Rendre les programmes d’études à l’étranger accessibles

Accroître l’accès à ces programmes et adopter de meilleures stratégies promotionnelles permettraient aux universités d’avoir un bassin de candidatures diversifié.

12 juillet 2024

Étudier à l’étranger peut être une expérience transformatrice, souvent associée à une réussite accrue dans les études et la vie professionnelle, à une meilleure sensibilisation au monde et à une amélioration des compétences interculturelles. Cependant, les programmes d’études à l’étranger sont en grande partie inaccessibles aux étudiantes et étudiants appartenant à des groupes dignes d’équité, malgré la diversité croissante de la population qui fréquente les établissements postsecondaires. Le profil type d’une personne participant à un programme d’études à l’étranger est généralement celui d’une personne aisée appartenant à la race blanche et au sexe féminin. En revanche, les étudiantes et étudiants racisés, à faible revenu, de première génération ou encore en situation de handicap sont toujours sous-représentés dans la plupart des programmes d’études à l’étranger partout dans le monde. Les établissements d’enseignement supérieur s’engagent de plus en plus à promouvoir l’équité, la diversité, l’inclusivité et l’accessibilité sur leurs campus pour favoriser la réussite de la population étudiante. Ainsi, ils devraient chercher à accroître l’accès aux programmes d’études à l’étranger afin que l’ensemble des étudiantes et étudiants puissent profiter d’une telle expérience. Pour atteindre cet objectif, il faut d’abord se poser la question suivante : quels sont les obstacles les plus fréquents auxquels font face les personnes appartenant à des groupes dignes d’équité et souhaitant étudier à l’étranger?

Obstacles

Les frais : selon les études actuelles, les frais de ces programmes sont l’obstacle le plus fréquent. Les personnes qui étudient et travaillent en même temps prendraient également en compte le prix qu’elles paieraient en choisissant de suivre ces programmes, à savoir, la perte de leur revenu pendant leur séjour à l’étranger, surtout si elles assument des obligations familiales.

Une faible sensibilisation aux résultats des programmes : les étudiantes et étudiants sont souvent peu convaincus que les études à l’étranger peuvent être utiles, tant sur les plans éducationnel que professionnel, même pour les personnes ayant déjà voyagé. Ainsi, il serait possible de susciter leur intérêt si les programmes d’études à l’étranger étaient présentés comme une expérience de formation, de perfectionnement professionnel et d’épanouissement personnel plutôt que comme une forme de tourisme.

Des lacunes dans la promotion des programmes : dans leur analyse qualitative de la publicité en ligne des programmes d’études à l’étranger, les spécialistes Mary K. Gathogo et David Horton Jr. constatent que les images utilisées représentaient presque toujours des personnes non racisées et sans handicap apparent. Amy Yeboah, professeure agrégée à l’Université Howard aux États-Unis, note également que ces programmes utilisent parfois un langage néocolonial dans leurs outils de promotion, tels que « Le monde est notre salle de classe » ou encore « Votre découverte. Nos gens ». Mme Yeboah souligne à juste titre que ce langage rappelle « les ontologies matérialistes occidentales, reprend l’axiologie de la conquête et adopte une vision du monde axée sur le contrôle et la maîtrise » qui est « sans surprise antithétique » pour les étudiantes et étudiants issus de minorités aux États-Unis.

Le capital social et culturel : le profil type d’une personne qui suit un programme d’études à l’étranger est souvent celui d’un individu qui a grandi dans une famille pour qui les voyages à l’étranger sont une chose commune, dont les membres influencent le choix de la destination et participent activement à la préparation avant le départ. Cette personne dispose souvent aussi d’un réseau social solide composé de proches partout dans le monde, ce qui peut l’aider davantage à visualiser et à planifier son expérience à l’étranger. Ces atouts et réseaux ne sont pas toujours disponibles pour les étudiantes et étudiants de première génération ou racisés dont les réseaux sociaux et les connaissances culturelles ne s’étendent pas nécessairement aux destinations typiques des études à l’étranger.

Manque de programmes pertinents sur le plan culturel : il existe très peu de programmes pertinents sur plan culturel pour les étudiantes et étudiants racisés, malgré les recherches qui montrent que de nombreuses personnes souhaitent étudier dans des pays qui leur permettent d’en apprendre davantage sur leur patrimoine.

Ci-dessous se trouvent quelques recommandations permettant d’éliminer ces obstacles afin d’augmenter le nombre de personnes appartenant à des groupes dignes d’équité participant à une expérience d’études à l’étranger.

Recommandations

Le gouvernement du Canada a lancé un programme pilote quinquennal de mobilité étudiante vers l’étranger en 2019, affectant 95 millions de dollars sur cinq ans pour améliorer la participation aux programmes de mobilité étudiante vers l’étranger. La moitié des fonds ont été entièrement alloués aux personnes appartenant à des groupes sous-représentés. Cependant, nombreuses parmi elles ne sont pas au courant de ce financement et pourraient être découragées à l’idée de devoir suivre un processus de demande compliqué pour pouvoir en profiter. En outre, les étudiantes et étudiants peuvent profiter du financement offert que s’ils participent à des projets financés par le biais du programme Expérience compétences mondiales.

