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Des résidents inquiets du plan « quasi virtuel » de l’Université Athabasca

Le gouvernement fait front commun avec la population pour conserver les emplois dans la région.

par CAILYNN KLINGBEIL | 07 JUIN 22

Les 50 dernières années ont vu l’Université Athabasca se métamorphoser pour embrasser le numérique. L’établissement, qui a ses bureaux à Athabasca, dans la partie nord de l’Alberta, accueille aujourd’hui 43 000 étudiants. Mais la tension monte entre la direction, les résidents et le gouvernement provincial. Tous cherchent à définir le degré d’enracinement dans Athabasca que devrait avoir l’établissement dont l’enseignement se fait à distance et à identifier qui devrait trancher la question.

Recteur depuis janvier dernier, Peter Scott maintient le cap sur le plan d’adopter le télétravail pour les activités administratives de l’établissement, dans une optique « quasi virtuelle » permanente. L’objectif : attirer les meilleurs travailleurs. Les résidents d’Athabasca ne voient pas l’initiative du même œil et se mobilisent pour conserver les emplois dans la région, avançant que cette stratégie entraînerait des conséquences désastreuses pour leur localité de 2 800 personnes.

Plus de 300 personnes se sont entassées au Athabasca Regional Multiplex à la fin mars pour entendre les allocutions du premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, et de deux de ses ministres sur l’avenir de l’Université. Ils ont alors présenté des directives pour renforcer la présence de l’établissement à Athabasca – l’intervention la plus audacieuse jusqu’ici dans ce débat qui s’étire depuis quelques années déjà.

Faire fleurir l’économie rurale

Rob Balay, maire d’Athabasca et ancien membre du conseil d’administration de l’Université, était responsable du rassemblement du 24 mars. Il se souvient du rugissement dans la salle lorsque le premier ministre a annoncé que l’établissement ne se déroberait pas à la ville. « C’était le plus gros soulèvement de foule imaginable », raconte le maire.

Après avoir rappelé aux personnes rassemblées les origines de l’Université Athabasca – en 1984, le premier ministre de l’époque a déménagé l’établissement d’Edmonton à quelque 145 km de là, convaincu de « pouvoir réaliser de grandes choses en région dans notre province », M. Kenney a affirmé vouloir perpétuer cette mission. « Un établissement postsecondaire, c’est une communauté, et ça lui prend un cœur », soutient-il dans une vidéo de l’événement. « Il doit faire vivre sa propre culture, et on ne peut pas reproduire ça dans l’univers virtuel. »

En compagnie du ministre de l’Enseignement supérieur, Demetrios Nicolaides, il a annoncé que les lois seraient modifiées pour garantir la représentation des résidents d’Athabasca au conseil d’administration de l’établissement. Le gouvernement demande à l’Université de présenter d’ici le 30 juin une stratégie pour maintenir, et même augmenter, le nombre d’employés à Athabasca, et pour rouvrir ses locaux afin d’accueillir son personnel et de permettre l’accès aux registres, aux services de soutien aux étudiants et aux services spécialisés.

De son côté, M. Scott brillait par son absence. Le recteur a refusé de nous accorder une entrevue, mais a auparavant déclaré à The Tyee, en parlant des directives du gouvernement, qu’il s’agissait pour lui de demandes et non d’obligations – et qu’il ne comptait pas s’y conformer. « Notre campus sera numérique, a-t-il affirmé au magazine Web vancouvérois. Et la stratégie pour arriver à ce campus en mode virtuel, appuyé par une équipe en mode virtuel, est établie depuis belle lurette. »

M. Nicolaides explique que la mission initiale de l’Université était également de stimuler l’emploi et l’économie à Athabasca, et que son gouvernement veut s’assurer que cette mission ne soit pas perdue de vue. « Je ne m’inquiète pas du tout des objectifs pédagogiques de l’établissement, nous confirme-t-il. Je crois que l’Université peut – et doit – continuer d’exceller dans l’enseignement en ligne, et rejoindre les étudiants où qu’ils soient. Ce qui m’inquiète, c’est que la stratégie « quasi virtuelle » semble prôner une diminution du nombre de personnes qui vivraient et travailleraient dans cette communauté. »

M. Scott a expliqué au Globe and Mail que selon lui, l’obligation de vivre à Athabasca limite la capacité de recrutement de l’Université.

Le problème de la perte d’emplois remonte à 2015. L’Association des professeurs de l’Université Athabasca (AUFA) avait noté que des postes étaient progressivement mutés à d’autres régions. L’AUFA et le syndicat représentant les employés administratifs s’étaient mobilisés pour retenir ces emplois à Athabasca, mais la question n’avait pas réellement fait les manchettes avant que le regroupement communautaire Keep Athabasca in Athabasca University en fasse sa cause, il y a de cela quelques années.

