Des universitaires cherchent comment prévenir la radicalisation des Canadiens

« Il est rare que quelqu’un se radicalise seul dans son sous-sol »

06 février 2017

Pour le chercheur canadien Lorne Dawson, la meilleure illustration des dangers et difficultés que posent les extrémistes radicalisés n’est ni le massacre du Bataclan, à Paris, ni la tuerie du Pulse, à Orlando. C’est plutôt l’attaque ratée, en mai 2015 à Garland, au Texas, lors de laquelle deux hommes natifs des États-Unis avaient tenté d’investir une conférence où étaient exposées des caricatures de Mahomet.

L’un des auteurs de l’attaque, Nadir Hamid Soofi, avait un père pakistanais; l’autre, Elton Simpson, était un Afro-américain, radicalisé depuis peu. Simpson avait prêté allégeance à Daech avant de se rendre sur les lieux. Les deux hommes ont été abattus par une équipe d’intervention d’urgence avant de pouvoir tuer quiconque.

Professeur de sociologie, d’études juridiques et d’études religieuses à l’Université de Waterloo, M. Dawson a surtout été frappé par le chagrin exprimé par ceux qui avaient jusqu’alors suivi Simpson sur les réseaux sociaux. « On aurait dit les membres d’une équipe de football du secondaire rendant hommage à leur quart-arrière tué dans un accident de voiture. Leurs messages de soutien avaient un ton très personnel et bienveillant, dénué de rhétorique religieuse. »

Pionnier de l’étude du terrorisme intérieur, M. Dawson fait partie du nombre croissant d’universitaires canadiens qui se penchent sur les moyens de prévenir la radicalisation et l’extrémisme violent, au pays comme à l’étranger. Issus de quelques universités canadiennes et de disciplines très diverses, ces spécialistes échangent dans le cadre de groupes et de programmes axés sur la sécurité et financés par les gouvernements, ainsi que de quelques réseaux universitaires.

Le TSAS (Canadian Network for Research on Terrorism, Security and Society) est l’un de ces réseaux. Il a été conjointement mis sur pied en 2012 par son directeur, M. Dawson, et par Daniel Hiebert, professeur de géographie à l’Université de la Colombie-Britannique et spécialiste des politiques publiques en matière d’immigration et d’intégration. Grâce à une subvention de partenariat du Conseil de recherches en sciences humaines et d’un accord de contribution avec Sécurité publique Canada, le TSAS vise à renforcer la collaboration entre les quelque 200 universitaires canadiens et étrangers qui étudient les liens complexes entre diversité culturelle, droits de la personne et politiques de sécurité nationale.

Pour Aurélie Campana, directrice adjointe du TSAS et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les conflits et le terrorisme à l’Université Laval, l’un des grands défis de la prévention des actes violents consiste à déterminer ce qui les déclenche. « Il est rare que quelqu’un se radicalise seul dans son sous-sol », précise-t-elle.

Illustration par Clay Rodery.

« Un grand nombre de recrues sont jeunes. Souvent âgées de 16 à 22 ans, elles sont en quête d’identité ou d’aventure, d’un sentiment d’appartenance et même d’altruisme. » Dès qu’une recrue épouse l’idéologie d’un groupe, il y a risque de conflit direct entre elle et les membres de sa famille, ses amis et les autorités, ce qui peut accélérer la radicalisation.

Depuis quelques années, le financement des recherches du TSAS provenait majoritairement du programme Kanishka, créé en 2011 par le gouvernement fédéral conservateur et doté d’une enveloppe de 10 millions de dollars. Ce programme quinquennal visait à aider les chercheurs canadiens à trouver des moyens de comprendre et de contrer le terrorisme, mais il a pris fin au début de 2016. En août dernier, le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a annoncé à la presse son intention de le relancer sous un nouveau nom, mais la nouvelle version du programme, axée sur la déradicalisation, n’a toujours pas vu le jour.

Selon Sami Aoun, politicologue et spécialiste du Moyen-Orient à l’Université de Sherbrooke, la radicalisation menace l’existence des démocraties libérales. À l’heure où les démocraties occidentales tolèrent les discours radicaux, le défi consiste à déterminer ce qui relève de la liberté d’expression, et ce qui tient de l’appel à la violence.

« La tolérance des démocraties est mise à l’épreuve. Les groupes nationalistes et religieux testent sans cesse les limites imposées par la loi », précise M. Aoun, qui est également directeur de l’Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent. Formé de chercheurs francophones, ce groupe montréalais s’est vu renforcé par la création d’une nouvelle chaire de recherche internationale sur la radicalisation, annoncée l’année dernière par le gouvernement québécois lors d’une conférence conjointe avec l’UNESCO.

M. Aoun compare la radicalisation à une maladie susceptible « d’ébranler les piliers » de toute société ouverte et tolérante basée sur la confiance. Le Canada possède toutefois d’après lui trois atouts culturels et politiques qui aident à le protéger de la propagation de la radicalisation et de l’extrémisme violent : une laïcité bien ancrée, ni idéologique ni dogmatique; une Charte des droits et libertés qui affirme la suprématie de Dieu, mais protège la liberté de conscience; et une alternance sur le plan politique, qui permet une évolution sur tous les plans (acceptation de l’homosexualité, légalisation de la marijuana, etc.). « C’est là un bon équilibre », conclut M. Aoun.

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