À la rencontre du plus récent lauréat d’un prix Nobel au pays

Michael Houghton parle de virus et de mises à l’essai accélérées de vaccins, et souligne l’importance de ne pas négliger les champs complexes de la médecine.

04 novembre 2020

Quand le téléphone sonne en plein milieu de la nuit, c’est souvent le présage d’une terrible nouvelle. Pourtant, ce 5 octobre, lorsque la sonnerie a retenti à 3 h du matin et qu’elle a extirpé Michael Houghton d’un profond sommeil, elle n’était pas de sinistre augure, bien au contraire. Son collègue Lorne Tyrrell l’appelait en effet pour le féliciter d’avoir remporté le prix Nobel. Si le comité Nobel n’avait pas encore réussi à joindre le chercheur, la nouvelle s’était déjà répandue comme une traînée de poudre sur Internet. M. Houghton, ainsi que ses deux collègues américains, Harvey J. Alter et Charles M. Rice, venaient de recevoir le prix Nobel de médecine pour leurs travaux sur le virus responsable de l’hépatite C, une maladie à l’origine de 400 000 décès prématurés chaque année dans le monde.

M. Houghton est titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur la virologie et professeur Li Ka Shing de virologie à l’Université de l’Alberta, où il dirige également l’Institut de virologie appliquée Li Ka Shing. Il confie avoir assimilé la nouvelle de son prix alors qu’il était encore ensommeillé, pour ensuite tenter en vain de se rendormir. Le coup de fil officiel est finalement arrivé vers 6 h du matin.

Cette année, le prix a été décerné conjointement aux trois scientifiques pour leur « contribution décisive à la lutte contre l’hépatite à diffusion hématogène, un problème de santé mondial majeur qui provoque la cirrhose et le cancer du foie », a annoncé l’Assemblée Nobel de l’Institut Karolinska de Stockholm.

Histoire de l’hépatite et itinéraire du scientifique jusqu’au Nobel

L’hépatite, venant de mots grecs signifiant foie et inflammation, est connue sous deux formes depuis les années 1940. L’hépatite A, qui a généralement des effets à court terme, se transmet par ingestion d’eau ou d’aliments contaminés. L’hépatite B, qui peut causer une maladie chronique et une mort prématurée, se transmet quant à elle par le sang et les liquides biologiques. C’est dans les années 1960 et 1970 que les agents responsables des hépatites A et B ont pu finalement être identifiés, facilitant ainsi la mise au point de tests diagnostiques pour dépister ces virus dans les dons de sang. Malgré cette avancée, des cas d’hépatite d’une forme inconnue ont continué à être observés chez des gens ayant reçu une transfusion sanguine qui étaient au cœur des travaux de M. Alter aux National Institutes of Health des États-Unis. Des études ultérieures ont permis de mieux définir le virus à l’origine de cette hépatite, qualifiée initialement de « non A non B ».

L’identité précise de ce virus a laissé les scientifiques perplexes pendant plus d’une décennie. Dans les années 1980, M. Houghton, qui exerçait alors au sein de l’établissement pharmaceutique Chiron, a travaillé à l’isolement de la séquence génétique du virus. Lui et son équipe ont réussi à créer une banque de fragments d’ADN à partir d’acides nucléiques trouvés dans le sang d’un chimpanzé infecté. Grâce au sang de patients contaminés par l’hépatite non A non B, ils ont ensuite eu recours au clonage bactérien pour identifier les protéines virales. « Nous avons fait l’hypothèse qu’un anticorps anti-hépatite C, s’il était présent, se lierait au clone bactérien exprimant la protéine de l’hépatite C », explique le scientifique.

