Les trolls dégradent l’évaluation par les pairs
Le processus à l’aveugle et le sarcasme ambiant sur Internet encouragent des comportements grossiers et contraires à l’éthique.
J’ai commencé à écrire des articles dans des publications savantes au début des années 2000, peu après être entré pleinement dans l’ère numérique. Ayant fini mes études et pris le virage technologique sur le tard, j’ai découvert l’évaluation par les pairs et la culture d’Internet simultanément.
Mon tout premier article de recherche, que j’ai remis en mains propres au rédacteur en chef, a fait son chemin dans les méandres du processus d’évaluation sur papier. Il m’est revenu par la poste avec un avis de refus fondé sur les maigres commentaires du « relecteur B », formés de phrases incomplètes, brutales et bourrées de fautes. Ayant peu d’expérience à l’époque, je m’imaginais que ces commentaires venaient d’un collègue beaucoup plus occupé et chevronné que moi, qui savait des choses que j’ignorais et qui manquait de temps pour justifier ses remarques et son verdict.
Quinze ans et plusieurs articles plus tard, ma participation à l’évaluation par les pairs s’est faite en parallèle à la prolifération de la cyberintimidation et de la culture du troll, qui demeure un problème grave ailleurs sur Internet. Un collègue m’a récemment fait part de ses préoccupations au sujet des évaluations de son premier article qu’il tentait de faire publier. Cette fois, le relecteur B avait osé faire des suppositions sur l’origine ethnique de l’auteur et s’était permis des remarques désobligeantes au sujet de la relation entre auteurs chevronnés et débutants. Au lieu de se pencher sur le contenu de l’article et d’en critiquer l’analyse, il avait émis des opinions au gré de ses arrière-pensées.
Bien que réalisées à quinze ans d’intervalle, ces « évaluations » ont certains points en commun : un ton généralement négatif, des commentaires narquois et hors-sujet fondés sur des suppositions erronées et des partis pris, et de vagues critiques sans lien avec celles des autres relecteurs. Elles sont aussi toutes les deux hypocrites, en ce sens qu’elles présentent les travers qu’elles prétendent elles-mêmes dénoncer, à savoir des affirmations non vérifiées, une rigueur douteuse et un manque d’étoffement. Elles n’apportent rien de constructif, ce qui signifie que le troll évaluateur ne prend au sérieux ni son rôle de relecteur, ni la revue qui a retenu ses services, ni ses supposés collègues – ses homologues dans le processus d’évaluation.
Mon expérience m’amène donc à poser la question suivante : quelle valeur l’évaluation par les pairs a-t-elle en sciences humaines? Le processus est censé soumettre les travaux de recherche au regard objectif – ou à tout le moins indépendant – d’autres spécialistes. Il est censé garantir la rigueur des travaux et offrir aux lecteurs et autres utilisateurs du savoir l’assurance que les affirmations non fondées et les analyses irrecevables sont filtrées par des personnes qualifiées avant la publication. L’évaluation se déroule selon des protocoles établis, qui encadrent la critique du contenu et structurent les échanges entre chercheurs.
Après mûre réflexion, j’en suis venu à la conclusion que les processus actuels d’évaluation par les pairs sont souvent contre-productifs. Le système d’évaluation à double insu ne m’offre aucune assurance – pas plus qu’aux lecteurs – que les relecteurs sont des professionnels qualifiés. L’anonymat peut déresponsabiliser ces derniers et leur permettre de remplir leur mandat de piètre façon sans craindre d’éventuelles répercussions sur leur évaluation annuelle, même s’ils ont mal servi leur revue, leur discipline et leurs collègues. Il peut même favoriser les comportements grossiers et contraires à l’éthique. Enfin, les évaluations faites par des trolls représentent une perte de temps et d’énergie pour les auteurs, les éditeurs et leurs collègues ayant relu les versions préliminaires.
Cette expérience est pour moi source de nombreuses questions :
- Les évaluations favoriseraient-elles la collégialité et la responsabilisation si elles étaient ouvertes?
- Les formats numériques sont-ils un bon moyen de resserrer les échanges entre auteurs, relecteurs et éditeurs, de façon à améliorer et rendre efficace l’évaluation par les pairs (p. ex. grâce à l’utilisation de plateformes audiovisuelles en ligne pour critiquer et défendre des articles)?
- De façon générale, si je reçois de pareilles évaluations de la part de prétendus collègues appartenant à une discipline, à une association ou à un réseau dont je fais partie, est-ce que je tiens à y participer?
- De quels autres moyens dispose-t-on pour évaluer les travaux de recherche, confirmer leur validité et leur qualité, et communiquer avec nos pairs?
Ma modeste expérience en milieu universitaire me donne à penser qu’Internet et les médias sociaux n’ont fait que faciliter des comportements déjà présents dans l’évaluation par les pairs. Les avancées numériques permettent peut-être de travailler plus efficacement et de traiter un plus grand nombre d’articles, mais pour améliorer les échanges entre auteurs et relecteurs et enrichir la connaissance, nous devons revoir l’objectif et la formule des évaluations par les pairs. À l’heure où nous misons sur les nouvelles technologies pour faciliter les évaluations, il est grand temps d’examiner soigneusement le processus même d’évaluation par les pairs en milieu universitaire.
Ryan Bullock est professeur agrégé en études environnementales et directeur du Centre for Forest Interdisciplinary Research de l’Université de Winnipeg.
Postes vedettes
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
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