Entretien avec la nouvelle conseillère scientifique en chef du Canada, Mona Nemer
« Mon rôle est de donner des conseils fondés sur des données probantes. »
Le 26 septembre, le gouvernement fédéral a honoré l’une de ses promesses électorales en rétablissant le poste de conseiller scientifique en chef et en y nommant Mona Nemer. Avant sa nomination, Mme Nemer dirigeait le Laboratoire de génétique moléculaire et de régénération cardiaque de l’Université d’Ottawa, où elle a été vice-rectrice à la recherche pendant 11 ans. Dans un entretien accordé en octobre à Affaires universitaires, Mme Nemer s’est exprimée au sujet de ses nouvelles fonctions et des responsabilités afférentes. L’entretien s’est déroulé dans ses bureaux encore presque vides situés non loin de la Colline du Parlement. « Nous vous aurions bien offert un café, m’a dit son adjoint, mais nous n’avons pas encore de cafetière… »
Affaires universitaires (AU) : Merci d’avoir pris le temps de nous accorder cette entrevue, et félicitations pour votre nomination.
Mona Nemer : Merci. Ça fera un mois demain que j’ai été nommée.
AU : J’imagine que ça a été un mois chargé?
Mme Nemer : Plus que ça. Un mois totalement fou, mais passionnant et très stimulant. Je suis vraiment emballée par ce poste.
AU : Comment décririez-vous votre rôle de conseillère scientifique en chef?
Mme Nemer : Ma tâche consiste à conseiller la ministre des Sciences, le premier ministre et les membres du Cabinet à propos des dossiers scientifiques ou de ceux qui exigent des données scientifiques. Mon rôle est aussi d’amener les chercheurs intra-muros (ceux qui travaillent dans des établissements gouvernementaux) et extra-muros (ceux qui travaillent dans des universités, des hôpitaux de recherche et d’autres instituts) à collaborer davantage ensemble et avec le reste du monde. Je dois également veiller à renforcer la visibilité de la science et la rendre compréhensible pour la population.
AU : Vous vous considérez donc comme une promotrice de la science auprès de la population?
Mme Nemer : Promotrice ressemble trop à lobbyiste. Je me vois plutôt comme une championne de la science, chargée de la faire comprendre et d’expliquer son rôle dans la vie de tous les jours.
AU : De qui relevez-vous?
Mme Nemer : Je relève du premier ministre et de la ministre des Sciences. J’ai deux patrons, en somme.
AU : Comment vont se dérouler vos échanges avec eux?
Mme Nemer : Ce sera un dialogue permanent. Ils souhaitent que je sois à la fois réactive et proactive. Ils pourront me demander de me pencher sur des questions en particulier, mais il y a aussi des dossiers en cours ou prévus et auxquels le gouvernement et le Canada doivent se préparer, comme ceux de l’Arctique, de la santé mondiale ou des peuples autochtones.
AU : Comment les universités et les autres intervenants en recherche peuvent-ils vous aider dans vos fonctions?
Mme Nemer : De bien des manières. Les universités sont essentielles à l’avenir de notre pays et à son développement économique. Ce sont elles qui forment les chefs de file de demain. Elles jouent donc déjà un rôle très important.
Le Canada a été moins proactif que d’autres pays dans certains domaines, notamment en matière de participation du milieu scientifique à la vie publique et à l’avenir du pays. Je me rends compte que nous demandons beaucoup à nos scientifiques : mener des travaux de recherche, assurer la formation, fonder des entreprises… Mais je pense qu’il est important qu’ils participent davantage à l’élaboration de politiques et qu’ils conseillent davantage le gouvernement. Je vais en discuter avec les recteurs pour déterminer ce qu’ils pourraient faire de plus sur ce plan. Il existe dans certains pays des programmes qui permettent aux professeurs de s’absenter de l’université pendant un an pour intégrer un ministère gouvernemental. Je trouve que c’est une très bonne chose. Les professeurs peuvent ainsi faire bénéficier le gouvernement du savoir universitaire, puis faire profiter l’université du savoir gouvernemental. J’aimerais vraiment compter des scientifiques universitaires parmi mon personnel. Ça nous permettrait de travailler tous ensemble.
Nous devons aussi trouver le moyen d’améliorer la collaboration interdisciplinaire et intersectorielle. Avec les organismes subventionnaires de la recherche et les ministères responsables des sciences, j’entends chercher comment tirer parti de toute cette richesse scientifique et intellectuelle.
AU : Nous voulons tous que l’élaboration de politiques repose sur des données scientifiques, mais les politiques gouvernementales sont basées sur une foule de facteurs, pas toujours très scientifiques. Ainsi vont les choses en politique. Il pourrait donc arriver que le gouvernement ne suive pas vos recommandations… Que se passera-t-il alors?
Mme Nemer : Hum… Question embêtante! Supposons que le gouvernement me demande ce qu’il doit faire au sujet du développement du Grand Nord. Je ne pense pas qu’il serait judicieux ou possible de ne lui proposer qu’une option. Mon rôle est de formuler des recommandations, de lui soumettre un éventail d’options.