Après avoir passé en revue des centaines de millions de clones, ils sont finalement parvenus à leur but. Selon les propos de M. Houghton, il leur a fallu encore un an « pour [se] convaincre qu’il s’agissait bien du produit de l’hépatite C et qu’[ils] ne [faisaient] pas fausse route ». L’identification du virus responsable, puis sa caractérisation plus poussée par M. Rice de l’Université Washington à Saint-Louis, ont ouvert la voie au dépistage sanguin et aux traitements – dans son laboratoire, M. Houghton supervise aujourd’hui la mise au point d’un vaccin expérimental.

Le chercheur tire également parti de son expertise en virologie pour lutter contre la pandémie qui secoue actuellement la planète. « Il s’agit d’un virus terriblement pathogène », lance-t-il à propos du nouveau coronavirus à l’origine de la COVID-19. Il espère néanmoins que les méthodes de la vaccinologie traditionnelle seront efficaces.

M. Houghton explique que la vaccination consiste à stimuler le système immunitaire afin que les personnes exposées au virus développent une réponse mémoire bien plus rapide. Il poursuit : « À ce stade, une course est engagée entre ces réponses immunitaires et la croissance du virus. » L’objectif est donc d’élaborer un vaccin qui aide l’organisme à remporter cette course interne.

« Tant que nous ne verrons pas les données, nous ne pourrons pas prédire avec certitude si ces vaccins fonctionneront », indique le scientifique. Cependant, tous les vaccins expérimentaux en essais cliniques de phase III ont été testés sur des modèles animaux et semblent protéger contre la COVID-19. « C’est un signe extrêmement positif », se réjouit-il.

Avec le terrible bilan de la pandémie, il est pourtant difficile de voir le verre à moitié plein. Mais s’il y a quelque chose d’encourageant, c’est bien le modèle qui est né de l’échange entre les gouvernements, les fabricants de vaccins et les groupes de recherche.

Le scientifique explique que par le passé, toutes les phases des essais cliniques devaient être achevées avant que les entreprises ne fabriquent et distribuent le vaccin, moyennant une approbation réglementaire. Avec l’arrivée de la COVID-19, les gouvernements ont déjà passé des contrats avec des entreprises pour la fabrication de vaccins expérimentaux alors qu’ils sont toujours en phase d’essais cliniques. « C’est un phénomène complètement nouveau. »

Si tout se passe bien, le vaccin contre la COVID-19 aura été produit en un temps record. « Le processus ne prendrait qu’un an, ce qui serait du jamais vu, s’enthousiasme M. Houghton avant d’ajouter qu’une décennie est une durée plus classique. Donc, si les résultats sont probants, ce qu’on espère évidemment, il s’agirait d’un nouveau modèle pour traiter différentes épidémies, dont l’hépatite C et bien d’autres encore. Il pourrait faire des émules auprès des gouvernements, et encourager la recherche et l’industrie à accélérer la mise au point des vaccins. Cette nouvelle donne pourrait s’avérer très favorable. »

Regard vers l’avenir

Cette année, COVID-19 oblige, il faudra faire une croix sur le décorum, le strass et les paillettes inhérents à la cérémonie de remise des prix en Suède. Les conférences des lauréats du prix Nobel seront enregistrées à l’avance, puis diffusées début décembre. « La cérémonie se tiendra également à distance », déclare M. Houghton, qui précise que si tout va bien et que la COVID-19 est sous contrôle d’ici décembre 2021, il y aura alors une double cérémonie pour les lauréats de 2020 et de 2021.

Mais M. Houghton n’oublie pas pour autant de donner quelques conseils aux jeunes scientifiques désireux de poursuivre une carrière en virologie ou en immunologie et d’élaborer des vaccins. Il insiste sur la nécessité de se former en menant des travaux de recherche doctorale et postdoctorale. Une fois le moment venu de créer sa propre équipe au sein d’un laboratoire, il préconise de diversifier les champs de recherche de manière à combiner des projets viables et abordables avec des sujets plus épineux comme des travaux sur les besoins médicaux à combler. « J’aimerais voir plus de scientifiques s’attaquer à des champs complexes de la médecine », conclut-il.

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