De l’usine à l’université, un seul objectif pour Céleste Grimard : des milieux sains

Qu’entend-on par bien-être au travail? Une professeure qui en a fait sa spécialité explique sa conception de celui-ci.

26 janvier 2022

Après avoir passé près de 31 ans à travailler dans le milieu universitaire et avoir reçu plusieurs distinctions tout au long de sa carrière, Céleste Grimard, professeure titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal, prendra sa retraite en 2025. Mais difficile de croire cette sexagénaire toujours aussi passionnée par ses domaines de recherche : les émotions au travail, l’épuisement professionnel et le harcèlement psychologique au travail. Des enjeux on ne peut plus contemporains. Autant dire qu’elle n’a jamais chômé, surtout par les temps qui courent au moment où de nombreux milieux de travail opèrent des transitions qu’on croyait encore impossibles il y a quelques années. Rencontre avec l’incarnation du bien-être au travail.

« Pour une universitaire, c’est vrai que je n’ai pas un parcours habituel. Mon père travaillait à l’usine, ce n’était pas un milieu facile. Au souper, il nous racontait sa journée et je trouvais ça fascinant… Je crois que ça a attisé ma curiosité mais aussi mon envie d’aider à créer des milieux de travail sains et positifs pour tous.tes », se souvient la professeure qui a toujours cherché à faire une différence dans la vie des employé.es et des gens en général.

« Au fil des années, plusieurs étudiant.e.s m’ont contactée pour me dire que mes cours avaient changé leur vie professionnelle ou personnelle, que ça les avait aidé.e.s à prendre des décisions importantes. »

« J’adore travailler avec les étudiant.e.s. J’essaie de leur transmettre les valeurs de ma famille, de mon milieu ouvrier : la gentillesse, le respect de tous les travailleurs, l’humanité, l’humilité, l’inclusion, la gratitude, l’autonomie et l’authenticité », raconte simplement celle qui donne des cours de leadership mémorables. « Au fil des années, plusieurs étudiant.e.s m’ont contactée pour me dire que mes cours avaient changé leur vie professionnelle ou personnelle, que ça les avait aidé.e.s à prendre des décisions importantes. Je pense que c’est parce que mon cours est basé sur l’apprentissage actif, ils et elles réalisent des cas pratiques, mettent en place des plans d’action, etc. La valeur transformatrice de ce type de cours est remarquable, plus qu’on ne l’imagine », précise Mme Grimard dont l’un des cours aurait même permis à un étudiant de sortir d’une relation abusive. « C’est une très grande fierté pour moi. Il a changé de carrière professionnelle dans la foulée aussi, comme s’il s’était finalement révélé à lui-même en sortant de cours. C’est tellement précieux. »

Le grand bouleversement

Quant aux principaux impacts de la pandémie, la professeure estime que cela nous a permis de prendre du recul et d’en apprendre plus sur les relations humaines. « Les gestionnaires ont appris à faire confiance aux employés et les managers se rendent compte qu’ils n’ont pas besoin de surveiller les employés. Il y a également eu une augmentation de la productivité grâce au télétravail, car les personnes ont moins de temps de déplacement, etc. Enfin, il y a plus d’attention portée à la situation de vie des employés, et donc plus de flexibilité, c’est un réel progrès », soutient la spécialiste qui note tout de même quelques aspects négatifs.

« À distance, il faut faire un effort permanent pour rester en contact et se soutenir, alors c’est vrai que l’esprit d’équipe peut en souffrir. Les gens ne vivent plus les interactions informelles du couloir qui étaient source de connexion, et un sentiment d’isolement peut se faire sentir. Il faut en tenir compte. »

À cela s’ajoute le fait que les gestionnaires doivent vraiment bien connaître les capacités de leurs employés afin de les aider en cas de nécessité. « Ils doivent aussi apprendre à gérer en fonction des résultats atteints et non en fonction du temps de travail des employés », lance Mme Grimard, partisane de la fameuse semaine de quatre jours qui fait de plus en plus d’adeptes.

« Finalement, cette semaine de quatre jours apporte beaucoup de positif tant pour les employés (qui vont se concentrer davantage) que pour les employeurs (qui vont apprendre à faire davantage confiance). »

« J’adore cette idée, je pense que c’est une expérimentation qu’on doit faire. La pandémie nous a permis de prendre conscience qu’on peut avoir une certaine flexibilité dans le temps de travail. Une semaine de quatre jours de travail aide à équilibrer la vie des travailleurs, réduit le temps et le coût de déplacement, et donne une journée de plus aux employés pour évacuer le stress, passer du temps avec leur famille, vaquer à leurs loisirs, etc. C’est essentiel! Finalement, cette semaine de quatre jours apporte beaucoup de positif tant pour les employés (qui vont se concentrer davantage) que pour les employeurs (qui vont apprendre à faire davantage confiance). »

Et si…

Au fil de la conversation, une vaste question se profile à l’horizon : l’humain est-il vraiment fait pour travailler? « Je pense que oui! (rires) Le travail peut devenir une passion, j’en parle d’ailleurs dans mon livre sur le minimalisme au travail. Mais le minimalisme ne consiste pas seulement à réduire la paperasse, c’est un outil pour se concentrer sur ce qui est important pour trouver la joie et la liberté au travail », explique celle qui estime qu’on passe une si grande partie de notre vie à travailler qu’il est vital d’y trouver un sens. « Si nous n’aimons pas notre travail, nous sommes malheureux plus de la moitié du temps au quotidien. Pourquoi travaillons-nous? Travaillons-nous pour vivre ou vivons-nous pour travailler? Il faut trouver un équilibre et mettre les choses en perspective en se posant des questions existentielles », rappelle Mme Grimard qui est déjà allée au travail à reculons.

« Il faut écouter son corps et ses émotions. Quand j’étais étudiante, je travaillais dans une usine de production d’œufs. Après quatre jours de travail dans ce milieu hostile et agressif, je ne pouvais plus me lever pour aller au travail, pourtant j’avais vraiment besoin de cet argent… Mais j’ai démissionné, c’était plus fort que moi : il faut s’écouter et se respecter. D’autant qu’il y a un effet à long terme sur notre santé mentale et physique quand les milieux du travail sont toxiques. »

En matière d’impact, Céleste Grimard s’y connaît bien. Avec le professeur Raymond Lee, elle a mis au point l’« emotional labour scale » (l’échelle du travail émotionnel) qui permet de mesurer la façon dont les gens régulent leurs émotions au travail. « L’échelle a été adaptée dans le monde entier : chaque semaine, je reçois plusieurs demandes de chercheurs aux quatre coins du monde pour avoir une copie de cette échelle. La dernière demande reçue est celle d’un étudiant irakien à la maîtrise qui souhaite étudier le travail émotionnel dans les écoles primaires irakiennes. Bref, j’aide à effectuer ces recherches et je trouve ça tellement intéressant de voir comment cette échelle est utilisée à travers le monde. »

À trois ans de prendre sa retraite, Céleste Grimard estime qu’elle peut toujours faire une différence dans la vie des travailleurs. On s’en doutait. « Alors je vais continuer à m’impliquer dans certaines collaborations de recherche. Je suis en train d’écrire un livre aussi! Et puis, j’ai envie d’aider les aînés à transmettre leurs histoires de vie, j’adore les écouter : ils ont beaucoup à dire et à nous apprendre, j’aimerais combiner leurs histoires dans un livre. Ça leur donnerait une voix, j’ai l’impression qu’on les oublie parfois alors qu’ils ont besoin d’être écoutés. »

 

This site is registered on wpml.org as a development site. Switch to a production site key to remove this banner.