Intimidation envers les chercheurs : plaidoyer pour un véritable engagement institutionnel
Il est temps de réfléchir à la protection des chercheurs par leur établissement d’attache face aux assauts d’individus qui rejettent la science.
Au cours des derniers mois, l’enjeu de l’hostilité sur les médias sociaux a fait couler beaucoup d’encre. Plusieurs personnalités ont levé le voile sur les insultes et les commentaires disgracieux, voire les menaces dont elles ont fait l’objet. Toutefois, l’enjeu ne se limite pas à celles et ceux qui œuvrent dans le milieu médiatique, culturel et politique. Parce qu’ils déboulonnent des idées reçues, parce qu’ils diffusent des connaissances scientifiques, des chercheurs font l’objet de tentatives d’intimidation. Bien que le phénomène ne soit pas nouveau, et que certains aient rapporté leur expérience publiquement, l’intimidation envers les chercheurs semble plutôt méconnue, incluant par les principaux intéressés, jusqu’à ce qu’ils soient ciblés par des intimidateurs. Je l’ai moi-même découvert de cette façon.
La pseudoscience et le système de justice
En 2015, je terminais ma maîtrise en droit. Mon mémoire portait sur l’incidence de la communication non verbale lors de procès. En effet, lorsqu’ils évaluent les propos des témoins, les juges peuvent être influencés par une multitude de facteurs, incluant des idées reçues sur la nature humaine. Par exemple, la nervosité et l’hésitation sont parfois associées au mensonge, alors qu’en réalité, tant les témoins qui mentent que ceux qui disent la vérité peuvent être nerveux et hésitants. Autrement dit, à cause des idées reçues, des témoins honnêtes peuvent être considérés comme malhonnêtes. Puisque l’issue de nombreux procès (p. ex., procès criminels) dépend de la crédibilité des témoins, l’enjeu n’est pas anodin. Dans mon mémoire, en plus des idées reçues, j’abordais l’enjeu des formations sur le « décodage » du comportement non verbal.
En effet, depuis quelques années, ces formations gagnaient en popularité auprès des professionnels de la justice, incluant des policiers, des avocats, et des juges du Québec. Par exemple, dans l’une d’elles, le fait de parler du passé en regardant à droite, de serrer ses lèvres, de se gratter le cou, et de tenir sa main droite avec sa main gauche était associé au mensonge.
Toutefois, la recherche montrait clairement, depuis plus de 10 ans, que de telles interprétations, en plus de n’avoir aucun fondement, étaient dangereuses. Dans le milieu policier, par exemple, de telles interprétations pouvaient mener à des interrogatoires coercitifs et de fausses confessions. Néanmoins, d’importantes organisations ouvraient leurs portes à des formations sur le « décodage » du comportement non verbal. Moi-même, avant ma maîtrise en droit, alors que j’avais un faible niveau de littératie scientifique, j’ai assisté à plusieurs de ces formations, payé des milliers de dollars, et obtenu des « diplômes », pour ensuite me rendre compte, progressivement, que j’avais été séduit par de la pseudoscience, comme l’avaient été des policiers, des avocats, et des juges du Québec.
Le prix à payer pour défendre la science
Tout au long de ma maîtrise en droit, notamment parce que les formations sur le « décodage » du comportement non verbal avaient de nombreux partisans, dans plusieurs pays, et représentaient une véritable industrie, je suis demeuré plutôt silencieux. Je craignais les représailles. Toutefois, alors que je terminais mon mémoire, lors d’une première entrevue pour un quotidien francophone, j’ai critiqué ces formations. J’ai accordé par la suite d’autres entrevues. Puisque mes propos étaient basés sur les arguments de mon mémoire, je croyais que les répliques à venir allaient, à tout le moins, répondre aux arguments de mon mémoire et, par conséquent, être appuyées de données probantes. J’avais tort.
Dès la publication de la première entrevue, plutôt que de répondre aux arguments de mon mémoire, un nombre très restreint, mais très bruyant de partisans de ces formations a tenté, parfois avec une ferveur digne d’un culte, de me discréditer, entre autres sur les médias sociaux. Jusqu’à ce que je quitte Twitter, Facebook et YouTube, parfois même après, des insultes et des commentaires disgracieux à mon endroit ont été publiés. Par exemple, selon certains, j’étais odieux, ingrat et jaloux. J’ai été traité d‘escroc, de menteur et de manipulateur, et apparemment, lorsque mes amis le réaliseraient, ils me trahiraient. Mais les tentatives d’intimidation, beaucoup plus nombreuses que celles décrites ci-dessus, ont dépassé le cyberespace. Par exemple, un collègue qui, comme moi, avait pris position, a fait l’objet de tentatives d’intimidation, ainsi que de propos menaçants de vive voix, et une lettre pour nous discréditer a été envoyé à un centre de recherche où nous avions un projet commun, ainsi qu’à l’université où j’étudiais. Les tentatives d’intimidation continuent aujourd’hui, six ans plus tard. Récemment, par exemple, des chercheurs avec qui j’ai collaboré ont reçu un courriel pour les intimider et me discréditer.
L’institution doit aussi s’engager
Lorsque des idées reçues sont déboulonnées, lorsque des connaissances scientifiques sont diffusées, le grand public peut prendre position sur différents enjeux, en toute connaissance de cause, plutôt que de se fier sur l’autorité d’individus qui n’ont d’expert que le nom d’expert qu’ils se sont octroyé. Toutefois, lorsqu’ils s’expriment publiquement et s’exposent à l’hostilité, les chercheurs, tout comme les vulgarisateurs scientifiques, doit-on le rappeler, peuvent mettre en péril leur santé mentale, physique et sociale. L’expérience que j’ai vécue n’est pas unique. Mais il y a pire encore. Menaces de mort, divulgations de coordonnées personnelles (« doxxing »), colis suspects, mises en demeure, procédures judiciaires, appels anonymes, messages vulgaires et agressifs, insultes xénophobes et misogynes, et harcèlement à leur endroit et à l’endroit de leur famille, voilà ce à quoi d’autres ont été confrontés.
Quel doit être ici le soutien institutionnel? En l’absence d’un véritable soutien, peut-on espérer que des chercheurs ayant un horaire chargé, que des doctorant.e.s et des postdoctorant.e.s ayant un avenir incertain, défendent seuls les résultats de la recherche publique, avec la peur constante que des intimidateurs passent de la parole aux actes?
La ministre de l’Enseignement supérieur a récemment mis sur pied un comité d’experts sur la reconnaissance de la liberté académique. Voilà une précieuse occasion pour réfléchir sur la protection des chercheurs par leur établissement d’attache face aux assauts d’individus et d’organisations qui rejettent l’état de la science; parce que les promesses lors d’entrevues télévisées et les louanges lors de remises de prix sont insuffisantes pour protéger la santé mentale, physique et sociale des chercheurs qui, pour le bien-être collectif, s’expriment publiquement.
Vincent Denault est chercheur postdoctoral au Département de psychopédagogie et de psychologie du counseling de l’Université McGill. Il est titulaire d’un doctorat en communication de l’Université de Montréal. Il est le cofondateur et le codirecteur du Centre d’études en sciences de la communication non verbale du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.
Ce texte a été publié à l’origine par le Magazine de l’Acfas. Lisez le texte original.
Postes vedettes
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
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