Avantages et difficultés de la collaboration internationale en recherche
Si le travail collaboratif à l’échelle internationale permet d’acquérir de nouveaux points de vue, il exige patience et planification.
La recherche universitaire se mondialise plus que jamais. Que ce soit pour avoir accès à de l’équipement spécialisé ou à de nouvelles sources de financement, ou pour trouver de nouvelles idées, les chercheurs tendent la main à leurs collègues du monde entier, et leurs travaux en bénéficient.
« Pour ma part, la science est indéniablement un projet mondial, explique Alejandro Adem, mathématicien à l’Université de la Colombie-Britannique et chef de la direction de Mitacs, une organisation de recherche et de formation à but non lucratif. Les idées transcendent les frontières, aucun pays n’en a le monopole. »
Dans certains domaines de recherche tels que la physique des particules, la collaboration internationale n’est pas un choix, mais plutôt un « mode de vie », précise Michael Roney, professeur de physique à l’Université de Victoria et directeur de l’Institut de physique des particules. Les projets dans ce domaine exigent souvent d’immenses infrastructures coûteuses qu’aucun pays ne peut financer seul. Rares sont les pays qui peuvent acquérir un Grand collisionneur de hadrons. « Nous devons collaborer pour avoir les moyens de faire avancer la science », ajoute M. Roney.
Les chercheurs dans ce domaine ont donc mis au point une culture de collaboration unique et mènent leurs travaux dans le monde entier. M. Roney a longtemps travaillé à l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, au Laboratoire national de l’accélérateur SLAC (É.-U.) et au laboratoire KEK (Japon). Selon lui, cette collaboration entre membres du milieu scientifique crée un terreau extrêmement fertile pour la création d’idées. « Les nouvelles idées naissent des échanges avec des gens de différents horizons. Cette interaction nous pousse à voir les choses différemment et à établir des liens qui nous échappaient jusque-là. »
Lori Beaman, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en diversité religieuse et changement social à l’Université d’Ottawa, affirme que son travail auprès de collègues à l’échelle internationale l’a mise en contact avec une diversité d’opinions d’une valeur inestimable. Par exemple, pendant qu’elle étudiait le déclin du christianisme en Amérique du Nord, elle a découvert que de nombreuses églises fermaient et que leurs bâtiments étaient mis en vente. Par contre, sa collaboration avec des collègues suédois lui a permis d’apprendre que les églises de Scandinavie reçoivent une aide de l’État, même lorsque le nombre de fidèles diminue, et peuvent ainsi conserver leurs bâtiments.
« On s’attendrait à ce que deux régions du monde qui ont le même problème appliquent la même solution, mais ce n’est pas le cas, explique-t-elle. À l’ère de la mondialisation, la collaboration internationale est essentielle pour élargir la réflexion. »
Pour Heather Aldersey, chercheuse en réadaptation à l’Université Queen’s qui s’intéresse à l’inclusion des personnes handicapées dans les pays en développement, les partenaires internationaux jouent un rôle essentiel pour transformer les résultats des travaux de recherche en mesures concrètes qui renforcent les capacités dans ces pays. Mme Aldersey donne en exemple un récent projet de création d’un programme d’ergothérapie en Éthiopie. Sans le leadership et les conseils de ses collègues éthiopiens à l’Université de Gondar, qui ont permis l’application efficace des travaux de recherche sur le terrain, le projet ne servirait pas à grand-chose. « La participation active et la collaboration des gens concernés par nos travaux de recherche sont essentielles, explique-t-elle. Nous avons des partenaires exceptionnels qui comprennent la collectivité. »
La collaboration internationale, et en particulier le travail à l’étranger, peut aussi véritablement relancer une carrière. Selon Vincent Larivière, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante à l’Université de Montréal, la mobilité des universitaires (par exemple une deuxième affiliation dans un autre pays ou une installation définitive à l’étranger) augmente les retombées scientifiques de leurs travaux, mesurées par le nombre de citations. « Les travaux de recherche effectués par des universitaires qui profitent d’occasions de mobilité internationale jouissent d’une plus grande visibilité et sont cités plus souvent. Cela correspond à ce que nous savons de l’importance de la collaboration internationale. »
L’étude de M. Larivière sur les avantages de la mobilité, publiée dans la prestigieuse revue Nature, en est un exemple concret. Elle figure parmi les projets qu’il a réalisés à titre de professeur invité à l’Université de Leiden, aux Pays-Bas, en collaboration avec des chercheurs européens, américains et canadiens. « Le projet est devenu un exemple de ce que nous avons étudié », constate-t-il.
