C’est avec beaucoup de passion et de minutie que Jean-Pierre Perreault, vice-recteur à la recherche et aux études supérieures à l’Université de Sherbrooke et président de l’Acfas, décortique pour Affaires universitaires les différentes facettes de la science d’aujourd’hui et de demain. Formats de diffusion, importance de la relève, nécessité de la multidisciplinarité, culture scientifique : tous des sujets qu’il a abordés sans se faire prier.
Il n’a d’ailleurs pas tardé à livrer le fond de sa pensée sur la place de la science en français au Canada. Pour M. Perreault, des efforts importants sont à faire concernant la publication et la diffusion scientifique en langue française au Canada, l’anglais prenant « de plus en plus » de place dans le milieu de la recherche. « Depuis 2005, 90 % des journaux scientifiques créés au Canada sont en langue anglaise. Sachant qu’environ 7 à 8 % de ces journaux sont bilingues, il en existe donc très peu en français », explique-t-il. Un changement doit avoir lieu en ce qui concerne la « réalisation de la recherche en français », affirme le vice-recteur.
D’après lui, la « diffusion » ne se limite pas à la simple publication scientifique : « Il y a tellement de publications aujourd’hui que les gens ont de la difficulté à suivre. » Il faut que la science se « questionne » sur la façon de présenter la recherche. Une solution à ce problème serait « d’encapsuler » et de « compresser » l’information, tout en donnant accès aux « données spécialisées ». À son avis, les formats de la diffusion sont appelés à évoluer et à devenir une sorte de « capsule ». Un constat qui le mène à compter en partie sur les « nouvelles plateformes de traduction de manuscrits » pour diffuser la science en français. Cependant, même si ces plateformes deviennent de plus en plus « performantes », elles ne sont pas parfaites. « Il y a des éléments qui sont difficiles à traduire. C’est une limite au modèle que je propose, mais bon! […] Le plus important est de pouvoir réaliser la science et trouver des moyens de la publier en français », souligne M. Perreault.
Il faut toutefois veiller à effectuer « l’enseignement en français », qui permet entre autres de « protéger » le « vocabulaire scientifique » et la « manière de formuler les idées », une question « d’identité culturelle », ajoute le vice-recteur à la recherche. Selon lui, la diffusion ne serait toutefois qu’une partie de l’équation que représente la dualité linguistique. C’est en favorisant la « multidisciplinarité » et « l’interdisciplinarité » entre les domaines de recherche que la communauté scientifique francophone deviendra plus « forte », estime l’universitaire. Générer davantage d’interdisciplinarité ne serait toutefois pas facile. Selon lui, l’importance de cette « multidisciplinarité » réside principalement dans la relève ainsi que dans les connaissances « aux frontières du savoir ». Aussi, M. Perreault évoque le devoir des chercheurs et chercheuses de « franchir » ces frontières et d’être en mesure de remettre en question leurs sciences respectives afin de trouver le « meilleur des deux mondes ».
Tout en défendant le rôle « multidisciplinaire » des sciences, le président de l’Acfas met l’accent sur les conséquences de la pandémie et des enjeux internationaux actuels, qui ont fait ressortir, d’après lui, la valeur de la culture scientifique et des sciences pour trouver une solution aux enjeux de la société, et ce, dans toutes les disciplines.
« Nous avons réinventé le télétravail, nous avons réinventé nos relations, nous avons réinventé l’enseignement à distance. Ce ne sera plus jamais la même chose. C’est une multitude de sujets qui entrent en jeu », explique M. Perreault. Le contexte pandémique a démontré, ajoute-t-il, la nécessité « de financer la recherche dans toutes les disciplines, sans exception ». Il considère donc la culture scientifique comme « un rempart pour protéger nos démocraties », indispensable pour le bien-être de la société.
