Un bilan mitigé pour le rapport Naylor après cinq ans

Certains estiment que trop peu de progrès ont été observés en matière de soutien à la recherche fondamentale canadienne.

02 mars 2022
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En 2016, la ministre des Sciences de l’époque, Kirsty Duncan, avait réuni un panel d’experts ayant pour mandat d’examiner à la loupe l’écosystème universitaire de la science et de la recherche au Canada. Cet exercice, dirigé par l’ancien recteur de l’Université de Toronto, David Naylor, n’avait pas été entrepris depuis près de 40 ans.

Le rapport du Comité consultatif sur l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale, publié en 2017, comportait des recommandations visant à simplifier, à soutenir et à améliorer le milieu de la recherche au Canada. Ce rapport a servi de fil conducteur pour la communauté scientifique canadienne et, au moins pendant un temps, pour le gouvernement fédéral. Cinq ans plus tard, le travail nécessaire pour mettre en oeuvre ces recommandations n’a été que partiellement accompli, et si le rapport (aussi connu sous le nom de rapport Naylor) est toujours au coeur des priorités des chercheurs, il semble avoir disparu de celles du gouvernement.

« Généralement, l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale suscite de vives réactions », note Farah Qaiser, directrice de la recherche et des politiques chez Evidence for Democracy, un organisme à but non lucratif qui milite pour des décisions politiques fondées sur la science. « Certains pensent que le gouvernement n’en fait vraiment pas assez, tandis que d’autres croient qu’il a fait beaucoup de progrès. Tout le monde a des opinions bien arrêtées », ajoute-t-elle.

Avec son équipe, elle a mesuré les progrès réalisés jusqu’à présent. D’après leur évaluation, neuf des 35 recommandations du rapport ont été mises en oeuvre, 13 sont en cours de déploiement et 13 n’ont pas été adéquatement appliquées. « Je trouve que 22 recommandations sur 35 qui progressent, c’est plutôt une bonne nouvelle », commente Mme Qaiser.

Parmi les recommandations mises en oeuvre, on compte le financement régulier et permanent destiné à la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI), la révision du Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada et l’uniformisation des programmes d’innovation du gouvernement fédéral. À ces efforts s’ajoute la création du Comité de la coordination de la recherche au Canada (CCRC), dont l’objectif est de renforcer la collaboration entre la FCI, le Conseil national de recherches et les trois conseils canadiens de financement de la recherche, soit les Instituts de recherche en santé du Canada, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et le Conseil de recherches en sciences humaines.

« Généralement, l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale suscite de vives réactions. Certains pensent que le gouvernement n’en fait vraiment pas assez, tandis que d’autres croient qu’il a fait beaucoup de progrès. Tout le monde a des opinions bien arrêtées. »

Selon M. Naylor, le CRCC a permis de renforcer la coordination entre ces différentes organisations, et les conseils collaborent véritablement. Il ajoute toutefois que l’efficacité du CRCC est quelque peu affaiblie par le roulement de sa présidence, qui alterne d’une année à l’autre entre les présidents des trois conseils subventionnaires, alors qu’elle pourrait être confiée au conseiller scientifique en chef, comme le recommande le rapport qui porte son nom. Pour M. Naylor, ce fonctionnement incite aux négociations internes plutôt qu’à la résolution de réelles problématiques, comme la répartition des subventions partagées. « On ne pourra pas régler les problèmes les plus pressants sans arbitrage externe », conclut-il.

Le rapport Naylor a aussi recommandé la création d’un Conseil consultatif national sur la recherche et l’innovation. L’objectif de cet organe consultatif de haut niveau serait d’évaluer l’ensemble des écosystèmes fédéraux de recherche et d’innovation. Ce conseil, qui réunirait d’éminents scientifiques, des experts de l’innovation et des membres de la société civile, remplacerait le Conseil des sciences, de la technologie et de l’innovation (CSTI), qui est essentiellement obsolète. La nouvelle version du CSTI, soit le Conseil des sciences et de l’innovation (CSI), a été annoncée en janvier 2019 sous la forme d’un appel de candidatures. Depuis, pourtant, aucune précision n’a été communiquée sur son mandat, sa composition ou sa mise en oeuvre. « Il n’y a toujours pas d’organe d’évaluation du côté fédéral, constate Mme Qaiser. Je me demande ce qu’il est advenu de ce conseil. »

Un porte-parole d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada assure que le gouvernement « poursuit ses efforts » relatifs à la mise sur pied de ce conseil, sans toutefois donner davantage de détails. Selon M. Naylor, la recommandation la plus importante du rapport, soit l’augmentation du financement des concours organisés par les conseils de recherche et de celui offert aux étudiants et aux stagiaires, n’a été que partiellement mise en oeuvre. « C’est un élément crucial du rapport. Des progrès ont été faits, mais le gouvernement n’a pas entièrement suivi la recommandation. Il doit faire le point sur la question, surtout dans ce contexte de pandémie, qui amène son lot de perturbations », déclare-t-il.

