Des manuels de cours entrent dans la modernité
Le mouvement des ressources éducatives libres redéfinit le concept des manuels en ligne gratuits.
Arthur Gill Green se souvient de la date précise à laquelle il a adopté les ressources éducatives libres (REL). C’était en 2010, alors qu’il venait de donner un cours d’initiation à la géographie. Ce jour-là, il a vu des étudiants prendre des photos dans le fond de la salle de classe et s’est demandé pourquoi. En fait, ils photographiaient le manuel de cours.
« Chaque semaine, deux d’entre nous prennent des images numériques des pages du manuel et un autre rapporte le manuel chez lui », a avoué un étudiant nerveux. M. Green a assuré aux étudiants qu’il n’était pas fâché, mais il estime à présent que l’incident lui a ouvert les yeux. « Je me suis rendu compte que je plaçais mes étudiants dans une position inacceptable, et qu’ils n’avaient pas les moyens de se procurer les livres que je choisissais », se rappelle-t-il.
Quelques années plus tard, M. Green, professeur adjoint affilié à l’Université de la Colombie-Britannique, ne se contente pas d’utiliser des ressources éducatives libres, définies en termes généraux comme des outils didactiques sous licence ouverte, mais il collabore également à la rédaction de deux manuels de géographie en libre accès et il a mis au point une application de sortie éducative virtuelle appelée Field Press. Comme de nombreux autres adeptes, M. Green ne voit pas le phénomène des REL comme un choix de consommation, mais plutôt comme un mouvement qui redéfinit sa méthode pédagogique et axe son enseignement sur la collaboration, l’inclusion et la créativité.
Ce n’est pas un hasard si M. Green enseigne en Colombie-Britannique, car le mouvement des REL est né au sein de l’organisation BCcampus. Depuis sa fondation en 2003, elle aide les établissements d’enseignement postsecondaire de la province à évaluer et à élaborer des technologies éducatives. En 2012, l’organisation a véritablement plongé dans les REL lorsqu’elle s’est vu confier la responsabilité du tout premier projet canadien de manuels en libre accès financé par le gouvernement, qui avait pour mandat de créer des manuels en ligne gratuits pour les 40 cours les plus suivis de la province.
Aujourd’hui, BCcampus héberge plus de 170 manuels de cours en libre accès et offre un éventail de ressources aux utilisateurs, y compris l’accès à la plateforme d’édition en ligne Pressbooks. BCcampus organise également un forum national de collaboration sur les REL, dont les membres proviennent de presque toutes les provinces et se réunissent en ligne tous les deux mois.
Alors qu’autrefois on aurait dit aux étudiants de sauter un chapitre non pertinent d’un manuel traditionnel, on peut, dans un manuel en libre accès, le supprimer complètement ou remplacer les exemples propres aux États-Unis, entre autres, par du contenu canadien. On peut aussi y intégrer un chapitre de ses propres travaux de recherche et ajouter sa création à une bibliothèque en libre accès afin que d’autres l’utilisent. Une telle souplesse est possible en partie grâce aux six licences de Creative Commons, qui permettent aux auteurs de choisir celle qui correspond à l’utilisation qu’ils autorisent de leurs oeuvres. Le degré de restriction de ces six licences varie du simple téléchargement à la permission de remanier et de réviser une oeuvre.
« Nous ne pourrions pas travailler avec du contenu à autorisation restreinte par un droit d’auteur. Il est très important pour les professeurs de pouvoir disposer à leur guise des ressources éducatives libres. D’un point de vue pédagogique, c’est ce qui les rend bien meilleures », affirme Rory McGreal, professeur au Centre for Distance Education de l’Université Athabasca et titulaire de la chaire UNESCO/Commonwealth of Learning en ressources éducatives libres.
Les étudiants aiment surtout les REL pour des raisons financières. BCcampus estime avoir permis aux 34 000 étudiants qui utilisent des manuels en libre accès dans les établissements d’enseignement postsecondaire de la province d’économiser entre 3,3 et 3,9 millions de dollars. Selon M. McGreal, les économies réalisées par les étudiants et les établissements de l’Alberta, à la suite d’un investissement important du gouvernement provincial en 2014, se chiffreraient dans les millions de dollars. D’autres établissements jouissent d’économies semblables : l’Université de la Saskatchewan soutient que l’utilisation de manuels en libre accès a permis à 2 750 étudiants d’économiser collectivement 275 000 $ au cours de l’année universitaire 2016-2017.
Pour les professeurs, les motivations à faire l’essai des REL sont plus complexes. Sur un plan purement pratique, les documents faciles à modifier peuvent être actualisés rapidement avec de nouvelles données de recherche. Mais les REL suscitent également l’enthousiasme de leurs partisans parce qu’elles favorisent une créativité accrue et une démarche axée sur les étudiants. « Je n’enseigne plus en suivant un manuel. Mes étudiants et moi-même décidons de ce que nous avons besoin d’apprendre », explique M. Green, qui a fait appel à ses étudiants afin de mettre sur pied un répertoire d’études de cas originales en géographie.
M. Green souligne que les nouveaux utilisateurs des REL peuvent facilement se sentir dépassés et leur recommande donc de procéder graduellement. « Je crois que beaucoup de professeurs craignent que cette méthode alourdisse considérablement leur tâche. Je pense qu’avant tout, il ne s’agit pas de rédiger un manuel, mais plutôt d’en choisir un qui existe déjà et d’y apporter de légères modifications. Il ajoute que les créateurs sont disposés à partager leurs connaissances. Si vous trouvez une ressource éducative libre, discutez-en avec son auteur. En règle générale, nous sommes très heureux de voir des gens adopter nos ouvrages. Joignez-vous à notre groupe d’utilisateurs. »
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