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Le printemps dernier, j’aurais normalement dû donner un cours sur la joie et la psychologie positive à Cortone, en Italie. Comme vous vous en doutez, il a été annulé. Je déplorais non seulement le fait de ne pas pouvoir voir les étudiants mettre en pratique les concepts enseignés, mais aussi de ne pas pouvoir siroter ensemble des cappuccinos dans un café voisin après le cours. C’est alors que mon vice-doyen m’a proposé par courriel de donner en ligne mon cours sur les compétences et stratégies en matière de communication, au printemps.

Les gens qui me connaissent vous le diraient : j’aime plus que quiconque être en classe avec les étudiants. J’étais ravi par la perspective de pouvoir donner mon cours en ligne, mais je me demandais comment j’allais pouvoir le faire vu son côté hautement interactif. Honnêtement, je craignais aussi que la popularité de mon cours en souffre (l’automne dernier, il y avait autant d’étudiants sur la liste d’attente que mon cours en comptait). Saurais-je répondre aux attentes en étant réduit à une série de pixels?

Simple et viable

Disposant de quelques semaines pour m’organiser, j’ai tout de suite commencé à lire sur l’enseignement en ligne et à visionner des vidéos sur le sujet. Aïe! J’avais beau savoir comment fonctionne le système de gestion et maîtriser les bases de la pédagogie, je m’interrogeais sur certains points. Heureusement, j’ai pu faire appel à l’expertise d’amis développeurs d’un peu partout au pays, qui ont su me rassurer. Ils m’ont notamment conseillé de privilégier une démarche « simple et viable ».

J’ai vite compris qu’un de mes principes fondamentaux en matière d’enseignement restait valable en ligne : les gens ne s’intéressent à votre savoir qu’à partir du moment où vous vous souciez d’eux. J’ai commencé à réaliser de petites vidéos. J’admets avoir renoncé à la démarche « simple et viable » qu’on m’avait conseillée après avoir été initié au logiciel Final Cut Pro par mon fils, Michael, étudiant en réalisation télé et radio (ce qui nous a en outre permis d’avoir, par écrans interposés, nos plus longues conversations depuis des années).

Alors que l’essentiel de mon cours me semblait raisonnablement prêt, une horrible question m’est venue à l’esprit : et les collations? Il y a quelques années, j’ai pris l’habitude d’apporter une collation pour tout le monde le premier jour de classe, puis d’inviter les étudiants à faire de même par la suite, à tour de rôle. L’automne dernier, un étudiant a fait un petit exposé dans lequel il expliquait ce qui rendait mon cours de quatrième année si formidable. Je revois son diagramme circulaire : « collations, 90 pour cent; enseignement de Billy, 10 pour cent ».

Le premier jour venu, j’ai salué les étudiants avec nervosité. Ce que je préfère au début d’un trimestre, c’est de mémoriser le nom de chacun pour personnaliser mes interventions, mais les noms des étudiants étaient déjà accolés à leurs visages sur Zoom. J’ai donc vite décelé les réels avantages de cet environnement : les étudiants peuvent voir les visages des autres, plutôt que leurs nuques. De plus, lors des activités d’apprentissage, les salles de petits groupes les amènent à collaborer avec une diversité accrue de partenaires, plutôt que de toujours travailler avec les mêmes assis près d’eux.

La plus grande partie du cours a porté sur la prise de parole en public. Les étudiants et moi nous sommes exercés à tenter d’établir un « contact visuel » au travers d’une webcaméra, ou d’imaginer nous adresser à un public en regardant la mosaïque de visages façon The Brady Bunch affichée à l’écran (si vous ne connaissez pas cette série télé des années 1970, cliquez ici). Conscient du stress généré par la pandémie chez les étudiants, je leur ai offert la possibilité de diffuser des vidéos plutôt que de faire leurs exposés en direct. Ça a bien fonctionné. Ils auront bien le temps de s’exprimer devant une salle pleine une fois la pandémie terminée.

Même si mes cours comportent peu de volets magistraux, la création de vidéos de dix minutes pour présenter le contenu a exigé certaines adaptations. J’étais heureux de pouvoir consulter le nombre de vues sur YouTube ou dans l’interface du système de gestion de l’apprentissage pour savoir si les étudiants regardaient vraiment mes vidéos. Contrairement à ce qui se passe en classe, comme je ne pouvais pas voir leurs regards parfois perplexes, j’ai dû trouver de nouveaux moyens de les amener à poser leurs questions.

Gérer les attentes

Quelques semaines après le début du trimestre, un de mes collègues a écrit sur le forum de l’association du personnel : « Nous ne pouvons pas faire en ligne un aussi bon travail qu’en personne, pour d’innombrables raisons. » Ce commentaire a ravivé mes craintes un moment, mais j’y ai répondu en me basant sur mon parcours en psychologie sociale et mes convictions personnelles. Les attentes ont d’importantes conséquences. Les gens qui, comme mon collègue, estiment ne pas pouvoir faire aussi bien en ligne qu’en classe ne peuvent pas profiter des cours en ligne pour se perfectionner. Attention : j’échangerais sans hésiter mon iMac contre une salle de classe. Toutefois, les choses étant ce qu’elles sont, mieux vaut tenter de voir les bons côtés de l’apprentissage en ligne.

Au fil du trimestre, j’ai demandé l’avis de mes étudiants sur divers éléments de mon cours, cherchant entre autres à savoir s’ils préféraient visionner mes vidéos « soigneusement réalisées » plutôt que de regarder ma tête dans le coin de l’écran. Conseil de pro : mieux vaut sans doute vous en tenir à une approche « simple et viable ». J’ai appris à me méfier de mes impressions a posteriori sur le déroulement de mon cours. Les messages positifs des étudiants, non sollicités, m’ont en effet convaincu qu’il est possible de proposer en ligne des cours de grande qualité.

J’admets que certaines petites choses m’ont manqué, comme les échanges en personne avant et après le cours, ou le fait de ne pas pouvoir diffuser avant le cours des chansons puisées dans une liste de lecture créée par les étudiants, comme j’en avais l’habitude. Sans parler du fait que je n’ai pas (encore) trouvé le moyen de partager des collations en ligne.

Titulaire du Prix national 3M d’excellence en enseignement, Billy Strean est professeur à l’Université de l’Alberta.

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