Un investissement conséquent

Si le gouvernement a fait les choses à moitié, il a tout de même consenti d’importants investissements, d’après M. Naylor. En 2018, le budget fédéral octroyait 925 millions de dollars sur cinq ans aux trois conseils subventionnaires, soit presque 60 % des 1,2 milliard de dollars sur quatre ans demandés dans le rapport pour subventionner des projets menés par des chercheurs. En 2019, le gouvernement a prévu 114 millions de dollars sur cinq ans pour créer 500 bourses de maîtrise supplémentaires et 167 bourses de doctorat d’une durée de trois ans additionnelles dans le cadre du Programme de bourses d’études supérieures du Canada, et ce, sur une base annuelle. Cet investissement se situe tout juste en deçà des 140 millions de dollars sur quatre ans recommandés par le rapport. De plus, le budget de 2021 prévoyait une aide conséquente pour la recherche en biomédecine, en intelligence artificielle et en génomique ainsi que pour la recherche quantique.

Les auteurs du rapport Naylor « n’y sont pas allés de main morte » dans leurs recommandations en matière de subventions, admet Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec et membre du Comité consultatif sur l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale. « La réalité, c’est que le gouvernement doit faire des choix, et que les budgets sont limités », explique-t-il. Malgré cette lucidité, M. Quirion confie qu’il s’attendait à un financement plus généreux. D’après lui, une trop grande partie de cette aide a été allouée à l’avancement des priorités du gouvernement plutôt qu’aux concours d’octroi de subventions, et ce, avant même que la pandémie ne crée une nouvelle priorité impossible à ignorer. « Trouver du financement reste difficile. C’est pour ça que les scientifiques commencent à faire du bruit », estime-t-il.

Nathalie Grandvaux, virologue à l’Université de Montréal, explique que les subventions pour les projets menés par des chercheurs ont été accueillies à bras ouverts par ces derniers, mais qu’elles n’ont pas réduit la pression exercée sur les budgets des laboratoires. Le taux de succès des concours des Instituts de recherche en santé du Canada, par exemple, stagne autour des 15 % parce que le nombre de demandes a augmenté au même rythme que le nombre de bourses distribuées, souligne-t-elle. De plus, la valeur de ces bourses n’a pas vraiment augmenté. En fait, c’est plutôt l’inverse en dollars constants. « L’augmentation générale des coûts n’a pas été prise en compte dans les montants alloués », constate Mme Grandvaux.

« Trouver du financement reste difficile. C’est pour ça que les scientifiques commencent à faire du bruit. »

Ce nouveau financement n’est pas non plus à la hauteur de la concurrence internationale, selon elle. « Même si l’État donne plus qu’avant à la recherche, d’autres pays en font encore plus, dit-elle. Résultat : on n’est pas plus concurrentiels qu’avant. »

Les étudiants sont dans le même bateau. Beaucoup ont applaudi l’augmentation du nombre de bourses annoncée en 2019 et les 12 mois de congé parental compris dans celles offertes par les trois grands conseils subventionnaires. Toutefois, l’augmentation des droits de scolarité et du coût de la vie pendant les 20 dernières années ont réduit la valeur de ces bourses, selon Isabella Lim, doctorante en psychologie cognitive à l’Université de Toronto et coprésidente du Réseau de politiques scientifiques de Toronto, une initiative étudiante. Une bourse de doctorat du CRSNG, par exemple, s’élève à 21 000 dollars par année pour une période de trois ans, ou 35 000 dollars pour les meilleurs candidats. « La valeur des bourses stagne depuis 2003, alors que les coûts augmentent chaque année, déplore-t-elle. Les subventions annoncées en 2019 ne sont pas à la hauteur de nos besoins, surtout depuis la pandémie. »

Les bourses supplémentaires et les congés parentaux ne sont accessibles que pour les candidats qui reçoivent un financement fédéral, il est donc encore plus difficile de s’en sortir pour les étudiants qui ne reçoivent pas d’aide fédérale. « C’est tous les étudiants qu’il faut aider », déclare Frank Telfer, étudiant de maîtrise qui se spécialise en cancers chez les enfants à l’Université de Toronto et autre coprésident du Réseau de politiques scientifiques de Toronto.

Nombreux sont les membres de la communauté scientifique à penser que le gouvernement se désintéresse des recommandations restantes du rapport. Depuis le dépôt du budget de 2018, les annonces sur le financement de la recherche se font rares – à l’exception de celles visant à lutter contre la pandémie, qui sont plutôt conséquentes – et le gouvernement n’a pas l’air de se presser. « On a l’impression que le gouvernement considère le problème comme réglé », soutient Sivani Baskaran, doctorante en chimie environnementale à l’Université de Toronto et ancienne présidente du Réseau de politiques scientifiques de Toronto.

