SOS sages-femmes? Voici la liste d’attente!

Les sages-femmes sont en nombre insuffisant au Canada pour répondre à la demande grandissante. Pour résoudre le problème de pénurie, il faudra faire davantage qu’ajouter quelques places aux rares programmes de formation existants.

03 mars 2021
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Cet article est un sommaire de l’article « Call the midwife, get on a waitlist ».

Demandez à quiconque dans la pratique sage-femme pourquoi la profession semble être en sous-effectif chronique et incapable de fournir une offre suffisante aux Canadiennes et on vous servira diverses réponses : « Le métier est jeune et progresse », « C’est le parent pauvre des politiques de santé! », ou encore « C’est une carrière trop difficile et pas valorisée. Le stress et l’épuisement professionnel nous guettent ». Quoi qu’il en soit, la solution à la pénurie semble évidente : former davantage de sages-femmes. Pourtant, si la profession plaide effectivement en faveur d’un essor de l’offre pédagogique, le processus s’avère complexe.

Réglementation, formation et champs d’application professionnels

Au Canada, une sage-femme est habilitée à offrir des soins de première ligne dans le cadre d’une grossesse à faible risque, d’un accouchement ou d’un accompagnement postnatal de six semaines. Par ailleurs, les services des sages-femmes sont réglementés et financés par les provinces et territoires (sauf au Yukon et à l’Île-du-Prince-Édouard) et diffèrent d’une autorité à l’autre. Selon les données de Statistique Canada en 2019, on comptait 1 909 sages-femmes en exercice au Canada, dont la plupart en Ontario (972), en Colombie-Britannique (394) et au Québec (230). Bien que la profession existe depuis fort longtemps, cela ne fait qu’environ 25 ans qu’elle est officiellement réglementée au Canada. En effet, l’Ontario et l’Alberta, pourtant pionnières en la matière, ont tout de même attendu jusqu’en 1994 avant de légiférer. Et c’est en 1993 seulement que l’Ontario a ouvert la toute première classe d’étudiantes sages-femmes au premier cycle au pays.

« Puisque le nombre de sages-femmes disponibles est limité, nous sommes constamment limitées. C’est comme [le paradoxe de] l’œuf ou la poule. C’est un problème rencontré dans chacune des provinces canadiennes. »

Aujourd’hui, six universités canadiennes offrent des programmes de premier cycle en pratique sage-femme qui durent au moins quatre ans et qui forment les étudiantes aux exigences des organismes de réglementation de leur province ou territoire : l’Université de la Colombie-Britannique en Colombie-Britannique; l’Université Mount Royal en Alberta; l’Université Laurentienne, l’Université McMaster et l’Université Ryerson, toutes trois en Ontario; et l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) au Québec. Peu nombreux, ces établissements accueillent aussi relativement peu d’étudiantes. Pour l’année scolaire 2017-2018, ils offraient au total 555 places, d’où une concurrence particulièrement rude parmi les postulantes. « Nous avons au moins trois fois le nombre [de demandes d’inscription] par rapport au nombre de places », explique Caroline Paquet, directrice du programme en pratique sage-femme de l’UQTR. Elle ajoute que le petit nombre de sages-femmes en exercice au Canada est un obstacle intrinsèque au développement de ces programmes dans notre pays. Ce sont les sages-femmes autorisées qui supervisent les étudiantes durant leurs stages cliniques. « Puisque le nombre de sages-femmes disponibles est limité, nous sommes constamment limitées, déplore Mme Paquet. C’est comme [le paradoxe de] l’œuf ou la poule. C’est un problème rencontré dans chacune des provinces canadiennes. »

Un nouveau programme d’études au Manitoba

En septembre 2021, l’Université du Manitoba accueillera six étudiantes au sein du nouveau programme en pratique sage-femme de son collège des sciences infirmières. Selon sa directrice, Kellie Thiessen, c’est un grand pas pour le Manitoba, qui emploie actuellement 69 sages-femmes.

