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Cap sur les compétences

Comment répondre à la pénurie de compétences générales qui touche le Canada?

L’économie a besoin de plus de compétences générales. Les universités et les employeurs ont un rôle à jouer.

par LOLEEN BERDAHL | 05 AVRIL 22

Dans le rapport Occasions manquées : Mesurer la valeur non réalisée des compétences des postes vacants au Canada, publié en mars 2022, le Conference Board du Canada écrit : « Nous estimons que la valeur non réalisée des compétences des postes vacants dans l’économie canadienne était de 25 milliards de dollars en 2020, soit 1,3 % du PIB. »

Étonnement, sur les 35 compétences examinées, les 20 les plus difficiles à trouver sont presque toutes des compétences générales, ou non techniques. D’après l’organisme, « les six compétences pour lesquelles les demandes non comblées entraînent les coûts les plus élevés sont l’écoute active, la pensée critique, la compréhension de lecture, l’expression orale, le suivi et la coordination […] Le coût engendré par les postes vacants associés s’élevait à un milliard de dollars ou plus pour chacune de ces compétences. » Ni les mathématiques ni les autres sciences ne figuraient au rang des 20 compétences qui manquent le plus aux employeurs, occupant respectivement la 21e et la 29place sur 35. « Les compétences et tâches techniques […] présentent généralement la plus faible valeur non réalisée. »

La bonne nouvelle, c’est que cette analyse suggère que le Canada parvient à combler ses besoins en compétences scientifiques et techniques. La mauvaise, c’est qu’il semble encore y avoir des lacunes en matière de compétences générales.

On retrouve de la formation en la matière dans toutes les disciplines à divers degrés, mais elle est particulièrement présente en sciences humaines et sociales. Souvent, le plus difficile, c’est d’aider les étudiants à reconnaître les compétences qu’ils ont acquises en classe et à les faire valoir auprès des employeurs. Dans cette chronique, j’explore les possibilités de collaboration entre les universités et les employeurs face à la pénurie de compétences générales qui touchent le Canada.

Ce que peuvent faire les universités

À la lecture de la liste des compétences recherchées, on réalise que les programmes en sciences humaines et sociales ont un rôle majeur à jouer. Pensée critique, écriture, expression orale, compréhension de lecture et perception sociale : autant de compétences que ces programmes se donnent pour mission de perfectionner. Par exemple, le relevé de notes étoffé des étudiants en sciences politiques de l’Université de la Colombie-Britannique témoigne de leur formation quant à ces cinq compétences.

Malheureusement, peu nombreux sont les programmes en sciences humaines et sociales qui établissent si clairement le lien entre les acquis et des compétences professionnelles concrètes. Pour beaucoup d’étudiants (et bien sûr, pour leurs parents), le cliché infondé du serveur diplômé en arts ou en sciences humaines perdure.

Comme l’écrit l’Institut Strada pour l’avenir du travail : « La plupart des gens ignorent par exemple que, ces dernières années, les étudiants diplômés en arts ou en sciences humaines sont plus nombreux que les diplômés en informatique et en ingénierie à rejoindre le secteur des technologies. » Les universités peuvent aider les étudiants à découvrir les débouchés des programmes en sciences humaines et sociales.

Elles peuvent aussi trouver des moyens d’ajouter davantage de formation relative aux compétences générales au cœur des autres programmes. En plus d’exiger des cours au choix en sciences humaines et sociales dans tous les programmes, les universités pourraient proposer des certificats interdisciplinaires, comme le certificat en études internationales de l’Université de la Saskatchewan, dont la formation multidisciplinaire met l’accent sur les compétences générales. Les centres d’enseignement et d’apprentissage des universités peuvent aussi s’accorder avec les responsables des programmes et les professeurs pour adopter des méthodes pédagogiques axées sur le développement de certaines compétences non techniques, comme l’esprit critique et la résolution de problèmes.

En outre, les universités pourraient créer des programmes interdisciplinaires novateurs qui combinent les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques, ainsi que les sciences humaines et sociales – une piste fort intéressante. L’acronyme anglais STEAM (pour science, technology, engineering, arts, mathematics) est sur toutes les lèvres, mais il est encore difficile de dire dans quelle mesure les programmes d’enseignement supérieur l’ont réellement adopté.

Peu importe le domaine, la teneur des programmes en compétences générales doit être explicite : il faut lister ces compétences dans les objectifs d’apprentissage du cours ou du programme, les intégrer aux critères d’évaluation et permettre aux étudiants de les mettre en pratique pendant les heures d’enseignement. Ainsi, ces derniers seront plus aptes à relier ces compétences aux exigences du marché du travail.

Ce que peuvent faire les employeurs

Les universités peuvent en faire beaucoup pour aider les étudiants à perfectionner et à articuler leurs compétences générales, mais ces derniers continuent de se heurter à un problème : les employeurs n’apprécient pas les sciences humaines et sociales à leur juste valeur. Ces disciplines ne sont pas prisées, même si elles répondent précisément aux besoins des employeurs. Pour citer une fois de plus l’Institut Strada pour l’avenir du travail : « Les employeurs affichent mal leurs besoins. Ils ont tendance à surcharger leurs offres d’emploi de compétences techniques avant de les saupoudrer de quelques compétences générales comme la capacité à communiquer, à recevoir et à donner de la rétroaction, et à gérer une équipe. C’est clairement insuffisant pour les employeurs de simplement mentionner qu’ils recherchent de bons communicateurs, des gens ayant l’esprit critique développé et qui collaborent bien avec les autres. »

Le rapport du Conference Board est sans équivoque : ce qui manque le plus aux entreprises, ce sont les compétences générales. À l’avenir, les employeurs devraient peut-être repenser le recrutement, en mettant d’abord l’accent sur les compétences générales, puis sur les compétences techniques. Ils pourraient envisager, d’une part, d’offrir des microcertifications pour consolider le profil robuste des étudiants en sciences humaines et sociales.

D’autre part, ils gagneraient à travailler plus étroitement avec les universités pour mieux comprendre les compétences acquises par les étudiants et définir plus clairement les besoins de leur entreprise.

Les étudiants veulent, entre autres, acquérir des compétences qu’ils pourront mettre à profit dans leur carrière. Les universités veulent, entre autres, que ces derniers transforment leur formation en une carrière florissante. Les employeurs veulent, entre autres, recruter des employés talentueux pour atteindre leurs objectifs. Les universités et les employeurs ont tout à gagner à dialoguer entre eux de leurs intérêts communs.

À PROPOS LOLEEN BERDAHL
Loleen Berdahl
Loleen Berdahl est une universitaire primée. Elle est aussi directrice générale de l’École supérieure de politique publique Johnson Shoyama (Université de la Saskatchewan et Université de Regina), ainsi que professeure et ancienne responsable du programme de sciences politiques de l’Université de la Saskatchewan. Depuis 2016, Mme Berdahl participe à des conférences et visite des campus universitaires d’un bout à l’autre du Canada pour parler de la formation et du perfectionnement professionnels des étudiants. Ses travaux de recherche dans ce domaine sont financés par le programme de subventions Savoir du Conseil de recherches en sciences humaines. Parmi ses plus récentes publications, mentionnons les ouvrages Work Your Career: Get What You Want from Your Social Sciences or Humanities PhD (University of Toronto Press; en collaboration avec Jonathan Malloy) et Explorations: Conducting Empirical Research in Canadian Political Science (Oxford University Press; 4e édition rédigée en collaboration avec Jason Roy).
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