Le livre universitaire que vous ne connaissez pas encore

Stimuler la réflexion sur la vie universitaire en livrant ses impressions sur différents ouvrages est l'objectif principal d'Yves Laberge dans cette nouvelle chronique.

24 janvier 2019

Les universitaires doivent lire constamment, mais il est toujours appréciable de pouvoir profiter des conseils et des impressions d’autres collègues. Cette nouvelle chronique veut faire connaître des livres de différents domaines afin de stimuler la réflexion sur la vie universitaire. Pour cette chronique inaugurale, l’ouvrage posthume du professeur Umberto Eco, intitulé Comment écrire sa thèse, a été choisi.

Il existe plusieurs ouvrages sur la recherche doctorale, mais qui voudrait se priver d’un guide privilégié comme Umberto Eco?

Philologue, sémiologue, professeur de philosophie à l’Université de Bologne et romancier dans ses temps libres (Le Nom de la rose), le grand Umberto Eco (1932-2016) était avant tout un érudit et le contraire d’un spécialiste cantonné à un seul domaine. Parmi la vingtaine de ses livres traduits en français, Comment écrire sa thèse se présente comme un recueil de conseils et de mises en garde pour les futurs thésards, car ses stratégies pourront même faire gagner du temps aux étudiants qui envisagent de faire une thèse. Il y aborde entre autres comment choisir son sujet et quels sujets éviter, comment citer et éviter le plagiat, comment ne pas se faire exploiter par son directeur de thèse, ou, simplement, par où commencer. Universitaire à l’esprit encyclopédique, M. Eco encourage les nouveaux thésards à consulter en premier lieu les encyclopédies et les répertoires bibliographiques autour du sujet que l’on veut explorer. Puis, il rappelle l’importance de la conceptualisation, passage obligé dans toute thèse : « Il faut définir les termes que l’on utilise ». Pour nourrir toute recherche, il faut accumuler des citations pertinentes, glanées au fil des lectures, mais aussi ce que M. Eco appelle des « fiches de raccord », qui permettent d’appuyer un argument ou de passer logiquement d’un point à l’autre sans donner l’impression de passer du coq à l’âne.

Subdivisé en cinq parties, Comment écrire sa thèse justifie la pertinence du travail doctoral, propose quatre règles de base, explique comment bien cerner son sujet, pose des questions comme « Faut-il apprendre une langue étrangère pour faire sa thèse? » ou « Combien de temps faut-il pour compléter sa thèse? ». D’autres sections s’interrogent sur la part de la théorie, sur les inévitables dimensions historiques et politiques, sur des technicalités comme les citations et les notes en bas de page. Les dernières pages portant sur ce que M. Eco nomme « la fierté scientifique » sont lumineuses.

Bien sûr, on ne saurait reprocher à ce livre d’avoir été rédigé en 1977 ou de ne pas tenir compte des dernières avancées technologiques, que ce soit pour l’accès à Internet ou pour toutes les nouvelles possibilités offertes aux chercheurs par les humanités numériques. Dans ce cas, ces critiques seraient injustifiées. Le lecteur du XXIe siècle sera assurément capable de recontextualiser un guide comme celui-ci et l’adapter à sa réalité; ainsi, lorsque M. Eco définit la thèse comme « un travail dactylographié, dont la longueur peut varier de cent à quatre cents pages, dans lequel l’étudiant traite un sujet en rapport avec les études qu’il est en train de terminer », on sait pertinemment que l’on ne tape plus son doctorat à la machine à écrire, mais que le résultat demeure néanmoins une thèse!

En plus de l’utilité immédiate d’un tel ouvrage, celui d’Umberto Eco se distingue par le style — inimitable et d’une grande clarté — d’un auteur d’une vaste culture, ce qui se perd hélas! dans le monde académique. Ayant été professeur invité dans plusieurs pays, M. Eco est en mesure de comparer les campus les plus divers, opposant la prestigieuse Oxford aux « universités de masse » de l’Italie des années 1970. Il faut suggérer ce livre aux futurs thésards, mais également aux jeunes directeurs de thèse, afin de bien comprendre la part nécessaire de l’érudition dans un travail de troisième cycle universitaire. Même les étudiants de premier cycle trouveront ici une manière de démystifier l’univers inconnu du troisième cycle. Les lecteurs anglophones pourront se référer à la traduction anglaise de ce livre inspirant, parue sous le titre How to Write a Thesis (Cambridge, MIT Press, 2015).

Umberto Eco, Comment écrire sa thèse. Traduit de l’italien par Laurent Cantagrel. Paris, Flammarion, 2018 [2016 pour la première traduction en français], 338 pages. Réédité en format poche en 2018 dans la collection « Champs Essais » chez Flammarion. Aussi disponible en version électronique.

 

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