Une nouvelle liste noire de revues savantes trompeuses

La nouvelle liste, lancée par une entreprise américaine, se veut une solution plus transparente que la Beall’s List.

07 juillet 2017
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Une entreprise américaine spécialisée en services d’édition, Cabells International, a lancé le 17 juin une liste noire de ce qu’elle appelle les revues savantes « trompeuses ». Offerte exclusivement par abonnement, cette liste vise à remplacer la Beall’s List, une liste des éditeurs prédateurs « potentiels, possibles ou probables » créée par Jeffrey Beall, bibliothécaire à l’Université du Colorado à Denver, à qui l’on doit l’expression « éditeur prédateur ».

Sa liste, célèbre mais controversée, contenait environ 1 200 publications et 1 000 éditeurs. Il l’a toutefois brusquement supprimée à la mi-janvier, en partie, a-t-il expliqué, parce qu’il en avait assez des éditeurs qui le menaçaient et harcelaient ses collègues. Dans un article récemment paru dans la revue Biochemia Medica, M. Beall écrit, en outre, que la liste lui a valu « d’intenses pressions » de la part de son université et qu’il l’avait retirée « de crainte de perdre son emploi ».

Kathleen Berryman, gestionnaire de projets principale chez Cabells, affirme que son entreprise a appris l’existence de la Beall’s List il y a quelques années et l’a utilisée pour épurer sa liste blanche de 13 000 publications savantes de bonne réputation (une liste blanche énumère les publications légitimes, tandis qu’une liste noire recense celles jugées suspectes).

Elle ajoute qu’il a toutefois rapidement fallu se rendre à l’évidence : le milieu universitaire avait besoin d’une liste noire exhaustive pour faire le suivi du nombre sans cesse croissant de revues trompeuses. Le site Web de l’entreprise cite des chercheurs de la Hanken School of Economics, en Finlande, qui ont souligné que le nombre d’articles publiés dans les quelque 8 000 revues prédatrices était passé de 53 000 en 2010 à environ 420 000 en 2014.

« Les revues trompeuses représentent une immense menace pour la science, explique Mme Berryman. Les fausses données et les absurdités qu’elles contiennent sont très dommageables pour les chercheurs et les lecteurs. Les gens les gardent en tête et tiennent pour acquis qu’elles sont véridiques. »

Après un investissement de centaines de milliers de dollars et un an et demi de travail, Cabells lance à présent la Journal Blacklist dont la version originale contient près de 4 000 revues trompeuses. « Puisque le terme “prédateur” est aujourd’hui mal compris, nous l’avons remplacé par “trompeur” », précise Mme Berryman.

La liste Cabells détermine la légitimité des revues à partir de 65 critères ayant chacun une valeur en points. À titre d’exemple, les erreurs d’orthographe et de grammaire sur le site Web d’une revue ne valent pas beaucoup de points, contrairement à des preuves de plagiat ou à des lacunes en matière d’examen par les pairs.

« Nous avons créé […] un processus objectif et transparent afin d’éviter les décisions fondées sur les opinions », ajoute Mme Berryman. Après tout, la Beall’s List a été critiquée en raison de son processus de sélection trop axé sur l’opinion d’une seule personne.

La liste Cabells recense exclusivement les revues qu’elle juge trompeuses, et non celles qui sont simplement médiocres. « De plus en plus de publications grand public réputées proposent du contenu médiocre ou de faible qualité, mais nous ne les incluons pas dans la liste noire, poursuit Mme Berryman. Nous nous concentrons sur les revues trompeuses. »

De plus, la liste ne comprend pas d’éditeurs de revues. Comme le fait valoir Mme Berryman, « beaucoup d’éditeurs légitimes publient des revues trompeuses, et le fait de mettre l’accent sur les revues nous permet de les inclure dans la liste ». Cette dernière recense aussi bien des revues offertes par abonnement qu’en libre accès.

Chaque revue de la liste noire est accompagnée de la liste de ses violations, ce qui permet au lecteur de voir en un coup d’œil pourquoi elle y figure. Certaines raisons sont évidentes (comme le fait d’avoir usurpé le nom d’une revue légitime), et d’autres plus subtiles (comme le manque de politiques entourant la conservation numérique des articles).

Cabells s’est aussi dotée d’une procédure d’appel qui permet aux revues de demander leur retrait de la liste. Celles-ci doivent démontrer qu’elles font des efforts sincères pour rectifier leur situation. « Le suivi de ces [appels] peut prendre beaucoup de temps, en particulier dans les cas où il est question d’examen par les pairs, par exemple, souligne Mme Berryman. Quatre membres de notre personnel examinent les demandes des revues et les changements apportés. Nous communiquons parfois avec les membres du comité de rédaction et les auteurs. Bien que particulièrement long, ce processus est important, car les revues trompeuses sont reconnues pour utiliser le nom d’universitaires sans leur consentement. »

La nouvelle liste noire est offerte seulement par abonnement. D’après Mme Berryman, les principaux abonnés sont des universités et des sociétés de recherche, et le prix est fixé selon une échelle mobile en fonction de la taille de l’établissement ou de l’entreprise. Elle a néanmoins refusé de préciser la gamme de prix et invite les établissements à demander un devis directement à Cabells. Quant à la Beall’s List, elle était gratuite et apparemment consultée 20 000 fois par jour.

David Moher, professeur agrégé à l’École d’épidémiologie, de santé publique et de médecine préventive de l’Université d’Ottawa, dirige le Centre de journalologie de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa et étudie les revues prédatrices depuis trois ans. Il se dit préoccupé par le fait que Cabells impose des frais pour consulter la liste noire. « Dans une culture où le libre accès s’impose à un rythme effréné, il est malheureux de faire payer les gens, soutient-il. Il est peu probable que les bibliothèques universitaires en aient les moyens; elles composent déjà avec des pressions financières. »

« Nous souhaitions au départ offrir la liste gratuitement, explique Mme Berryman, mais à mesure que nous y avons investi du temps et des ressources, nous avons compris que l’option n’était pas viable. » Elle ajoute cependant que l’entreprise souhaite offrir sa liste gratuitement un jour.

Marc Couture, professeur retraité de la TÉLUQ, une université québécoise d’apprentissage en ligne, soutient que de nombreux universitaires déplorent la subjectivité latente associée aux listes noires et, à vrai dire, aux blanches. De plus, certains des critères applicables à ces listes « ne conviennent pas à la réalité des revues de petite taille du milieu des sciences humaines, en particulier si ces critères nécessitent un investissement en temps ou en argent, poursuit-il. La présence d’une petite revue sur une liste noire (de même que son absence d’une liste blanche) doit être prise avec des pincettes ».

Il appuie toutefois l’initiative de Cabells, dont il « aime la transparence des critères ».

Quoi qu’il en soit, « une liste noire n’est qu’une solution pour contrer les revues trompeuses, met en garde Mme Berryman. C’est le milieu universitaire qui devra s’unir pour en venir à bout ».

 

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