« J’adore former des étudiants. Je crois sérieusement que ma plus grande contribution est de générer un environnement où les étudiant.e.s peuvent s’épanouir pleinement. Ce qui est intéressant, d’un point de vue intellectuel, est le véritable échange d’égal à égal. C’est de cette façon que nous franchissons vraiment les frontières du savoir. »
Même si M. Perreault est à la tête d’une grande société savante, il est avant tout vice-recteur à la recherche et aux études supérieures de l’Université de Sherbrooke : deux fonctions insécables, selon lui. « J’adore former des étudiants. Je crois sérieusement que ma plus grande contribution est de générer un environnement où les étudiant.e.s peuvent s’épanouir pleinement. Ce qui est intéressant, d’un point de vue intellectuel, est le véritable échange d’égal à égal. C’est de cette façon que nous franchissons vraiment les frontières du savoir », explique avec engouement celui qui conçoit la science comme un dialogue bilatéral. Ce qui se veut une forme d’« interdisciplinarité », qui va au-delà des relations entre chercheurs et qui s’étend aux relations entre professeurs et étudiants, soit la base essentielle de toute science, selon M. Perreault.
Cette vision, M. Perreault l’a intégrée dans son quotidien. Dès qu’un événement le permet, comme à la sortie d’une conférence, il essaie toujours de voir comment il peut inclure certains éléments à sa « paillasse de laboratoire » pour les appliquer dans sa spécialité. Chercheur en biologie moléculaire et expert de l’ARN, M. Perreault donne l’exemple d’une recherche effectuée en collaboration avec un de ses étudiants, qui a eu l’idée de « moduler » un « ribosome », une particule présente dans le cytoplasme des cellules vivantes et qui joue un rôle important dans le déchiffrage de l’information génétique inscrite dans l’ARN messager (ARNm). Le duo a réussi à créer un « modulateur » permettant d’inhiber et d’activer ce ribosome à un moment précis, et ce, en intégrant les mêmes équations au système informatique. « On aurait pu se limiter à un article scientifique […] et ça s’arrête là. Tant qu’à faire, on va pousser l’expérience jusqu’au bout et, là, ça va être créatif et original! », explique-t-il.
Celui qui se considère comme un « éternel étudiant » prône la convergence des domaines scientifiques. « Je ne vais pas me contenter d’étudier l’examen pour avoir un A+. Je vais étudier l’examen pour bien comprendre toute la matière et être capable de l’intégrer pour toute la vie. »
Excellent article. La passion de Monsieur Perrault transpire dans le propos. Nous ne dirons jamais assez combien il serait important de rendre plus accessible les résultats de recherche et combien sont importants nos étudiants. Merci.
J’ai lu votre article avec grand intérêt. Je vois un parallèle avec la situation que la plus part des pays dans le hemisphère du sud vivent présentement. Comme vous le savez peut-être je suis au Brésil et récemment, on m’a demandé d’aider sur la question de la décolonization des publications scientifiques non-seulement ici au Brésil mais ce qui est communément appelé le « Global South ». Des pays comme le Brésil, l’Indonésie , la Malaisie et l’Afrique du Sud pour un nommer quelques uns cherchent a promouvoir leurs langues nationales a l’échelle internationale. Certes le problème au Canada reste que le français EST la langue officielle du pays. Or, le problème n’est pas nécessairement l’absence de vouloir d’écrire dans sa langue. Le problème comme Baumvol (voir citation ci-dessous) disait est que dans les sciences dit « dure » (science de la terre, science de la santé, génie, science de l’agriculture) le moyen de se faire reconnaitre a l’échelle internationale et d’obtenir des citations (= fonds de recherches) est d’ecrire en anglais. La valeur épistemologique est moindre dans une autre langue que celle de Shakespeare.
Les sciences dites « mou » (softer) (sciences sociaux, litérature, Arts, science humaine) n’ont pas tant ce problème parce les sujets de ces dernières sont a saveurs locales, régionales ou nationales. Un example facile a reconnaire est la survie de la culture Yanomami en Amazonie. Connais pas? Le nom peut-être pas mais leurs visages certes.
Merci de cette article, je vais m’en servir pour mon travail.