Un comité a reçu la mission, en octobre dernier, de conseiller le gouvernement fédéral sur la structure, la gouvernance et la gestion de son système de soutien à la recherche. Cela ouvre une voie de plus vers la modernisation de cet écosystème.
Frédéric Bouchard, doyen de la Faculté des arts et des sciences et professeur titulaire de philosophie de l’Université de Montréal, préside ce Comité consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche. Il sera épaulé par six collègues. « Toute ma vie d’universitaire comme étudiant, professeur et chercheur a été rendue possible par l’appui des organismes subventionnaires, affirme-t-il. En tant qu’administrateur, je connais l’importance du soutien fédéral à la recherche. Donc, j’ai l’obligation morale de servir quand on fait appel à moi. »
Le comité consultatif conseillera le gouvernement fédéral au sujet de la modernisation de son système de soutien à la recherche, afin de le rendre plus cohérent, plus ouvert et plus agile. Il relève à la fois du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie et du ministre de la Santé.
« Nous regarderons notamment la capacité des organismes subventionnaires d’appuyer des projets de recherche interdisciplinaires et internationaux, illustre M. Bouchard. Par exemple, comment fonctionne le soutien à la recherche dans le cas d’un gros projet de recherche interdisciplinaire sur les changements climatiques qui se réaliserait en collaboration avec des chercheurs et chercheuses européen.ne.s? Peut-on améliorer notre approche? »
Plusieurs autres pays se questionnent sur ces sujets. Lors de ses consultations à l’automne, le comité a d’ailleurs rencontré des dirigeants de la Fondation nationale pour la science (NSF) américaine, du U.K. Research Innovation (UKRI) britannique, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) français et du gouvernement allemand, en plus de plusieurs intervenant.e.s canadien.ne.s.
« Ces États répondent aux nouveaux défis avec des approches très différentes, souligne M. Bouchard. Les États-Unis font évoluer la NSF régulièrement depuis 70 ans, alors que le Royaume-Uni a plutôt procédé à une profonde restructuration avec la création de la UKRI en 2018. Le Canada devrait-il améliorer sa structure de soutien ou la réinventer? »
Le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) ont accueilli favorablement la mise sur pied de ce comité et ont exprimé leur volonté de contribuer à ses travaux lors d’échanges de courriels avec Affaires universitaires. « Nous sommes heureux de savoir que le comité consulte directement la communauté de la recherche et rencontre une diversité de représentant.e.s, a confié une porte-parole du CRSH. Nous attendons les recommandations du comité consultatif sur la façon dont nous pourrons mieux coordonner nos efforts. »
Un lent processus
Le Canada s’interroge depuis quelques années sur son soutien à la recherche et sur le rôle des organismes subventionnaires. En 2017, le rapport Naylor demandait déjà la formation d’un conseil de coordination des quatre organismes subventionnaires (CRSH, CRSNG, Instituts de recherche en santé du Canada et la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI)), afin d’améliorer leur cohérence. En octobre de la même année, le gouvernement fédéral annonçait la création du Comité de coordination de la recherche au Canada (CCRC), dont le mandat consistait à améliorer la collaboration entre les organismes subventionnaires, en incluant la FCI.
M. Bouchard précise que le mandat du comité consultatif diffère de celui du CCRC. « Nous conseillons le gouvernement quant à l’écosystème de la recherche, notamment sa structure et sa gouvernance, afin d’augmenter la qualité et l’impact de la recherche effectuée au Canada, résume-t-il. Le CCRC tente d’optimiser la coordination des conseils subventionnaires, alors que notre regard est plutôt tourné vers leur avenir. »
Les organismes subventionnaires mènent aussi, depuis mai 2021, un projet-pilote de Comité d’évaluation par les pairs interdisciplinaires pour examiner des propositions de recherche interdisciplinaires soumises à certains programmes individuels des organismes. Ce projet a été renouvelé pour un an en mai 2022.
Membres du comité
- Frédéric Bouchard (Université de Montréal)
- Janet Rossant (Gairdner Foundation)
- Gilles Patry (consultant et précédemment avec la FCI)
- Yolande Chan (Université McGill)
- Laurel Schafer (Université de la Colombie-Britannique)
- Vianne Timmons (Université Memorial)
- Baljit Singh (Université de la Saskatchewan)
« Si le gouvernement revient à la charge avec un nouveau comité, c’est qu’il constate encore que son système de soutien à la recherche ne fonctionne pas aussi bien qu’il le devrait », estime Paul Dufour, chercheur affilié à l’Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique à l’Université d’Ottawa.
Il juge que le niveau de collaboration des organismes subventionnaires et de la FCI s’est un peu amélioré ces dernières années, mais qu’ils souffrent toujours d’un certain manque de cohérence et de coordination. D’autant qu’ils relèvent de deux ministères différents. M. Dufour croit que le Canada pourrait s’inspirer de l’exemple du Québec, dont les Fonds de recherche du Québec sont présidés par le scientifique en chef.
« Le scientifique en chef ne gère pas les trois Fonds, mais il jette un regard plus global sur leurs activités et sur l’écosystème de la recherche et peut les conseiller, note-t-il. De plus, le Québec mise sur une politique de la science et de l’innovation, contrairement au Canada. »
Défendre la diversité
En juin dernier, le Comité permanent de la science et de la recherche remettait un premier rapport sur les réussites, les défis et les opportunités pour la science au Canada. L’annonce du nouveau comité consultatif est venue quelques jours à peine après la réponse du gouvernement à ce rapport, ce qui laissait croire à un lien entre les deux. Or, il n’en serait rien, selon un porteparole d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada.
L’avènement du comité consultatif relèverait plutôt du mandat donné au ministre François-Philippe Champagne après l’élection de 2021 d’élaborer un plan de modernisation de l’écosystème fédéral de financement de la recherche.
« Sa création est également conforme aux recommandations du comité parlementaire, précise toutefois le porte-parole. Le Comité consultatif a pour objectif de fournir des conseils visant à renforcer le système fédéral de soutien à la recherche et à favoriser la réussite des chercheurs et chercheuses, qui pourront alors formuler de nouvelles idées audacieuses, réaliser des percées technologiques et proposer des solutions aux enjeux complexes de notre société. »
M. Bouchard assure que la création d’un comité ne représente pas un aveu d’échec. « Nous pouvons être fiers de la qualité et de l’impact de la recherche effectuée au Canada, croit-il. Mais nous sommes un petit pays. D’autres grands États investissent beaucoup dans la recherche et imaginent de nouvelles approches. Nous devons évoluer. »
Un appui efficace à la recherche aidera en outre à former, recruter et conserver les talents et à bien les outiller pour qu’ils puissent réaliser leurs projets. Frédéric Bouchard juge également impératif de protéger la diversité des établissements de recherche au Canada, notamment les plus petits. « Toutes ces institutions ont un impact, qui ne peut pas toujours être mesuré de la même manière, rappelle-t-il. Nous devons soutenir cette richesse. »