Selon Mme Beaman, trouver des collaborateurs est un processus de longue haleine. La rencontre doit avoir lieu au bon moment, et il se peut que des années s’écoulent avant que l’occasion de travailler ensemble se présente. Mme Beaman a par exemple rencontré un universitaire finlandais dans le train vers l’aéroport après une conférence aux Pays-Bas, il y a trois ans. Ils sont restés en contact, et ce chercheur sera professeur invité à l’Université d’Ottawa l’an prochain. Un autre collègue, du Brésil cette fois, lui rendra visite au même moment. Mme Beaman se réjouit des possibilités de collaboration qui pourraient en résulter. « Le groupe présente une diversité intéressante. J’ignore ce qui en ressortira », affirme-t-elle.
Les technologies numériques rendent la collaboration internationale encore plus facile.
« Parmi mes collaborateurs étrangers, il y en a plusieurs que je n’ai jamais rencontrés, dit Vincent Larivière. Nous pouvons échanger des idées et des données par courriel, et même rédiger un article ensemble sans jamais nous rencontrer en personne. »
Toutefois, la collaboration internationale présente aussi son lot de difficultés. Certaines ne sont que des désagréments mineurs, tandis que d’autres peuvent transformer un projet en véritable corvée.
Parfois, il s’agit simplement de s’adapter à la culture de travail d’un autre pays. Au Canada, M. Larivière avait accès à son bureau en tout temps et organisait son emploi du temps comme il le souhaitait. Aux Pays-Bas cependant, l’université ferme à 19 h. « J’ai dû m’adapter et modifier mes heures de travail », explique-t-il.
Puisque l’anglais est la principale langue de travail dans les milieux scientifiques, les universitaires canadiens n’ont habituellement pas trop de problèmes à communiquer.
« Heureusement pour nous, la lingua franca est l’anglais », déclare M. Roney.
Toutefois, dans des pays où l’anglais n’est pas la principale langue seconde, les communications entre collègues sont parfois un peu plus difficiles. Mme Beaman raconte que lors d’une visite de laboratoire au Brésil, certains membres du groupe ont réussi à fournir au pied levé une traduction tout à fait acceptable. « La visite s’est déroulée dans une atmosphère bon enfant, dans la collégialité et la collaboration, et les gens se sont donné beaucoup de mal pour que tout le monde comprenne les idées de chacun », se rappelle-t-elle.
En outre, les projets internationaux ont tendance à évoluer plus lentement. « De nombreux chercheurs ne réalisent pas le temps que cela peut prendre, explique Jennifer Morawiecki, gestionnaire de la recherche internationale au bureau des services de recherche de l’Université Dalhousie. Ils doivent se préparer pour le long terme. »
La répartition des collaborateurs dans le monde entier peut compliquer l’organisation des réunions, à cause des différents fuseaux horaires. Les chercheurs doivent s’habituer à participer à des téléconférences à toute heure du jour. Même là, « il nous est parfois impossible d’assister à une réunion, en personne ou à distance », affirme Mme Beaman.
L’obtention de visas et de permis ralentit aussi parfois le travail, surtout dans les pays en développement. De plus, les échéances des procédures de demande et les calendriers de financement ne correspondent pas toujours, ce qui peut retarder et compliquer la collaboration entre des organisations de différents pays. « L’administration des projets de recherche [dans d’autres pays] n’est pas toujours aussi efficace qu’au Canada, indique Mme Morawiecki. Les processus peuvent être extrêmement compliqués ou d’une simplicité désarmante, tout est possible. »
La politique s’immisce aussi parfois dans le travail des chercheurs. Il arrive que le contexte politique ou de sécurité change, ce qui peut entraîner une réorientation des priorités de financement du gouvernement, voire rendre dangereuse la poursuite du projet. Même dans les pays développés, la politique peut s’interposer. Par exemple, le vote en faveur du Brexit a perturbé le milieu universitaire au Royaume-Uni, et risque de compliquer la collaboration en Europe.
