Économie : la famille dans l’équation
Domaine de recherche en pleine expansion, l’économie de la famille applique les concepts de base de l’économie à l’unité familiale et permet ainsi aux chercheurs d’explorer des enjeux stratégiques fondamentaux.
Cet article est un sommaire de l’article « Putting the family in economics ».
Jusqu’à la moitié du XXe siècle, « les économistes avaient une vision simpliste de la famille », affirme Shari Eli, professeure adjointe au département d’économie de l’Université de Toronto. Ils considéraient les familles comme de simples rouages dans l’engrenage des grandes forces économiques. « Nous pouvions parler de la demande de biens d’un ménage, mais nous ne cherchions pas vraiment à savoir d’où provenait cette demande », explique Elisabeth Gugl, professeure agrégée d’économie à l’Université de Victoria.
La pensée a commencé à évoluer dans les années 1970, lorsque Gary Becker, économiste à l’Université de Chicago, a appliqué la théorie économique aux relations interpersonnelles. Il a démontré que les couples se mariaient pour obtenir un avantage comparatif, comme les pays qui concluent des alliances commerciales. Il a mesuré les effets du nombre d’enfants dans une famille sur l’utilisation du temps et l’investissement dans ces enfants. Enfin, il a synthétisé ce travail dans son ouvrage phare de 1981 intitulé A Treatise on the Family. C’est ainsi qu’est née l’économie de la famille.
Bien qu’écarté au départ – les hommes qui dominaient alors la science économique ne considéraient pas le choix de l’époux ou de l’épouse ni la façon dont les femmes utilisaient leur temps comme des questions très importantes –, M. Becker a remporté le prix Nobel d’économie en 1991. « Il a étudié des domaines jusqu’alors inexplorés », déclare Mme Gugl.
Ses travaux sont arrivés à un moment charnière. La société occidentale se transformait rapidement, et de nouvelles méthodes faisaient leur apparition dans le domaine de l’économie. « La discipline s’est mathématisée, soutient Miles Corak, professeur canadien d’économie au Centre des études supérieures de l’Université de la ville de New York. Le degré de technicité a augmenté, et nous nous sommes dotés d’une trousse d’outils. » On a commencé à expliquer les actions et leurs effets à l’aide de formules, ce qui a permis aux économistes de mesurer réellement le comportement humain.
« Le travail de Gary Becker relevait plus de l’art que de la science. Beaucoup de ses théories étaient imparfaites », affirme Aloysius Siow, professeur d’économie à l’Université de Toronto. Sa théorie économique des ménages plaçait le père, qui détenait le pouvoir économique, dans le rôle d’un dictateur bienveillant prenant des décisions dans l’intérêt de chacun. M. Becker, comme de nombreux économistes de son époque, supposait que les membres de la famille agissaient tous de manière rationnelle.
Les chercheurs ont commencé à élaborer de nouvelles théories qui postulaient que les couples négociaient, parfois de manière inefficace – ils gaspillaient les ressources familiales, ou leurs décisions créaient des conflits. En quelques décennies, un éventail de théories fondamentales ont été élaborées pour expliquer le processus décisionnel au sein des familles.
En 1930, 60 pour cent des foyers américains n’avaient pas d’électricité ou n’en avaient que pour l’éclairage. Trente ans plus tard, presque tout le monde était branché au réseau et économisait du temps grâce à de multiples appareils ménagers. Joshua Lewis, professeur adjoint au département d’économie de l’Université de Montréal, a voulu savoir en quoi ce spectaculaire bouleversement technologique a contribué au baby-boom et à l’entrée des femmes sur le marché du travail.
Ses découvertes ont dévoilé un lien de cause à effet complexe. L’électrification des foyers a réduit la mortalité infantile – les cuisinières électriques ne viciaient pas l’air comme celles au charbon –, mais la taille des familles n’a pas monté en flèche. Les mères ne sont pas non plus sorties en masse pour trouver des emplois, comme on s’y serait attendu.
« Le travail des femmes au foyer n’a pas diminué. Elles ont commencé à investir davantage dans leurs enfants », explique M. Lewis. Toutefois, les filles qui ont grandi dans ces premières maisons électrifiées ont été plus nombreuses à travailler à l’extérieur des décennies plus tard. Il a élaboré une théorie et une formule sur le temps supplémentaire consacré par ces mères à l’éducation de leurs enfants – par exemple, en se chargeant des tâches ménagères de leurs filles – et sur la façon dont la vie des filles s’en est trouvée transformée.
Une autre grande question : pourquoi le taux de mariage a-t-il baissé à partir du XXe siècle? Pour y répondre, M. Siow, de l’Université de Toronto, et l’économiste Eugene Choo, maintenant à l’Université Yale, ont créé la fonction Choo Siow, qui explique le choix de la personne à marier. Dans un article paru en 2003, le duo a démontré que le taux de mariage a chuté dans les années 1970 et 1980 parce qu’il est devenu moins avantageux. La légalisation de l’avortement a aussi contribué au phénomène.
Parce qu’il est souvent nécessaire dans ce domaine d’étudier de nombreux ensembles de données sur une longue période, les chercheurs comme Mme Eli et M. Lewis se sont concentrés sur les États-Unis. Cependant, au cours des dernières années, Statistique Canada a commencé à offrir un accès contrôlé à une foule de données administratives, y compris sur les taxes et les impôts, l’aide sociale, l’éducation, la santé et les pensions. Les identités sont protégées, mais les chercheurs peuvent suivre les mêmes individus dans de multiples ensembles de données.
« Au Canada, nous sommes sur le point de pouvoir étudier une quantité incroyable de données extrêmement riches de sens », souligne M. Corak. Marie Connelly, professeure agrégée au département des sciences économiques de l’Université du Québec à Montréal, affirme que bien qu’il y ait des limites à ce que l’on peut apprendre sur une personne à partir de données administratives, leur ampleur est un atout précieux pour les chercheurs du domaine.
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