Affaire Wayne Hankey : l’Université de King’s College admet sa part de tort
La direction de l’établissement s’engage à changer la culture du silence qui régnait sur le campus pendant que le professeur Wayne Hankey, aujourd’hui décédé, était en fonction.
S’attaquer à la culture du silence est une priorité pour l’Université de King’s College, a soutenu le recteur de l’établissement à la suite de la publication du dernier volet d’un rapport indépendant. « Nous comprenons maintenant que pour qu’il y ait justice, il doit y avoir vérité. Et notre établissement n’avait jamais réellement démêlé le vrai du faux dans l’affaire Wayne Hankey », déclare William Lahey, recteur de l’Université de King’s College.
Le rapport en question, d’abord publié en mars, puis étoffé en mai dans une version mise à jour, a été surnommé le « rapport Rubin ». Il conclut que l’établissement a « sa part de responsabilité dans les torts » causés par le professeur Wayne Hankey, aujourd’hui décédé, qui a commis « à répétition des gestes prédateurs et violents envers certains jeunes hommes » pendant plus de 30 ans, l’Université le protégeant de toute répercussion professionnelle ou juridique.
« La réaction des autorités de l’établissement lorsqu’elles ont été mises au fait du comportement problématique de M. Hankey, ou de soupçons d’un tel comportement, était insuffisante », tranchent les avocates Janice Rubin et Elizabeth Bingham dans le rapport. Elles enchaînent : « voilà la conclusion à laquelle nous arrivons, même en évaluant cette réaction sur la base des normes qui avaient cours il y a 30 ou 40 ans ».
Prêtre anglican défroqué, Wayne Hankey, qui enseignait au programme d’année préparatoire de l’établissement d’Halifax (et aussi au Département d’études classiques de l’Université Dalhousie), a travaillé à l’Université de King’s College du début des années 1970 jusqu’à sa retraite, en 2017. Il a également habité sur le campus de 1972 à 1978, puis à nouveau de 1981 à 1991, en tant que responsable d’étage. En 2021, le professeur a été accusé d’agression sexuelle, de grossière indécence et d’attentat à la pudeur. Il a plaidé non coupable à toutes les accusations portées contre lui, mais est décédé en 2022, avant son procès.
Trois hommes ont décrit les gestes qu’ils auraient subis entre 1977 et 1988. Nombre des gestes reprochés ne sont remontés à la surface que bien après qu’ils auraient été commis, mais le rapport indique qu’on peut aussi constater « la nonchalance » de l’établissement quant à sa tenue de dossier – au moins un dossier témoignant de l’enquête d’un comité interne sur le comportement du professeur aurait d’ailleurs été détruit. Le rapport fait également était de la culture au sein de laquelle le comportement de M. Hankey a pu fleurir, recueillant les témoignages d’étudiant.e.s qui ont qualifié son style d’enseignement d’« agressif » et d’« humiliant », indiquant que le professeur provoquait souvent des crises de larmes pendant ses cours.
Après 110 heures d’entrevues avec 81 personnes, Mmes Rubin et Bingham ont publié un rapport intermédiaire en mai 2022, après le décès de M. Hankey. Les accusations contre lui ont été levées à sa mort, mais les avocates n’ont pas abandonné leurs recherches et ont publié leur rapport dans sa version définitive en mai, plus tôt cette année. Elles ont conclu que les allégations avaient « plus de chances de s’être produites que le contraire ».
« Pendant des années, la figure de M. Hankey était si imposante dans l’histoire et les cercles de notre établissement qu’elle a fini par grandement nuire à notre culture, soutient M. Lahey. Le silence a été gardé tellement longtemps. C’est selon moi nuisible aux attentes qu’on se donne collectivement et à notre capacité de les faire respecter. »
La direction de l’université s’est engagée à suivre les recommandations du rapport Rubin, à commencer par des excuses publiques, qu’elle a faites en mars – M. Lahey s’est alors directement adressé aux personnes victimes de l’ancien professeur et aux médias. « Nous n’avons pas réussi à vous protéger, nous n’avons pas réussi à vous croire. Nous sommes désolés », a-t-il écrit dans sa déclaration.