Les chercheurs ne seront peut-être pas surpris d’apprendre que la plus grande difficulté dans la recherche internationale est d’obtenir du financement. En effet, lors d’un sondage sur l’internationalisation effectué en 2014 par Universités Canada, 83 pour cent des universités ont indiqué que le principal obstacle à la collaboration internationale est le manque de possibilités de financement des travaux de recherche. « Au Canada, peu de mécanismes de financement visent la collaboration internationale, souligne Mme Morawiecki. Il y en a moins qu’avant, leur nombre a été considérablement réduit au cours des cinq à huit dernières années. »
Les chercheurs doivent donc parfois se montrer créatifs pour faire financer leurs travaux. De nombreux projets auxquels participe Mme Aldersey à l’Université Queen’s sont financés par des organisations de développement international, qui s’intéressent généralement davantage aux interventions concrètes qu’aux questions de recherche. Par exemple, son projet en Éthiopie financé par la Fondation MasterCard portait sur le perfectionnement des compétences et offrait aux étudiants éthiopiens des bourses pour venir étudier l’ergothérapie au Canada. La chercheuse a dû trouver des façons d’y intégrer des questions de recherche, à la fois pour évaluer le projet de manière pertinente et pour grossir la base de connaissances scientifiques.
Elle a donc inclus au projet une étude de la situation actuelle en Éthiopie. « Pour mettre en place le premier projet d’ergothérapie dans un pays, explique-t-elle, il faut d’abord examiner la situation de cette discipline à cet endroit. Nous tentons de trouver différents moyens de mettre une expérience à profit. »
Pour la plupart des chercheurs, la collaboration internationale suppose la mise en commun de fonds provenant de sources disparates : chaque membre de l’équipe présente une demande dans son pays d’origine dans l’espoir que tous les fonds seront reçus en temps opportun. Malheureusement, cela ne fonctionne pas toujours. « Si les éléments ne s’emboîtent pas comme ils le devraient, le projet risque de tomber à l’eau », déplore Mme Beaman de l’Université d’Ottawa.
Selon Brent Herbert-Copley, vice-président directeur du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), les conseils de recherche collaborent avec leurs homologues à l’étranger pour appuyer les projets internationaux et faciliter la tâche aux chercheurs. Le CRSH est membre de la Plateforme transatlantique, un groupe de 18 organismes subventionnaires provenant de 12 pays d’Amérique du Nord, d’Amérique du Sud et d’Europe, qui oeuvrent dans le domaine des sciences humaines et qui s’efforcent d’harmoniser les politiques et d’offrir du financement pour resserrer les liens internationaux. « Nous essayons de faciliter la collaboration », explique M. Herbert-Copley.
La Plateforme est née de l’initiative Au coeur des données numériques, financée par l’Union européenne et créée pour appuyer les projets de recherche en sciences humaines qui font appel à des données massives ainsi que pour faciliter la collaboration à cet égard entre l’Amérique du Nord et l’Europe. Le deuxième appel à propositions conjoint de la Plateforme sera bientôt lancé sur le thème de l’innovation sociale. Le processus de demande sera le même pour les équipes internationales, mais chaque collaborateur recevra du financement de l’organisme subventionnaire de son propre pays. M. Herbert-Copley affirme que la Plateforme ne cesse d’évoluer, et se dit ravi de la voie empruntée. « La Plateforme est une courbe d’apprentissage, déclare-t-il. Pour la première fois, nous essayons de comprendre comment les organismes pourraient collaborer. D’un appel à l’autre, les choses deviendront de plus en plus faciles. »
Les conseils de recherche du Canada sont aussi membres du Conseil mondial de la recherche, une organisation qui regroupe les dirigeants de conseils nationaux de recherche du monde entier et dont le but est de faciliter la communication et l’échange de pratiques exemplaires. Mario Pinto, qui jusqu’à tout récemment assurait la présidence du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG), vient de terminer son mandat à titre de président de l’organisation. (M. Pinto a quitté son poste à la direction du CRSNG en septembre, après l’entrevue qu’il a donnée pour le présent article.) Selon lui, même si le Conseil mondial de la recherche ne finance pas les travaux de recherche directement, il peut aider les organismes subventionnaires de différents pays à lancer des appels de propositions conjoints lorsque les ressources sont disponibles.