Pour moi, le plus important est de veiller à ce que mes recommandations reposent sur un processus rigoureux, fondé sur des données probantes. Ma recommandation concernant le Grand Nord, par exemple, devrait prendre en compte l’environnement, les collectivités locales, le développement économique, les pour et les contre, etc. Il incombe au gouvernement de faire des choix pour les Canadiens, à la lumière des recommandations qui lui sont adressées. Si les Canadiens n’apprécient pas ces choix, ils peuvent le faire savoir tous les quatre ans. Comme je l’ai dit au premier ministre et à la ministre des Sciences, je pense que ce qui déçoit les gens, c’est qu’on modifie les données scientifiques pour justifier une décision. En revanche, les gens peuvent comprendre, à défaut d’apprécier, qu’un politicien leur dise : « Écoutez, ce n’est peut-être pas la solution idéale, mais voici les mesures que nous allons prendre pour atténuer les inconvénients… » Je m’engage en tout cas à faire de mon mieux.
AU : Vous avez été vice-rectrice à la recherche à l’Université d’Ottawa. De toute évidence, vous connaissez bien la recherche canadienne. D’après vous, à quels aspects faut-il accorder une attention particulière?
Mme Nemer : La recherche exige des infrastructures, du talent et du financement. Au cours des dernières années, nous avons réussi à rattraper notre retard en matière d’infrastructures grâce à des initiatives comme la création de la Fondation canadienne pour l’innovation. Tout le monde nous envie pour celle-ci. En ce qui a trait au talent, de plus en plus de gens veulent fréquenter l’université pour acquérir les compétences qu’exigeront les emplois de demain, dans 10 ou 20 ans : apprendre à réfléchir, à résoudre des problèmes, pouvoir s’adapter, etc. Mais pour former le talent, il faut du financement. Or, les données montrent que notre position concurrentielle est en recul sur ce plan. Il faut y remédier. Nous devons continuer à disposer d’une fondation solide et concurrentielle au profit de la science et de la recherche fondamentales.
Cela dit, notre rendement en matière d’innovation et notre stratégie de commercialisation des découvertes n’ont rien d’enviable. Il nous faut combler le fossé entre découverte et innovation. Certaines disciplines sont à même de tirer parti d’investissements antérieurs. Je pense entre autres à la physique quantique, à l’intelligence artificielle ou à la génomique. Il faut veiller à ce que le Canada conserve son avance dans ces disciplines. Il y a aussi des domaines où les gens s’attendent à ce que nous fassions preuve de leadership, comme l’étude de l’Arctique. Ces domaines sont intimement liés à l’environnement, une préoccupation chère à tous. Ils exigent une collaboration entre bon nombre de disciplines et de secteurs. J’espère pouvoir favoriser cette collaboration au cours des prochaines années.
AU : On peut affirmer que le milieu scientifique se réjouit du rétablissement du poste de conseiller scientifique en chef, et qu’il attend beaucoup de vous. Je pense, par exemple, au rapport du Comité consultatif sur l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale, rendu public en avril dernier. Je suis convaincu que les chercheurs aimeraient vous voir défendre fermement les recommandations de ce rapport.
Mme Nemer : Comme je l’ai dit, je ne suis pas une lobbyiste. Mon rôle est de donner des conseils fondés sur des données probantes. Le rapport contient des données importantes qui nous indiquent les orientations à adopter. J’exploiterai certainement ces données si on me demande des conseils. En revanche, pas question pour moi de promouvoir le rapport.
Je pense que le milieu scientifique a besoin d’être rassuré, de savoir que la ministre des Sciences comprend les dossiers. Après tout, c’est elle qui a commandé le rapport. Elle a entrepris d’y donner suite, et continue de le faire en commençant, par exemple, à aborder les problèmes de gouvernance. Le milieu scientifique a de grandes attentes en matière de financement, et je pense que c’est bien. Il doit toutefois comprendre que les intervenants gouvernementaux mesurent l’importance de la recherche, ainsi que sa contribution à l’innovation et à l’amélioration de notre pays.
AU : Il existe actuellement une abondante documentation pseudo-scientifique émanant des opposants à la vaccination, des climatosceptiques, etc. Considérez-vous qu’il vous incombe de défendre la science en veillant à la qualité de la documentation scientifique?
Mme Nemer : J’en suis convaincue. Nous devons œuvrer tous ensemble à améliorer la situation. J’appelle les universités à réfléchir à ce qu’elles font à cet égard, à la manière dont leurs programmes contribuent à la documentation scientifique. C’est vraiment très important. Tous les programmes d’études devraient apporter une compréhension de base de la science, des méthodes scientifiques, de la manière d’obtenir des résultats et du contexte dans lequel les travaux de recherche sont effectués.
AU : Avez-vous un dernier message à l’intention du milieu universitaire canadien?
Mme Nemer : Je pense que chacun des professeurs et des administrateurs d’université, qui composent le lectorat d’Affaires universitaires, a un rôle à jouer. Il est vraiment important que tout le milieu universitaire prenne conscience de l’occasion exceptionnelle qu’a le Canada de se hisser parmi les chefs de file mondiaux. Et c’est au sein des universités que le débat sur les moyens d’y parvenir doit être mené. Comment former le talent capable d’allier science et politique? Comment combler le fossé entre recherche et innovation? Je me tourne vers les universités pour obtenir des conseils.
Les intervenants gouvernementaux, le ministère des Sciences ainsi qu’Innovation, Sciences et Développement économique Canada tiennent comme moi à relever ces défis. C’est vraiment réconfortant de voir que le gouvernement et les intervenants externes y tiennent aussi.
Cet entretien a été revu et condensé pour plus de clarté.
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