L’établissement s’engage dans celle-ci à changer la culture du silence qui y règne. Depuis, le sujet du consentement et du respect a été davantage mis de l’avant lors de l’accueil de la nouvelle cohorte étudiante à l’automne. Chaque étudiant.e de première année doit suivre un module de formation en ligne sur le consentement (les personnes qui habitent en résidence doivent attester de leur participation à la formation). Des discussions sur l’intervention des témoins et le soutien offert sur le campus, animées par des collègues de la population étudiante, ont aussi été organisées pour la journée d’accueil, à laquelle plus du trois quarts de la nouvelle cohorte a participé, selon la direction. L’établissement a également embauché une agente de santé et de sécurité, qui est là pour accompagner tant le personnel que les étudiant.e.s, et les professeur.e.s doivent maintenant suivre une nouvelle formation sur les violences sexuelles lors de la rencontre de début d’année des différents programmes. Depuis la publication du rapport final au printemps, plus de 90 % du personnel enseignant ainsi qu’un certain nombre des membres du conseil d’administration ont suivi la formation.
La vice-rectrice Sarah Clift a aussi animé des échanges avec les professeur.e.s, discussions qui ont débouché sur la publication d’un document sur les limites à respecter dans les relations entre personnel et étudiant.e.s. Ce document a été approuvé lors d’une rencontre des professeur.e.s en mai et la mise en œuvre de ses principes sera revue chaque deux ans.
Toutefois, pour les étudiant.e.s actuel.le.s et à venir, des inquiétudes persistent. Assurant la vice-présidence externe de l’association étudiante de l’Université de King’s College, Terra Carter affirme que si l’établissement a fait un pas dans la bonne direction, il n’est pas aussi transparent que la population étudiante le voudrait. « Nous aurions aimé que l’Université publie les noms des personnes qui étaient au courant des agissements criminels de M. Hankey et qu’elle nous indique si elles ont toujours un lien avec l’établissement, en particulier avec la cohorte de première année. La situation a montré que l’établissement est prêt à défendre la réputation de ses professeur.e.s vedettes au détriment du bien-être des étudiant.e.s. » Terra Carter affirme en outre que l’établissement a donné moins d’un jour de préavis aux étudiant.e.s avant que M. Lahey formule des excuses publiques, ce qui ne donnait pas suffisamment de temps pour rédiger des questions et des commentaires.
Le recteur ne compte pas revenir sur la décision de ne pas révéler de noms. Se rapportant à un extrait de la version définitive du rapport Rubin, dans lequel les autrices affirment que « personne [au sein de l’Université] ne semblait vouloir s’attaquer à [M. Hankey] », M. Lahey indique qu’il « apparaît clair que Mme Rubin condamne l’établissement, et non des personnes en particulier. Le fait qu’elle ait elle-même choisi de ne pas nommer certaines personnes est révélateur ». Il ajoute que le fait de pointer du doigt certaines personnes pourrait faire perdre de vue l’effort de changement collectif. Il a toutefois indiqué à Affaires universitaires qu’aucune des personnes concernées par le rapport, même sans avoir été directement nommée, ne travaille actuellement à l’établissement.
Au-delà de son campus, l’Université de King’s College apparaît aux côtés d’autres accusés dans deux poursuites civiles. Liam O’Reilly, l’avocat du plaignant Glenn Johnson, qui ne faisait pas partie des personnes ayant déposé des accusations criminelles, a indiqué que « les excuses sans détour de l’établissement envers les personnes survivantes représentent un pas bien concret vers la reconnaissance des torts commis et de la souffrance subie par les victimes », mais qu’il ne s’agit que d’une première étape. Il ajoute que la publication du rapport pourrait amener d’autres victimes à briser le silence, d’où le maintien de la poursuite au civil. À ce sujet, M. Lahey indique que l’Université de King’s College s’est engagée à verser des « compensations financières adéquates », mais les montants ne sont pas encore fixés.
L’établissement doit aussi composer avec sa réputation entachée par le passage de M. Hankey. Selon le recteur, cette réputation ne sera rebâtie qu’avec le temps et qu’en fournissant des efforts pour rétablir la confiance envers l’établissement. « Beaucoup avaient l’impression, en particulier dans notre population étudiante, qu’il se produisait des choses sans aucune conséquence. Il y avait une omerta », révèle-t-il, en désignant la culture de l’établissement qui a régné pendant des années, voire des décennies, avant la publication du rapport Rubin. Peu importe l’ampleur des conséquences externes sur la réputation de l’établissement, ajoute-t-il, les dommages internes, accumulés des années durant, sont à régler.
Le recteur croit toutefois que les impacts à long terme sur la réputation de l’établissement auraient été bien pires si rien n’avait été fait au moment des accusations criminelles. « Les commentaires que j’ai reçus indiquent que nous soignons une partie de notre réputation auprès des gens qui comptent essentiellement le plus pour nous, soit notre population étudiante, qu’il s’agisse des personnes qui étudient entre nos murs en ce moment ou de nos ancien.ne.s étudiant.e.s. »
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