Les organismes subventionnaires du Canada mènent actuellement une consultation sur la façon d’utiliser le nouveau fonds de recherche de 275 millions de dollars des trois organismes subventionnaires, annoncé dans le budget 2018 et destiné à soutenir les activités de recherche internationales, interdisciplinaires et à haut risque. M. Pinto affirme que le Conseil mondial de la recherche fournira des ressources utiles au moment d’établir les projets internationaux. « Le Conseil entretient d’excellentes relations, ce qui facilite la création de partenariats », indique-t-il.
L’Europe, qui s’est dotée d’un gigantesque programme de financement de la recherche appelé Horizon 2020 qui dispose d’un budget de 80 milliards d’euros (122 millions de dollars canadiens), exerce un attrait certain auprès des chercheurs en quête de partenaires internationaux. « Notre devise est “Ouvert sur le monde”, explique Viktoria Bodnarova, directrice du bureau nord-américain d’EURAXESS, à Washington. Nous sommes en faveur de la collaboration internationale et travaillons à attirer les collaborateurs étrangers. »
La bureaucratie complexe qui accompagne le programme peut cependant en décourager plusieurs, mais l’Union européenne, par l’entremise du réseau de bureaux EURAXESS, assiste les chercheurs qui souhaitent entreprendre des démarches. Selon Mme Bodnarova, les chercheurs canadiens qui veulent collaborer avec des collègues européens dans le cadre du programme Horizon 2020 peuvent s’y prendre de deux façons.
La première consiste à se joindre à l’un des consortiums qui concourent pour obtenir une importante subvention de collaboration. Toutefois, l’établissement auquel les chercheurs sont affiliés doit s’associer au projet, et il se peut que les participants canadiens doivent tout de même apporter une contribution financière au groupe. L’autre façon consiste à présenter une demande de subvention individuelle, soit dans le cadre du programme Actions Marie Curie, soit auprès du Conseil européen de la recherche. Ainsi, les chercheurs étrangers peuvent mener des projets dans n’importe quel domaine scientifique dans un établissement hôte d’un pays européen, et les Canadiens ont jusqu’ici connu beaucoup de succès à cet égard, ajoute Mme Bodnarova.
Pour les étudiants canadiens aux cycles supérieurs, Mitacs offre un programme permettant de faire des projets de recherche à l’étranger pendant de courtes périodes. Selon M. Adem, ces séjours peuvent contribuer à créer des liens entre les laboratoires. « À l’ère de la mobilité mondiale, l’échange d’étudiants est important pour les collaborateurs de différents pays, affirme-t-il. Les étudiants sont des agents de changement et peuvent enseigner de nouvelles techniques à leurs professeurs. » M. Adem espère que Mitacs étendra un jour certains de ses programmes de mobilité internationale aux membres du corps professoral.
Mme Morawiecki conseille à tout chercheur qui envisage de travailler à l’étranger de s’adresser d’abord au bureau de recherche de son université. La plupart des bureaux offrent des conseils gratuits sur la recherche internationale et s’assurent que les chercheurs en début de carrière sont au courant de toutes les possibilités. « N’hésitez pas à venir nous parler », indique-t-elle.
Même si les difficultés de la recherche internationale peuvent sembler énormes, selon Mme Morawiecki les récompenses en valent vraiment la peine. Les bureaux de recherche sont là pour rendre le processus aussi simple que possible. « La collaboration internationale est un but auquel les chercheurs aspirent tout naturellement, conclut-elle. Ils doivent toutefois se démener un peu plus pour y arriver. »
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