Universitaires : que faire de votre année sabbatique?

Quelle est la place du congé sabbatique dans la carrière académique? Comment la recherche peut-elle tirer parti de ce temps?

13 avril 2018

Cet article a été publié à l’origine sur le site Web The Conversation. Lisez l’article original.

Année sabbatique : voilà bien un thème qui fait rêver les universitaires. Chacun a de multiples projets pour une année sabbatique, qu’elle ait lieu ou pas. On s’imagine écrire un livre, faire une habilitation à diriger les recherches, lancer une nouvelle thématique de recherche, refaire du terrain, aller présenter ses recherches aux collègues du monde entier, préparer un nouveau cours ou transformer significativement ceux qu’on donne déjà.

L’année sabbatique permet de s’abstraire du quotidien, relâcher le contrat psychologique qui nous lie aux étudiants et aux universités, diminuer la pression et retrouver du temps pour s’investir dans un nombre limité d’activités liées à la recherche ou à l’enseignement. Quelle est la place du congé sabbatique dans la carrière académique? Comment la recherche peut-elle tirer parti de ce temps?

S’abstraire ou s’engager?

L’année sabbatique universitaire est un temps qui permet au chercheur de s’éloigner temporairement de la multiplicité des tâches et des vicissitudes de la vie universitaire. Si l’on revient à l’étymologie de l’année sabbatique, le sabbat est le jour de repos hebdomadaire l’Ancien Testament.

C’est un temps où l’activité quotidienne s’arrête pour se consacrer à la réflexion, à la prière ou à l’étude. Par extension, dans certains pays, l’année sabbatique est un droit ouvert au salarié, durant lequel le contrat de travail est suspendu sans être rompu pour que le salarié puisse se consacrer à toute activité de son choix.

Dans le monde académique, l’année sabbatique (ou le semestre) libère les enseignants-chercheurs de leurs obligations pédagogiques pour prendre le temps de renouveler leurs thématiques de recherche, leurs collaborations et de réinvestir un nouveau champ de recherche ou d’enseignement.

Le sabbatique crée un espace de liberté qui permet de relâcher la pression. La vie universitaire est stressante malgré l’absence de menaces sur l’emploi (en France du moins) et la relative diversité du travail. Le contrat est essentiellement psychologique dans un univers où les échanges symboliques dominent, l’absence de hiérarchie expose le personnel de même que le flou des responsabilités. Les attentes sont souvent contradictoires, les injonctions paradoxales dans un monde où les universitaires sont jaloux de leur indépendance et de leur liberté. L’année sabbatique est un moment où le contrat psychologique se relâche. Davidson et coll. soulignent que les universitaires qui font une année sabbatique voient leur stress et leur risque de surmenage professionnel diminuer lors de l’année sabbatique et dans l’année suivante. La satisfaction et le bien-être au travail augmentent.

L’année sabbatique est un moment d’engagement pour le futur. Il ne s’agit pas de moissonner les articles ou projets laissés en jachère (la récolte est souvent décevante !) mais de profiter du temps disponible pour tester des sujets ou lancer une nouvelle thématique. Elle permet d’envisager l’activité de recherche sur un temps long. Mais attention, la procrastination guette. L’écriture est une activité difficile et souvent douloureuse qui requiert une pratique régulière et s’inscrit souvent dans des temps courts car il est impossible de se concentrer sur le long terme.

Les conditions de réussite d’une bonne sabbatique

Plutôt commencer que finir, profiter de ce temps privilégié pour débuter un nouveau programme de recherche, retrouver le plaisir de découvrir comme un doctorant naïf et émerveillé des nouvelles approches théoriques, de nouveaux terrains ou de nouvelles bases de données.

Réussir sa sabbatique comporte deux dimensions, pour l’individu tout d’abord et pour l’université qui l’emploie ensuite. Je souhaiterais partager avec vous quelques observations qui me tiennent à cœur.

Partir est important. Mais il faut bien préparer son départ. C’est un investissement psychologique et financier important même si le professeur reçoit habituellement durant son année sabbatique son salaire habituel. Quand on part, l’année sabbatique s’étend sur trois ans. Une année de préparation, avec l’identification d’un lieu et de collègues pertinents pour les projets de recherche en développement et, souvent, recherche de financement qui nécessite de mettre noir sur blanc le projet et l’approche théorique et méthodologique.

Une année durant laquelle le programme de recherche est mis en œuvre, de nouvelles conversations émergent avec des collègues différents qui nous socialisent à d’autres pratiques scientifiques, une autre organisation du travail et de nouvelles interactions.

Finalement, il y a le retour, avec la continuation du programme de travail qui vient compléter ou renouveler l’activité antérieure. Le sabbatique est aussi l’occasion de mettre en perspective ses propres pratiques de recherche ou l’organisation au sein du département de recherche, grâce à la découverte de ce qui se passe ailleurs.

Un sabbatique est perturbant. Elle casse les repères et peut être paralysante. C’est pourquoi prévoir les premières semaines est essentiel. Il est aussi clé de « routiniser » un certain nombre d’actions, l’écriture notamment. La sabbatique est une excellente occasion pour tester une nouvelle organisation de son travail, sanctuariser des temps d’écriture, de lecture, d’arbitrage d’articles or d’interactions avec ses collègues.

Partir permet de s’éloigner des bruissements politiques qui peuplent les couloirs de nos universités. Cela permet de réduire les tensions, de relativiser les injonctions et les urgences. En ce sens, partir constitue une libération, et on s’aperçoit souvent au retour de sabbatique que les transformations radicales auxquelles il fallait s’atteler urgemment nous ont attendus bien sagement.

Cependant le retour de sabbatique n’est pas simple. Si la sabbatique a été riche en découverte, le retour peut être frustrant surtout si la direction de l’université ne prévoit rien de spécifique. C’est pourquoi il est important de prévoir non seulement son départ mais aussi son retour! On part toujours pour l’organisation qui valorisera notre expérience au retour.

Vincent Mangematin est directeur de la recherche, Grenoble École de Management (GEM)

The Conversation

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