Au-delà du prix Nobel de médecine – l’énigme du Canada

La priorité que nous accordons aux programmes de financement de la recherche spécialisée plutôt qu’à la science axée sur la découverte compromet nos chances de succès.

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Pour la 96e année consécutive, aucune découverte canadienne n’a été jugée digne d’une nomination pour un prix Nobel de physiologie ou de médecine lors de l’annonce des lauréats, le 7 octobre dernier. Pleinement conscients de cette réalité, les organisateurs d’une conférence tenue à Montéral le 3 octobre 2019 ont discuté des raisons pour lesquelles le Canada demeure infructeux sur ce plan.

Intitulée Beyond The Nobel Prize: Performing Scientific Excellence in Canada (Au-delà du prix Nobel : faire preuve d’excellence scientifique au Canada), la conférence a débuté avec un exposé de l’ambassadeur de Suède au Canada, Urban Ahlin. Ensuite, Nils Hansson de l’Université de Dusseldorf et Thomas Schlich de l’Université McGill ont présenté en matinée les conférencières Janet Rossant, présidente et directrice scientifique de la Fondation Gairdner, Jacalyn Duffin de l’Université Queen’s, intronisée au Temple de la renommée médicale canadienne, et Jocalyn Clark de Londres, éditrice de la publication médicale The Lancet. Tout en admettant le prestige rattaché aux prix Nobel, les données sont claires et on constate un taux étonnamment bas de nominations et de prix pour les Canadiens, et pour les femmes en général. Les conférencières ont reconnu un manque de transparence, même dans le processus de nomination comme tel, les prix Nobel étant restreints comparés aux prix Gairdners, qui sont entièrement ouverts.

Au cours des séances de l’après-midi, des exemples spécifiques de nominations pour les prix Nobel ont été mis de l’avant, et les organisateurs de la conférence, MM. Hansson et Schlich, ont brossé un tableau des réseaux des nominations à ces prix devenus très exclusifs, puis donné un bref historique de la manière dont on en est arrivé là. Les participants à la conférence ont unanimement convenu de la valeur rattachée à ces prix pour la science et du fait que tout effort pour améliorer le classement du Canada serait bienvenu, de même que tout effort pour améliorer de façon radicale l’équité entre les sexes parmi les lauréats.

Aujourd’hui, les prix Nobel de médecine ou de physiologie sont attribués aux scientifiques qui ont eux-mêmes défini un problème à résoudre et la manière d’y parvenir, et qui ont ensuite fait le travail nécessaire pour résoudre le problème grâce à des expériences dont les résultats et l’importance ont résisté à l’épreuve du temps.

Dans les domaines des sciences de la vie, on récompense l’excellence scientifique de manière différente au Canada. Ici, on accorde la préférence aux programmes de financement spécialisés qui excluent en grande partie la science ouverte. Le Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada est accordé à une université par l’entremise de son recteur ou principal, qui a lui-même ciblé un domaine prioritaire à financer. Les chaires d’excellence en recherche du Canada et les chaires de recherche Canada 150, aussi financées par les contribuables canadiens, sont accordées pour des découvertes faites à l’extérieur du Canada et servent à recruter les chercheurs à l’origine de ces découvertes.

Le financement de la science ouverte effectuée par des chercheurs canadiens n’est par contre pas considéré comme une priorité. L’organisme national de financement des sciences de la vie et de la santé, les Instituts de recherche en santé du Canda, est maintenant réduit à accorder de maigres subventions à des projets qui ont un taux de réussite de 15 pour cent et qui sont à prédominance masculine. De multiples rapports ont été rédigés et des frustrations ont été exprimées dans le milieu scientifique, mais les priorités de nos décideurs politiques sont autres. Les perspectives d’obtenir un prix Nobel en physiologie ou en médecine sont par conséquent très peu encourageantes, car les découvertes sont issues de la science ouverte, et non pas de décisions arbitraires venues d’en haut.

Le Canada occupe une place de choix au sein du réseau international de prix pour les découvertes remis par la Fondation Gairdner. Quatre-vingt-douze lauréats Gairdner se sont rendus jusqu’au prix Nobel, dont trois cette année à qui la Fondation Gairdner avait rendu hommage en 2010. Comme la Fondation Gairdner est le plus important facteur de prévision d’un prix Nobel en médecine, toute la communauté scientifique internationale réclame sa reconnaissance.

L’équité entre les sexes est une priorité pour la Fondation Gairdner. Toutefois, le nombre de nominations et de prix obtenus par des femmes demeure sous la barre des dix pour cent. Le nombre de Prix internationaux Gairdner remis à des Canadiens, sans distinction de genre, a connu une brusque diminution qui coïncide avec le manque de financement accordé à la recherche axée sur la découverte au Canada.

Les scientifiques, particulièrement ceux du Canada, ne sont pas du genre à se laisser distraire par le prestige qui est rattaché aux prix. Quand on regarde ce qui se passe dans les laboratoires des sciences de la vie au Canada, on y retrouve en majorité des femmes qui sont principalement motivées par la satisfaction de savoir que leurs découvertes contribueront à la base de connaissances, et auront des répercussions sur la santé et le bien-être. Pendant ce temps, aucun programme scientifique n’était proposé lors des dernières élections fédérales canadiennes.

Peut-être que le 100e anniversaire de notre seul et unique prix Nobel de médecine (Frederick Banting en 1923) sera l’occasion d’entamer une conversation constructive sur l’importance de la recherche axée sur la découverte dans les sciences de la vie.

John Bergeron est professeur émérite titulaire de la chaire Robert Reford et professeur de médecine à l’Université McGill. Kathleen Dickson est chef technicienne à la retraite de l’Institut neurologique de Montréal.

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