Il est temps d’abattre les
barrières pour les chercheuses francophones

Seulement le tiers des scientifiques dans le monde sont des femmes, mais cette proportion chute brutalement pour celles issues des pays d'Afrique francophone.

Cet article a été publié à l’origine sur le site Web The Conversation. Lisez le texte original.

Dans le monde, seulement le tiers des chercheurs sont des femmes.

Et ce chiffre cache de très grandes disparités régionales.

Récemment, la revue The Lancet a publié un numéro spécial sur les femmes dans la recherche en sciences, qui a eu un grand retentissement. Ce que nous avons surtout remarqué, c’est le manque de visibilité des femmes francophones.

Et cette situation concerne encore davantage les femmes scientifiques issues des pays à faible et moyen revenu (PFMR).

D’après un article de la revue Forbes, le français pourrait devenir la langue la plus parlée au monde d’ici 2050. Que cette prophétie se réalise ou non, on relève plusieurs initiatives visant à promouvoir le leadership féminin francophone, comme la récente publication d’une liste de plus de 200 femmes francophones leaders en santé mondiale. Par rapport aux listes précédentes, la représentation des femmes leaders en santé mondiale des pays à revenu faible ou intermédiaire a sensiblement augmenté, avec un pourcentage plus élevé de femmes du continent africain représentées (46 pour cent dans cette liste contre 13 pour cent dans celle de 2015).

Toutefois, l’émancipation des femmes francophones, c’est-à-dire le fait de « sortir enfin […] d’un état de minorité » est loin d’être une réalité. Ceci est d’autant plus important sur le continent africain : comme le graphique ci-dessous le montre, sur une sélection de six pays (trois anglophones, trois francophones) les chercheuses des pays francophones sont proportionnellement moins nombreuses que dans les pays anglophones. En moyenne, moins de 30 pour cent du personnel de recherche et développement en Afrique subsaharienne sont des femmes.

Comment expliquer de telles disparités ?

Double fardeau patriarcal

Par le passé, la condition des femmes dans la société française a eu une incidence déterminante sur la représentation de ces dernières dans les pays colonisés dont le français est la langue officielle. La situation des Françaises étaient-elles pires que celles des Anglaises, Espagnoles ou Portugaises, autres pays colonisateurs? Difficile de faire l’inventaire ici. Mais on peut noter la chose suivante : la reconnaissance des droits politiques des femmes en France arrivera avec 26 ans de retard sur celle de Grande-Bretagne.

Or, selon certains intellectuels africains, le matriarcat prévalait dans plusieurs sociétés africaines avant la colonisation. Au moment où les pays ont été colonisés, les femmes ont donc subi un double fardeau patriarcal : celui des hommes et des colonisateurs. Après la décolonisation, ces femmes ont évolué dans cet héritage patriarcal qui a façonné leur société. Pendant des décennies, dans ces pays, l’accès à l’université est resté un privilège masculin. Ce contexte a servi d’arrière-plan à la mise en place de la « science patriarcale ».

La complexité de la situation de ces femmes n’est pas suffisamment prise en compte dans les mouvements d’émancipation féministe occidentaux. Le mouvement philosophique actuel de la décolonialité du savoir, impulsé par des chercheurs d’Afrique francophone, pourrait constituer une opportunité pour dépatriarcaliser la science dans les pays francophones d’Afrique. Repensant les positions des hommes et des femmes dans la science, le mouvement encourage l’abandon « des sentiers habituels et conservateurs de la production scientifique et intellectuelle », pour s’orienter vers des approches alternatives – humanistes, ouvertes d’esprit et équitables – dans lesquelles les femmes bénéficieraient d’un accès et d’une visibilité améliorée au sein des processus de production et de partage des connaissances avec un partage du pouvoir.

Une approche intéressante

Repenser la position des femmes scientifiques francophones peut également reposer sur l’adoption de l’approche intersectionnelle – dont nous reconnaissons aussi les limites. Parmi ces limites, on lui reproche par exemple de masquer certaines oppositions qui persistent notamment dans le domaine des études féministes, et d’échouer à concilier analyse de la domination et expérience des dominé.e.s.

L’intersectionnalité représente une approche critique qui permet d’analyser la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination dans une société. L’intersectionnalité pourrait notamment permettre d’examiner les contextes socio-historiques qui sous-tendent la condition des femmes dans les PFMR, en tant que scientifiques et francophones.

Cette approche permet aussi de discerner les multiples niveaux de la dynamique du pouvoir, exercés non seulement par un système patriarcal, mais également par d’autres systèmes de domination qui oppriment les femmes scientifiques francophones en fonction de leur âge, de leurs capacités, de leur apparence, de leur situation géographique ou de la réputation de l’institution pour laquelle elles travaillent. Promouvoir son utilisation pourrait ainsi aider à comprendre la réalité à laquelle les femmes scientifiques francophones sont confrontées et contribuer à surmonter les obstacles.

Trois recommandations

Nous formulons trois recommandations à la communauté scientifique internationale pour agir sur les enjeux structurels qui désavantagent les chercheuses francophones :

  1. Prendre conscience de l’importance et l’impact des recherches effectuées par les femmes scientifiques francophones, et supprimer les barrières linguistiques structurelles qui les empêchent souvent d’obtenir une reconnaissance de leurs publications, ou d’accéder aux subventions de recherche. Pour ce faire la francophonie pourrait envisager de subventionner la part de traduction de certaines publications importantes dans le domaine scientifique ainsi que les appels à candidature à des financements internationaux. Cela pourrait accroître l’implication scientifique des femmes francophones issues des PFMR et garantir que leurs contributions aux échanges scientifiques soient reconnues, entendues et valorisées.
  2. Valoriser le travail scientifique des femmes francophones employées dans des instituts de recherche et des universités situés dans des pays autres que les pays à haut revenu.
  3. Continuer à reconnaître les rôles multiples et croisés attribués aux femmes scientifiques qui sont à la fois mères, épouses, soignantes et professionnelles et qui travaillent souvent dans des sociétés profondément patriarcales. Cela constitue un désavantage comparé à leurs homologues masculins mais aussi à leurs homologues féminines des pays à haut revenu.

Décolonialiser la science pour les femmes francophones des PFMR implique, à plus long terme, de transformer les mentalités patriarcales pour lutter contre les stéréotypes et les préjugés sexistes qui limitent les horizons, les attentes et les objectifs professionnels des filles dès la petite enfance.

Nous croyons que ces transformations sont nécessaires au sein des institutions scientifiques francophones afin de valoriser les femmes scientifiques francophones et soutenir légitimement leur réussite.

Lara Gautier est candidate au doctorat à l’Université de Montréal; Catherine M. Jones est agente de recherche à la London School of Economics and Political Science; Kadidiatou Kadio est  candidate au doctorat en science humaine appliquée à l’Université de Montréal; Muriel Mac-Seing est  enseignante-tutrice à l’Université de Montréal; et Ouedraogo Samiratou est postdoctorante à l’Université McGill.

The Conversation

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