Le passage aux études supérieures demande aux étudiants des sciences humaines et sociales d’adopter une toute nouvelle posture d’écriture, et de s’adapter aux particularités de l’écriture qualitative. C’est à l’invitation de l’Association pour la recherche qualitative (ARQ), qui a tenu un colloque sur le sujet en 2019, que Marie-Hélène Forget et Annie Malo ont codirigé l’ouvrage (Se) former « à » et « par » l’écriture du qualitatif, publié aux Presses de l’Université Laval. Respectivement professeures au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières et au Département de psychopédagogie et d’andragogie de l’Université de Montréal, elles sont également membres du conseil d’administration de l’ARQ.
Affaires universitaires : Qu’est-ce qui distingue l’écriture qualitative?
Mme Malo : Comme la recherche qualitative est plus inductive et se construit avec le terrain et les données, la place de l’écriture est plus grande, mais elle a aussi une forme particulière du fait qu’il faut davantage rendre compte du processus, des étapes dans la recherche. C’est donc reconnaître que la posture d’écriture révèle la posture épistémologique du chercheur, le rapport à la réalité qu’il construit.
Mme Forget : Le chercheur qualitatif assume sa voix; l’écriture qualitative doit faire sienne une posture qui est plus subjective. L’étudiant doit apprendre ce qu’est son écriture : quel est mon style, comment je vais déplier ça? Cet aspect est difficile à enseigner, c’est plutôt de l’ordre d’un accompagnement; c’est un peu en faisant qu’on l’apprend, ce n’est pas formaté.
AU: Pourquoi diriger un ouvrage sur l’écriture qualitative?
Mme Forget : Ça répondait à un besoin : dans la formation de 2e et de 3e cycle en recherche, on parle peu ou pas très bien de l’écriture qualitative. Peu de repères, d’outils, de balises, de cadres, ou de démarche sont proposés pour aider les étudiants à s’approprier cette écriture.
Mme Malo : L’écriture est souvent une bête noire pour les étudiants en recherche qualitative : il y a beaucoup d’embûches, d’obstacles et d’anxiété. Or, l’écriture ne fait pas l’objet de formation formelle : la plupart du temps, ce sont les directions de recherche qui font de l’accompagnement auprès des étudiants.
Il faut dire que l’écriture participe à la formation; elle est centrale dans la démarche de recherche qualitative. Nous voulions documenter ce volet de la recherche et celui de la formation à la recherche, qui est fort important. Ce n’est pas un ouvrage didactique : c’est un ouvrage scientifique qui s’appuie sur des recherches et des cadres théoriques bien étoffés dans le domaine de la recherche qualitative, de l’écriture et des littératies universitaires.
AU : Quelles sont les thématiques abordées?
Mme Malo : Nous couvrons l’ensemble du processus de la démarche de recherche qualitative, de la problématique jusqu’à l’analyse. Chaque texte garde un aspect très pratico-pratique pour les étudiants, en donnant des exemples concrets qui les accompagneront dans leurs démarches, ou donneront des mots aux formateurs.
Mme Forget : Le livre est constitué de deux parties : se former « à » l’écriture et se former « par » l’écriture, même si ces « bulles » ne sont pas étanches. Chacune des parties s’ouvre sur un chapitre écrit par des étudiants, qui font part des défis qu’ils ont rencontrés dans l’apprentissage de l’écriture « à » pour les uns, et « par » pour les autres. À la suite de ces chapitres, on a demandé à des auteurs d’éclairer les propos des étudiants ou d’y répondre. Finalement, chacune des parties se termine par le point de vue de deux spécialistes. La première partie porte donc sur le matériau de l’écriture, alors que la deuxième propose des chapitres où l’on voit la fonction heuristique de l’écriture, c’est-à-dire comment elle aide à la formation à la recherche qualitative chez les étudiants. Au milieu de tout ça, on a un chapitre qu’on a appelé l’intermède, écrit par l’équipe de Thèsez-vous, qui parle du contexte dans lequel on écrit.
AU : À qui s’adresse cet ouvrage?
Mme Malo : L’ouvrage s’adresse à l’ensemble des gens dans les disciplines concernées par la recherche qualitative : sciences sociales, sciences humaines, éducation…
Mme Forget : Notre premier public est les étudiants en rédaction, bien entendu. C’est à eux qu’on souhaite venir en aide, à qui on souhaite offrir des outils. Ces outils intéresseront aussi les personnes qui les accompagnent dans leur cheminement : directeurs, formateurs de recherche, et même, les personnes qui conçoivent les programmes de formation à la recherche.
AU : Tout le monde n’arrive pas aux cycles supérieurs outillé pour écrire…
Mme Malo : Certains baccalauréats sont en effet des bacs professionnels, où il y a moins de place pour la recherche et pour l’écriture propre à la recherche.
Mme Forget : J’ajouterais que ça dépend de la tradition de recherche d’où l’on vient. De plus, certains changeront de tradition de recherche dans leur parcours : dans son chapitre, Linda Bensalah, doctorante à HEC Montréal, explique comment le saut vers la recherche plus qualitative pour sa thèse de doctorat lui a causé bien des maux de tête. Elle a dû réapprendre beaucoup de choses en écriture, à cause de ce changement d’épistémologie.
L’écriture aide à clarifier, à construire, et à organiser sa pensée. C’est souvent en écrivant que l’on comprend de quoi on parle. Les étudiants pensent parfois que l’écriture est un don; mais c’est une compétence, ça se développe!
Cet entretien a été revu et condensé pour plus de clarté.
Excellente initiative. Combien pertinente et utile! Bravo, il fallait le faire.
J’aime bien cette formule de présentation d’un ouvrage.Je connais les deux autrices, et c’est agréable de les entendre nous parler. Je pense que ce volume constituera une référence tant pour les étudiants que pour les professeurs qui dispensenf les cours de méthodes de recherche qualitatives