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Front commun réclamé devant la hausse des frais d’abonnement aux revues savantes

L’Association des bibliothèques de recherche du Canada souhaite que les universités renégocient les ententes non viables avec les éditeurs et fassent la transition vers le libre accès.

par ANQI SHEN | 29 MAR 18

Depuis des années, les bibliothèques universitaires font des pieds et des mains pour absorber la hausse des frais d’abonnement aux revues savantes fixés par une poignée de grands éditeurs internationaux. La situation est devenue insoutenable, selon l’Association des bibliothèques de recherche du Canada (ABRC), qui vient de publier un mémoire en collaboration avec le Réseau canadien de documentation pour la recherche (RCDR) pour renseigner les administrateurs universitaires et proposer des solutions.

Selon le mémoire, les frais d’abonnement aux revues savantes ont grimpé de cinq à sept pour cent par année depuis 2011. Ces augmentations s’inscrivent dans une tendance de « hausses excessives des prix » qui se poursuit depuis 30 ans, à laquelle s’ajoutent l’affaiblissement du dollar canadien et le resserrement des budgets universitaires, précise l’ABRC.

Donna Bourne-Tyson, présidente de l’ABRC et bibliothécaire à l’Université Dalhousie, estime que les universités doivent absolument échanger de l’information entre elles et au sein des consortiums d’achat pour être en mesure de renégocier les ententes avec les éditeurs. « Nous avons une bonne idée de la teneur des ententes avec les grands éditeurs dans les autres pays, même si nous nous heurtons encore à des accords de non-divulgation dans certains cas, explique-t-elle. C’est une partie du problème : si nous ne pouvons pas comparer des pommes avec des pommes, il est difficile de savoir à quoi correspond un juste prix. »

La hausse des frais d’abonnement aux revues est également attribuable à un phénomène apparu dans les années 1990, lorsque les éditeurs ont commencé à proposer des « méga-ententes » qui offrent un accès illimité à un grand nombre de périodiques à un prix forfaitaire. Ces méga-ententes ont cependant eu des répercussions négatives sur les bibliothèques universitaires, car les ensembles de titres « sont de nature à devenir plus grands et plus chers à chaque nouvelle période de négociations », ce qui détourne des fonds destinés à d’autres fins, souligne l’ABRC. « Les bibliothèques sont coincées, car les éditeurs leur offrent une sélection de titres bien plus restreinte pour un prix légèrement moindre que celui de l’ensemble complet, faisant en sorte qu’il est très difficile pour elles de réduire leurs dépenses. »

L’Université de Montréal figure parmi une poignée d’établissements canadiens qui ont choisi de se retirer d’accords de licence conclus dans le cadre d’une méga-entente. L’Université travaille activement à « déconstruire » les grands ensembles de périodiques. En 2012, les bibliothèques de l’Université de Montréal ont lancé un projet de collecte de données sur l’utilisation des revues savantes par les chercheurs de l’établissement. « L’utilisation des revues est très concentrée », constate Vincent Larivière, directeur du projet de recherche et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante. « Grâce aux données recueillies, les bibliothèques ont pu montrer aux éditeurs qu’elles avaient seulement besoin de 30 pour cent des titres inclus dans les forfaits. Parallèlement, le directeur général de la Direction des bibliothèques a rédigé un article pour informer le personnel et les étudiants de la démarche entreprise, poursuit M. Larivière. La Direction des bibliothèques a ainsi pu constater que la plupart des professeurs l’appuyaient. Nous avions l’aval du milieu. »

En 2017, l’Université de Montréal a annoncé qu’elle se retirait d’une méga-entente pour s’abonner à la pièce à certaines des revues. L’établissement a ainsi renouvelé son accès à 160 titres au coût de 236 000 dollars canadiens, au lieu de payer 500 000 dollars américains pour l’ensemble des 2 391 titres, tout en conservant l’accès aux articles archivés antérieurs à 2017 de 404 revues. Le projet sur l’utilisation des revues dirigé par M. Larivière s’est depuis étendu à 27 autres universités membres du RCDR.

L’ABRC recommande de déconstruire les grands ensembles et de renégocier avec les éditeurs, mais elle milite également pour un changement systématique à l’échelle du secteur au profit de modèles viables de libre accès. « Pour qu’un changement durable se produise, tous les intervenants doivent considérer la situation comme un problème commun à tous, et non comme un problème qui touche seulement les bibliothèques », affirme Mme Bourne-Tyson.

À cette fin, les établissements doivent cesser de se fonder principalement sur les indicateurs des revues pour évaluer la qualité et l’incidence des travaux de recherche, disent les chercheurs. « Un grand nombre de professeurs pensent que c’est la norme. Ils publient uniquement dans certaines revues qui ont un grand facteur d’impact », constate Nicole Eva, bibliothécaire à l’Université de Lethbridge et coauteure d’un populaire article d’opinion paru dans Affaires universitaires qui propose des solutions de rechange au modèle actuel de publication universitaire. « En observant ces revues de plus près, explique-t-elle, on constate qu’elles contiennent quelques articles fréquemment cités qui gonflent leur facteur d’impact. Ça ne veut pas dire que chaque article publié dans ces revues obtient le même nombre de citations. »

Pour favoriser des pratiques durables et éthiques de libre accès, le milieu de la recherche doit reprendre le contrôle au-delà de la participation des chercheurs au processus d’évaluation par les pairs. « Si les universités prenaient en main la gestion de ces revues, nous pourrions investir les budgets dans un modèle de coût correspondant au seuil de rentabilité au lieu d’enrichir de grandes maisons d’édition », estime Mme Eva. Il s’agit maintenant de trouver comment y parvenir.

M. Larivière croit lui aussi qu’un changement systémique est possible, mais que des mesures d’encouragement seront nécessaires. « Nous possédons désormais les infrastructures qui nous permettent de créer exactement les mêmes supports pour diffuser, évaluer et publier les connaissances. Il y a cependant une grande inertie. Si, par exemple, les organismes subventionnaires décidaient que… les articles publiés dans les revues à but non lucratif ont plus de poids, le milieu universitaire serait alors plus enclin à contribuer à ce genre de publications. »

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