De l’autre côté de la frontière, le gouvernement fédéral américain propose le programme de Bourses d’études internationales Benjamin A. Gilman aux étudiantes et étudiants aux moyens financiers limités. Le formulaire de demande est facilement accessible et le site Web du programme énumère de manière concise les critères d’admissibilité et les échéances. Plus important encore, le site Web présente un éventail de témoignages permettant aux personnes intéressées de s’identifier à des étudiantes et étudiants aux identités intersectionnelles ayant vécu une expérience d’études à l’étranger. Au Canada, le programme Expérience compétences mondiales, administré par Universités Canada, qui publie Affaires universitaires, a démontré les retombées positives de la réduction des frais des études à l’étranger perçus comme un obstacle. Ainsi, l’octroi d’un financement à dimension individuelle pour compléter le financement offert par les programmes d’études peut donc favoriser une meilleure participation des personnes sous-représentées.

Le programme de Bourses d’études YAALI (Young AfricanA Leadership Initiative) offert à l’Université Howard est un exemple de programme axé sur le patrimoine et pertinent sur le plan culturel, dans le cadre duquel les étudiantes et étudiants se rendent à diverses destinations en Afrique pour explorer leurs identités, réfléchir à l’histoire de leur pays de destination et offrir des services communautaires. Les universités canadiennes pourraient mettre sur pied des activités similaires en proposant des programmes dirigés par des membres du corps professoral. Elles devraient donc trouver parmi ces membres des personnes souhaitant accompagner un groupe étudiant, à la fin d’un cours, lors d’un voyage idéalement axé sur la culture, l’identité, la langue l’histoire de destinations d’études non traditionnelles.

Les universités canadiennes peuvent également adapter des programmes existants dans des destinations traditionnelles. Par exemple, le programme de stages à l’étranger Douglass O’Connell, anciennement connu sous le nom de programme de stages à l’étranger Frederick Douglass Global, est un programme entièrement financé et destiné aux étudiantes et étudiants américains issus d’établissements fréquentés par des membres de communautés minoritaires et souhaitant poursuivre leurs études à Londres, au Royaume-Uni. Ce programme constitue une occasion unique de tirer parti de programmes existants puisqu’il aborde de manière explicite la communication interculturelle et les thèmes d’identité tout en encourageant le service communautaire. Lors de son séjour, le groupe étudiant était encadré par des membres du personnel qui valorisaient leurs identités culturelles et leurs origines. Le programme comprenait également une visite à Brixton, un quartier de Londres qui offrait aux étudiantes et étudiants la possibilité de rencontrer d’autres membres de la diaspora africaine et de discuter de leurs propres identités. Les établissements d’enseignement supérieur canadiens peuvent également adapter leurs programmes existants pour mieux répondre aux besoins des groupes étudiants sous-représentés qui se rendent à des destinations d’études non traditionnelles.

Les services de mobilité étudiante devraient également revoir leurs matériels promotionnels pour s’assurer que les messages, photos et vidéos sont inclusifs et reflètent les nombreux débouchés des programmes d’études à l’étranger. La façon dont ils sont présentés est un moyen puissant qui permet d’augmenter la participation à ces programmes et les services de mobilité étudiante sont bien placés pour renforcer le capital social et culturel des personnes sous-représentées tout en facilitant l’établissement de relations entre pairs. Discuter avec des pairs qui se sont rendus à l’étranger permettrait aux étudiantes et étudiants de décider quel type d’expérience leur conviendrait le mieux. Il est donc crucial que des personnes issues de milieux sous-représentés fassent part de leurs expériences et que leurs voix soient présentes dans les matériels promotionnels.

Points clés à retenir

Les étudiantes et les étudiants appartenant à des groupes dignes d’équité font face à de nombreux obstacles qu’il faudra éliminer afin d’accroître leur participation à des programmes d’études à l’étranger. À l’échelle du gouvernement, l’obstacle des frais peut être surmonté en offrant un financement fédéral individuel qui viendrait compléter le financement provincial et celui offert par les établissements.

À l’échelle des établissements, les services de mobilité étudiante doivent améliorer leurs stratégies et matériels promotionnels en mettant l’accent sur les avantages des études à l’étranger tant sur les plans professionnel qu’éducationnel. Ils devraient également recueillir et mettre en avant des témoignages d’étudiantes et étudiants appartenant à des groupes dignes d’équité qui répondent directement à des préoccupations que d’autres personnes pourraient avoir au sujet des études à l’étranger.

Enfin, les services de mobilité étudiante devraient viser à diversifier le contenu, les destinations et l’accessibilité (c’est-à-dire les programmes mondiaux à domicile tels que le programme Collaborative Online International Learning [COIL]) des nouveaux programmes pour mieux servir une gamme élargie de la population étudiante et adapter les programmes existants en vue d’offrir des occasions d’études à l’étranger pertinentes sur le plan culturel pour les personnes racisées. En soutenant la mise en œuvre de ces recommandations aux différentes échelles des parties prenantes, les chefs de file de l’enseignement supérieur peuvent aider à garantir que les étudiantes et étudiants appartenant à des groupes dignes d’équité puissent profiter des nombreux avantages des études à l’étranger sur les plans personnel, professionnel et éducationnel.

Rida Fatima est une professionnelle de l’enseignement supérieur au Centre de l’expérience internationale de l’Université de Toronto.

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