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« Déconnexion du travail » : les nouvelles politiques ne suffisent pas à résoudre les problèmes d’équilibre travail-vie personnelle

Des voix s’élèvent pour dire qu’il faut s’attaquer à des questions structurelles plus larges.

par MICHAEL RANCIC | 09 SEP 22

En juin, des universités ontariennes ont dévoilé leur nouvelle politique de « déconnexion du travail », une mesure législative provinciale visant à favoriser des milieux de travail plus sains. Les corps professoraux et le personnel administratif sont cependant d’avis que ce genre de politique n’est qu’un pansement sur le grave problème de la charge de travail et de l’épuisement.

« Recruter un.e professeur.e, c’est recruter quelqu’un de très enthousiaste qui désire travailler toute sa vie, n’est-ce pas? C’est de cette manière que l’administration s’y prend pour nous surmener : en accordant la priorité aux personnes qui penseront à leur vie professionnelle 70 heures par semaine », estime Shoshanah Jacobs, membre du corps professoral du Département de biologie intégrative de l’Université de Guelph. Pour les personnes qui ont opté pour une carrière dans le milieu universitaire, le travail excessif est non seulement valorisé, mais récompensé, constate Shoshanah Jacobs. En d’autres mots, si une administration souhaite véritablement résoudre les problèmes d’équilibre travail-vie personnelle, une analyse beaucoup plus fine de la culture profondément ancrée dans les universités serait de mise.

Adopté en décembre dernier en Ontario, la Loi de 2021 visant à œuvrer pour les travailleurs oblige les employeurs de 25 personnes ou plus à se doter d’une politique écrite sur la déconnexion du travail. Cette loi vise principalement les communications – courriels, messages, appels téléphoniques, vidéoconférences, etc. –, lesquelles se sont multipliées depuis le début de la pandémie de COVID-19 et des mesures de confinement, il y a plus de deux ans.

Sheila Embleton, éminente professeure-chercheure en linguistique à l’Université York et déléguée syndicale en chef de l’Association des professeurs de l’Université York, rapporte que les technologies et les outils de communication se sont imposés depuis son embauche, en 1980. Elle voit dans l’impulsion de répondre aux courriels en dehors des heures de travail un « mécanisme d’adaptation » privilégié par les personnes ayant du mal à composer avec leur charge de travail durant les heures normales, ainsi qu’un symptôme d’un problème plus grave encore.

Déjà, Mme Embleton a remarqué que ses collègues composent avec la nouvelle politique d’une manière qui donne à penser que rien n’a vraiment changé. « Les lundis, entre 8 h et 8 h 05, on reçoit un nombre effarant de messages. C’est fou! On sait tout de suite qu’ils ont été rédigés tard la veille ou que du travail s’est fait pendant la fin de semaine. »

Mettre l’accent sur la responsabilité individuelle

Parallèlement au déploiement de ces politiques modèles à l’échelle de la province, les administrations universitaires ont lancé des campagnes de sensibilisation et mis au point des ressources qui varient d’un établissement à l’autre. À l’Université Wilfrid Laurier, par exemple, la chef des ressources humaines et agente de l’équité, Pam Cant, explique que l’établissement « met à la disposition du personnel et des professeur.e.s des ressources en matière de bien-être (santé physique et mentale, réduction du stress, relaxation, etc.), en plus des ressources de son programme d’aide aux employé.e.s et à leur famille ». Ces outils font d’ailleurs partie de l’intégration des salarié.e.s, cadres et administrateur.trice.s universitaires nouvellement embauché.e.s.

L’Université McMaster outille elle aussi ses employé.e.s et gestionnaires, qui peuvent notamment trouver sur un site Web tenu à jour une description en langage clair de la politique de déconnexion du travail et des liens vers des ressources d’aide. Elle organise aussi des séances de formation sur la charge de travail. « Je crois que nous devons réfléchir à notre façon de travailler », observe Wanda McKenna, vice-rectrice adjointe et chef des ressources humaines à l’Université McMaster. « Peut-on remplacer une réunion d’une heure par une discussion de 30 minutes? Utilisons-nous les technologies à bon escient? Comment fournissons-nous nos services? »

Des critiques disent cependant que le langage utilisé dans les politiques et les ressources en la matière, dont le recours à des pratiques de « bien-être » pour gérer le stress, fait de la gestion de la charge de travail une responsabilité individuelle, alors que le problème est plus large. Si l’on se fie au vocabulaire des politiques de déconnexion des universités de la province, les employé.e.s sont censé.e.s se défendre individuellement quand l’obligation d’ouvrir leur téléphone ou leur boîte de messagerie électronique entre les périodes de travail se fait sentir.

Les attentes sont-elles trop élevées?

Parlant d’expérience après avoir connu cinq ans de précarité d’emploi dans sa carrière, Shoshanah Jacobs estime que ce type de politique ne tient pas compte de la position des personnes salariées et des effets qu’elle a sur l’équilibre travail-vie personnelle, parfois inexistant. « J’ai beaucoup d’assurance, et je sais me défendre, mais qu’en est-il des professeur.e.s qui n’ont pas leur permanence? Dans pareille situation, il n’est pas anormal de penser devoir faire des semaines de 80 heures. »

Partageant ce point de vue, Mme Embleton soutient qu’au cours des périodes de confinement imposées en raison de la COVID-19, de nombreuses femmes, souvent racisées, ont dû enseigner et travailler à distance tout en s’occupant de leurs enfants ou de leurs parents, ou encore en s’acquittant d’autres tâches. « Nous devons trouver une manière d’aborder ce sujet. Les critères régissant l’octroi de la permanence sont-ils trop stricts? Y a-t-il trop de pression pour publier des articles, assister à des colloques ou siéger à des comités? »

Shoshanah Jacobs est d’avis que ce phénomène se conjugue à un « pelletage des responsabilités administratives dans la cour des professeur.e.s et des chercheur.euse.s », qui se retrouvent à devoir jouer les gestionnaires et apprivoiser les outils ou plateformes nécessaires aux tâches administratives.

Mme McKenna est d’accord : le succès d’une loi ou le respect d’une exigence sur la charge de travail passe par une approche holistique. Elle rapporte que l’obligation de respecter le droit à la déconnexion a été imposée par la loi à l’Université McMaster à un moment où des discussions internes se tenaient déjà sur la charge de travail et l’avenir du travail. En 2021, Susan Tighe, vice-rectrice et provost de l’Université McMaster, a participé à la mise sur pied d’un comité du milieu de travail et de l’expérience employé qui a déposé sa première série de recommandations en mai de la même année.

« En imposant le respect du droit à la déconnexion, on ne fait pas disparaître des tâches par magie, pas plus qu’on ne transforme la culture de tel ou tel département, note Mme McKenna. L’an prochain, nos comités poursuivront leur essor, et je crois que nous serons encore en phase pilote. Si nous commençons quelque chose et que les échos sont négatifs, préparons-nous à avoir à corriger le tir. Veillons à ce que les gens puissent s’exprimer sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. »

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