M. Balay faisait partie du regroupement communautaire, qui a fait connaître sa cause grâce, entre autres, à une campagne épistolaire. Le conseil municipal et le conseil de comté ont chacun donné 22 500 dollars qui, jumelés aux fonds récoltés par le regroupement, ont permis l’embauche d’un lobbyiste du Canadian Strategy Group, se réjouit-il.

David Powell, président de l’AUFA, représente les quelque 400 professeurs et professionnels de l’Université. Certains habitent à Athabasca, mais pas tous. Des employés travaillent à distance depuis le milieu des années 2000. S’autoproclamant as de la statistique, M. Powell a sorti les chiffres sur les pertes d’emploi dans la ville. Sa conclusion : seulement cinq des 35 directeurs principaux de l’Université vivent à Athabasca aujourd’hui, contre 18 sur 25 en 2016. En tout, ce sont 299 postes qui étaient rattachés à la ville en 2021. Il y en avait 415 en 2016.

Depuis l’annonce du premier ministre, la question des tactiques interventionnistes du gouvernement a été abordée avec le président de l’AUFA. En mai dernier, le gouvernement a révoqué la nomination de Nancy Laird à titre de présidente du conseil d’administration de l’Université pour la remplacer par Byron Nelson. Mais reste que selon M. Powell, l’emplacement des bâtiments et des emplois rattachés à un établissement n’appartient pas au domaine de l’autonomie institutionnelle. « Une université ne peut pas décider unilatéralement de plier bagage », maintient-il.

De plus en plus loin de sa collectivité

L’Université Athabasca favorise un mode de travail « semi-virtuel » depuis 2006, si l’on se fie à son dernier rapport annuel. Plus de la moitié de son équipe travaille à distance. En décembre 2018, le conseil d’administration a approuvé une proposition visant à « optimiser » cet environnement de travail.

En mars 2020, avant même le confinement lié à la pandémie, 54 % du personnel travaillait de la maison. Et quand la COVID-19 a frappé, on a demandé à tous les employés en mesure de télétravailler de le faire. Les bureaux secondaires à Calgary et Edmonton ont fermé leurs portes pour de bon, ce qui, selon le recteur, ancre de plus belle l’établissement à Athabasca. En mai 2020, le conseil d’administration a approuvé le passage au mode « quasi virtuel » après la pandémie. M. Balay, qui a siégé au conseil d’administration de 2014 à 2020, avait voté en faveur de cette mesure. Toutefois, il affirme qu’à l’époque, on lui avait assuré que l’Université s’enracinerait davantage à Athabasca vu le rapatriement des bureaux de Calgary et d’Edmonton. « Je ne vois pas comment on en est arrivé là », déplore-t-il. À la mi-mai, les bâtiments de l’Université étaient toujours vides, selon lui.

Au fil de la décentralisation, la qualité de vie des membres de l’AUFA qui restent à Athabasca se détériore, et le visage de la ville change. « Pour une petite localité albertaine, il se passe beaucoup de choses, il y a de la vie, c’est un endroit intéressant. Le fait que l’Université soit le plus gros employeur y est pour beaucoup », soutient-il. L’Association aimerait voir l’Université conserver ou accroître sa présence dans la ville, en remettant le choix du télétravail à la discrétion de chaque employé, et en ajoutant des incitatifs qui seraient liés à des heures de travail sur place obligatoires.

Membre du regroupement Keep Athabasca in Athabasca University, Mavis Jacobs a travaillé 20 ans pour l’établissement dans diverses fonctions, notamment comme directrice de l’administration et directrice de l’École de gestion. Les répercussions de l’objectif « quasi virtuel » sur le personnel et les étudiants l’inquiètent. L’obsession de l’Université pour le passage à l’intégralité numérique, en faisant fi des préférences du personnel, est à l’antithèse de la culture ouverte et flexible qui régnait lorsqu’elle y travaillait, dit-elle. « Ils ne pensent qu’à cet objectif, ou à cette expérience, plutôt, parce qu’on ne sait pas vraiment encore comment les organisations vont s’adapter à l’univers virtuel », lance-t-elle, ajoutant que l’initiative provoque aussi un effet domino complexe, comme la baisse des inscriptions à l’école publique et la difficulté de recruter des médecins.

La saga se poursuivra sous l’œil attentif de Mme Jacobs, M. Balay, M. Powell et nombre de résidents d’Athabasca, impatients de voir le sort réservé tant à l’Université qu’à la ville. « On veut que l’Université ait du succès, dit M. Balay. Parce que si elle a du succès, enracinée dans notre collectivité, eh bien c’est notre collectivité qui a du succès. »

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