Mme Grandvaux est du même avis. Selon elle, la science n’est plus une priorité politique du gouvernement fédéral. « Le gouvernement a réagi au rapport et a répondu à une partie des recommandations, mais je ne pense pas qu’il accorde une plus grande importance à la recherche qu’avant. »

Science ou politique

Si, lors des élections de 2015, Justin Trudeau et le Parti libéral ont activement courtisé la communauté scientifique laissée-pour-compte par le gouvernement conservateur, la science et la recherche n’ont pas été sous les projecteurs dans les campagnes électorales suivantes. « Lors de la dernière élection, personne n’a parlé de la recherche, constate Mme Grandvaux. Pas seulement pour sa valeur intrinsèque, mais aussi pour ses effets bénéfiques sur l’économie, une association que le gouvernement ne semble pas faire. »

Richard Cannings, député du Nouveau Parti démocratique de la circonscription Okanagan-Sud–Kootenay-Ouest et ancien porte-parole de son parti en matière de science, remarque également cette inaction. « La mise en oeuvre du rapport Naylor semble au point mort depuis deux ou trois ans, affirme-t-il. C’est le silence radio du côté du gouvernement. »

En revanche, Santa Ono, recteur de l’Université de la Colombie-Britannique, affirme que le soutien du gouvernement à l’égard de la science ne se compte pas qu’en subventions accordées aux conseils subventionnaires de recherche. Pour lui, d’autres victoires ont été remportées par la communauté scientifique, comme l’engagement du gouvernement à promouvoir l’équité, la diversité et l’inclusion par l’entremise de la charte du programme Dimensions et le resserrement des nouveaux objectifs des Chaires de recherche du Canada. Il pense aussi que le soutien offert par le gouvernement aux étudiants et aux chercheurs pendant la pandémie était parmi les meilleurs au sein du G7.

« Je ne dirais pas que le gouvernement a abandonné la science. Il se penche sur d’autres programmes et investissements de première importance pour la qualité et l’inclusivité de la recherche canadienne, avancet-il. Je pense qu’on ne montre pas assez de gratitude au gouvernement pour ce qu’il a fait. Le rapport Naylor est un legs de ce gouvernement. »

D’ailleurs, M. Ono souhaiterait que l’exercice se répète, idéalement sur une base régulière, pour pouvoir en suivre les retombées sur l’écosystème scientifique international. « Il faudrait produire ce rapport au moins tous les cinq ans, propose-t-il. C’est important de garder un oeil sur nos progrès en tant que pays, sur la façon dont on investit dans les nouvelles générations de chercheurs, et sur comment on se positionne à l’échelle mondiale. »

Rien ne semble indiquer que le gouvernement veuille réitérer ce processus d’évaluation d’envergure, mais les députés pourraient bien trouver leur propre marge de manoeuvre prochainement. Le Comité permanent de la science et de la recherche, un nouveau comité du Parlement présidé par l’ancienne ministre des Sciences, Kirsty Duncan, examinera « tous les dossiers qui concernent la science et la recherche ». D’après M. Cannings, qui siège lui aussi au Comité, le suivi du rapport Naylor devrait figurer au menu. « Pour notre premier projet, nous pourrions nous dire “faisons le point sur le rapport Naylor et ses avancées au fédéral”, songe-t-il. Nous nous sommes donné du mal et avons discuté avec beaucoup d’experts dans le cadre de la réalisation de ce rapport, alors je pense qu’on devrait continuer de nous en occuper. »

François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, considère que ce rapport a joué un rôle indispensable dans les décisions du gouvernement en matière de science et de recherche. En janvier 2022, à l’occasion d’une activité inaugurant les nouvelles bourses du Fonds Nouvelles frontières en recherche, il a laissé entendre que le gouvernement continuerait de faire des subventions de recherche une priorité. « Nos investissements passés témoignent de l’importance qu’on accorde à la science et à la recherche, et je dirais que [l’annonce de janvier] en est une belle preuve. »

Même si le gouvernement met moins l’accent sur le rapport Naylor parce qu’il progresse dans ses politiques en matière de science, le retard qu’accuse la recherche canadienne à l’échelle mondiale souligné dans le rapport reste un problème de taille. D’autres pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine ont récemment investi massivement dans la recherche fondamentale dans le sillage de la pandémie. Le Canada, lui, peine à rivaliser avec ces investissements, malgré ses investissements à l’égard des activités de recherche liées à la COVID-19. Le Royaume-Uni, par exemple, a promis une augmentation de 35 % de son budget pour la recherche d’ici 2026. Une initiative qui rendra plus difficile d’attirer et de retenir les scientifiques de talent. « Les pays s’arrachent les scientifiques sur la scène internationale, explique M. Ono. Nos meilleurs talents ont du choix. Si nous ne rattrapons pas le retard en matière de programmes de subventions et de projets d’infrastructure, nous ne resterons pas attractifs. »

Rattraper le retard demande une stratégie, quelle qu’elle soit. « Que le gouvernement se fie au rapport Naylor ou pas, il ne fait aucun doute qu’il doit investir dans la recherche fondamentale, conclut Farah Qaiser. C’est ce que font d’autres pays, et le Canada risque de perdre la
course. »

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