le gouvernement fédéral oblige depuis l’an passé les universités à atteindre leurs cibles de candidates féminines pour être titulaire de Chaire du Canada, « c’est un bon timing, dit Mme Langelier. Il faut en profiter ».

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