Depuis le début de la pandémie de COVID-19, la production de données et d’articles scientifiques a explosé. Les éditeurs se sont mobilisés pour publier à un rythme sans précédent et offrir un accès libre à certaines publications scientifiques. De leur côté, les chercheurs adoptent de plus en plus l’utilisation des plateformes de prépublications en ligne. La pandémie changera-t-elle la culture de la recherche et la façon dont les résultats seront diffusés à l’avenir?
« Le phénomène du libre accès aux articles scientifiques n’est pas nouveau », explique Vincent Larivière, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante à l’Université de Montréal. Mais selon lui, la crise actuelle démontre « l’efficacité du libre accès » aux publications scientifiques.
Un changement durable?
En partageant librement leurs articles, les éditeurs créent un précédent. Selon M. Larivière, ils admettent ainsi que « les barrières à l’accès sont un frein pour l’avancement des connaissances ». L’ampleur de la crise sanitaire en cours et son impact sur la santé mondiale impose de diffuser rapidement les résultats de recherche au plus grand nombre. « Mais comment justifier alors que les recherches sur le cancer ou les maladies cardiovasculaires ne soient pas également en libre accès? », s’interroge M. Larivière.
La montée en puissance des prépublications
Depuis le début de la pandémie, le chercheur constate une « croissance quasi-exponentielle » de l’utilisation des serveurs de prépublications. L’absence d’évaluation par les pairs des résultats déposés sur ces plateformes est régulièrement désignée comme le talon d’Achille des prépublications. Or, ce n’est pas un problème selon lui.
Un avis que partage le professeur agrégé à l’Université de Toronto Scarborough, Leslie Chan. « Il y a beaucoup d’exemples qui montrent que l’examen par les pairs ne permet pas d’éviter les fraudes ni les mauvaises publications », souligne-t-il. M. Chan croit plutôt que les prépublications accélèrent la diffusion des connaissances et que la visibilité des résultats par le plus grand nombre permet de détecter rapidement les erreurs. « C’est une période test, affirme le professeur. Après la pandémie, il faudra comparer les prépublications et le système de publication traditionnel. Nous verrons lequel est le plus efficace ».
On peut noter par exemple que la prépublication qui suggérait des similitudes entre le SARS-CoV-2, responsable de la COVID-19, et le VIH a été retirée 48 heures après sa publication sur le serveur BioRxiv., après avoir été critiquée par des chercheurs du monde entier. En revanche, il a fallu deux semaines à la revue The Lancet pour retirer une étude controversée sur l’utilisation de l’hydroxychloroquine pour traiter les symptômes de la COVID-19.
L’accès aux données
La controverse autour de la publication de cet article dans The Lancet a également mis en lumière l’importance du partage des données brutes. Selon M Larivière, la polémique a aussi « relancé le débat sur la privatisation des données médicales ». Jean-Baptiste Poline, professeur agrégé au Département de neurologie et de neurochirurgie à la Faculté de médecine de l’Université McGill partage cet avis et estime que « collecter et partager des données prend du temps ». Il déplore que cette démarche ne soit pas plus valorisée par les grandes agences de financements et les universités.
L’urgence sanitaire a également stimulé la collaboration et le partage de données entre les chercheurs. « La communauté scientifique n’a pas seulement besoin d’articles, elle a aussi besoin du code informatique, des protocoles et des données brutes utilisés pour la recherche », souligne M. Poline. Selon lui, les chercheurs doivent partager leurs données, mais aussi les rendre accessibles et réutilisables par d’autres chercheurs, comme par des machines. « C’est cela qui va rendre la recherche vraiment efficace », insiste-t-il.
La Chine comme moteur du changement
La Chine, d’où a émergé le coronavirus, pourrait être à l’origine de changements majeurs dans le système des publications scientifiques. M. Larivière explique que les autorités chinoises, auparavant très attachées aux publications dans les revues à haut facteur d’impact, réalisent maintenant « les effets pervers de ce mécanisme d’évaluation ».
Les premières études sur le SARS-CoV-2 ont été publiées dans des revues scientifiques occidentales anglophones par des chercheurs du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies de Pékin. La nouvelle de la découverte d’un virus émergent a donc voyagé à l’internationale avant de voyager en Chine.
En réponse, le ministère de la Science et de la Technologie de la République populaire a demandé dès février 2020 que les institutions de recherche cessent de verser des primes à la publication aux chercheurs. Dans le cadre de la pandémie, Pékin a également imposé qu’une partie des recherches sur le nouveau coronavirus soit publiée dans la langue nationale afin que celles-ci soient compréhensibles par la communauté médicale chinoise.
Pour M. Larivière, compte tenu du poids démographique et politique de la Chine, ces décisions pourraient faire pencher la balance et accélérer la fin de l’hégémonie du facteur d’impact et de la langue anglaise dans les publications scientifiques.