Avant de donner son accord, le gouvernement provincial avait cherché à financer des places dans des programmes de formation offerts ailleurs au Canada. Mme Thiessen et ses collègues avaient alors fait valoir que même si le programme de l’Université du Manitoba connaissait des débuts modestes, la province en tirerait profit. En effet, cette formation permettra à des Manitobaines de rester dans leur province d’origine, mais aussi aux enseignantes d’adapter le programme aux réalités locales. Par exemple, les étudiantes de l’Université du Manitoba recevront une formation sur l’importante population autochtone de la province ainsi que sur les soins adaptés à leur réalité. Afin d’y parvenir, l’établissement a recruté Darlene Birch, sage-femme et aînée métisse, afin d’intégrer les pratiques autochtones au programme d’études. Mme Birch a ainsi analysé les objectifs d’apprentissage de chaque cours en utilisant un cadre de compétences défini par le Conseil national des sages-femmes autochtones.

Lutter contre les stéréotypes et les idées fausses

Kathrin Stoll, chercheuse principale au Laboratoire de santé périnatale de l’Université de la Colombie-Britannique, s’est penchée avec son équipe sur les perceptions des étudiants sur l’accouchement. Elle a particulièrement examiné les facteurs qui les conduisaient à appréhender l’accouchement et à privilégier le recours aux interventions obstétricales telles que la césarienne, le déclenchement artificiel du travail et la péridurale. Les chercheuses ont constaté que les personnes les plus anxieuses devant l’accouchement préféraient l’épidurale et la césarienne. Par ailleurs, il s’est avéré que celles qui redoutaient le plus le travail et la parturition déclaraient que cette attitude envers la grossesse et l’accouchement était façonnée par les médias.

Pour beaucoup, l’accouchement s’apparente à une expérience effrayante et douloureuse qui requiert la présence d’un médecin et le recours à des ressources hospitalières. Afin de contrer cette perception, Mme Stoll propose d’informer davantage la population non seulement sur le rôle des sages-femmes, mais aussi sur les vertus d’un accouchement « normal », plus ou moins exempt d’interventions obstétricales.


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De plus, les sages-femmes luttent contre les stéréotypes au sein du système de soins, et se heurtent à une hiérarchie qui accorde la préséance aux médecins. « Il y a longtemps que les sages-femmes affrontent cette situation, et ce combat les rend parfois impopulaires auprès de leurs collègues », regrette Mme Stoll. Selon Mme Thiessen, il s’agit là d’un autre argument en faveur du lancement de ce programme d’études au Manitoba. En effet, les sages-femmes sont d’après elle « exclues du système de soins ». C’est en renforçant leur présence dans la province que l’on parviendra, selon ses propres dires, à « briser les stéréotypes ».

Stress et épuisement professionnel

Mme Stoll mène aussi des recherches concernant les pénuries de sages-femmes et a récemment publié un rapport sur les moyens d’améliorer les perspectives d’avenir de la profession. « Quand le personnel est fourbu, comme c’est le cas en Colombie-Britannique, et que les étudiantes apprennent de ces préceptrices exténuées, l’épuisement professionnel ne peut que se perpétuer », se désole-t-elle.

Pour promouvoir la carrière de sage-femme, une première piste consiste à améliorer leur rémunération et leurs avantages sociaux – par exemple, les sages-femmes en Colombie-Britannique n’ont ni congés de maladie ni prestations de retraite. Selon l’Association des sages-femmes de la Colombie-Britannique, il s’agit même des seules professionnelles de la province à offrir des soins primaires sans recevoir de prime ou de soutien particuliers (équipement de protection individuelle ou autres) en ces temps de pandémie. Une enquête menée et publiée par cette association à la fin de 2020 a révélé que 90 pour cent des sages-femmes de la province avaient constaté une augmentation de la demande d’accouchements à domicile pendant la pandémie. Une proportion de 79 pour cent des participantes ont en outre indiqué que leur santé mentale s’était dégradée alors que 18 pour cent affirmaient même faire le nécessaire pour quitter la profession.

Puisque la demande ne semble pas près de diminuer, la profession de sage-femme a intérêt à retenir ses membres et à accompagner les étudiantes pendant leur formation. « À Montréal, il y a des maisons de naissance qui ouvrent presqu’à chaque année et qui ont des listes d’attente, constate Mme Paquet. Les femmes veulent de moins en moins une approche paternaliste, donc ce n’est pas juste tendance. Ça fait partie d’un courant de société [qui consiste à] vouloir déterminer ce qui est le mieux pour nous. »

Avec la collaboration de Pascale Castonguay.

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