La Vaccine and Infectious Disease Organization de l’Université de la Saskatchewan vue de l’intérieur
Derrière l’un des premiers laboratoires à avoir isolé le SRAS-CoV-2, l’un des seuls de niveau de biosécurité 3 au Canada, c’est officiellement la VIDO de l’Université de la Saskatchewan qui s’active.
À travers l’épaisse vitre de la fenêtre de son bureau, Alyson Kelvin observe une collègue portant une combinaison blanche, des gants en nitrile et des couvre-chaussures. Attaché à sa taille, un sac alimenté par des piles duquel sort un tube propulse de l’air pur et filtré dans le casque de la femme alors qu’elle pose sa pipette, analyse un plateau, puis lave plusieurs fois la lamelle pour voir combien d’anticorps s’accrochent encore à la protéine de spicule de l’échantillon de virus SRAS-CoV-2 sur lequel elle travaille.
Virologue spécialisée dans l’étude de l’influenza, des virus respiratoires et de la réaction du système immunitaire, Mme Kelvin a passé tellement de temps au laboratoire de biologie de niveau de confinement 3, de l’autre côté de la vitre, qu’elle porte quotidiennement trois couches de vêtements. « Je finis toujours par avoir froid, car il y a beaucoup de courants d’air », dit-elle avec un sourire alors qu’elle s’enveloppe dans un châle en attendant le début d’une réunion sur Zoom.
Au début de 2020, lorsque les médias ont annoncé que des dizaines, puis des centaines de personnes étaient hospitalisées en Chine à cause d’une pneumonie inconnue, Mme Kelvin se trouvait à Halifax, où elle effectuait des travaux de recherche parrainés par le gouvernement américain sur les virus. Elle a été témoin des efforts désespérés de Pékin pour contenir les infections, et c’est à ce moment qu’elle a fait l’appel qui a changé sa vie. « Je savais que quelque chose était sur le point d’arriver, se souvient-elle. Il fallait se mettre au travail immédiatement. »
La personne à l’autre bout du fil était Volker Gerdts, directeur et président-directeur général de la Vaccine Infectious Disease Organization (VIDO) à Saskatoon. Peu de temps après, Mme Kelvin quittait Halifax et sa famille pour se diriger vers Saskatoon pour un séjour de trois semaines. Une fois de retour chez elle, à la mi-mars 2020, elle a assisté, frustrée, à la fermeture de son laboratoire à l’Université Dalhousie en raison de l’interdiction de mener des travaux de recherche en personne imposée au début de la pandémie.
« Depuis le début de la pandémie, nous avons travaillé avec près de 100 entreprises, déclare M. Gerdts. Nous avons vraiment accéléré les choses et leur avons donné accès à nos installations. Nous avons donc fait le travail pour elles. »
À cette période, la VIDO devenait le premier laboratoire au Canada à isoler le virus SRAS-CoV-2. M. Gerdts avait alors réuni les membres du personnel pour leur annoncer qu’ils allaient tous être appelés à participer à ces travaux. Bientôt, ils travailleraient sans relâche à l’étude de ce nouveau virus. Mme Kelvin savait qu’elle devait se joindre à cet effort. Elle a donc organisé le déménagement de sa famille à Saskatoon au cours du printemps afin de pouvoir se joindre à la VIDO, où elle dirige maintenant son propre groupe de recherche.
M. Gerdts était alors submergé d’appels de chercheurs qui voulaient faire tester leurs prototypes de médicaments. Le milieu scientifique mettait à l’essai des traitements et des vaccins contre le coronavirus, certains plus efficaces que d’autres. Il s’est vite rendu compte qu’il avait besoin de 30 nouveaux employés, qui ne seraient autorisés à travailler dans les laboratoires à haute sécurité de la VIDO qu’au terme d’une formation pouvant durer jusqu’à six mois. « Depuis le début de la pandémie, nous avons travaillé avec près de 100 entreprises, déclare M. Gerdts. Nous avons vraiment accéléré les choses et leur avons donné accès à nos installations. Nous avons donc fait le travail pour elles. »
Immunologiste et spécialiste des vaccins, M. Gerdts, d’origine allemande, a intégré en 1997 ce qui s’appelait alors la Veterinary Infectious Disease Organization dans le cadre d’une bourse postdoctorale. Il mettait au point des vaccins néonatals jusqu’à ce qu’il soit embauché, il y a trois ans, pour diriger la VIDO dont l’infrastructure de recherche comprend l’un des seuls laboratoires de biosécurité de niveau 3 au Canada, où le personnel est autorisé à manipuler des agents pathogènes mortels, comme l’anthrax.
Les scientifiques qui y travaillent proviennent de 25 pays. Ils mènent des travaux de recherche indépendants, en plus de tester des vaccins, des composés antiviraux et des produits thérapeutiques pour des entreprises pharmaceutiques du monde entier. Même si de nombreux projets de vaccins et de traitements n’atteignent pas l’étape finale, les données de la VIDO ont conduit à la création d’au moins un vaccin efficace contre la COVID-19, approuvé en dehors de l’Amérique du Nord, ainsi que d’autres antiviraux et agents immunothérapeutiques. La pandémie a également poussé la VIDO à élaborer son propre vaccin contre la COVID-19, malgré des obstacles considérables.
Changer la donne
L’une des clés du succès de la VIDO se trouve à l’est du campus de l’Université de la Saskatchewan, au Collège de médecine vétérinaire de l’Ouest, lequel est situé entre des silos à grains, des antennes paraboliques et les installations de l’Unité d’enseignement sur les bovins. Lors d’une récente visite des lieux, on pouvait voir un groupe de jeunes femmes en salopette se rendant aux étables de vaches laitières voisines. Les quelques fenêtres de l’humble bâtiment gris de quatre étages paraissent minuscules par rapport à la structure du système de ventilation à lattes noires faisant plus de 12 mètres de large et six mètres de haut. À l’intérieur de ce laboratoire de plus de 16 720 mètres carrés, les vétérinaires s’occupent de dizaines d’espèces, dont des chauves-souris, des alpagas et des moutons.
Fondée en 1975, la VIDO est rattachée au Collège de médecine vétérinaire de l’Université de la Saskatchewan. Ses chercheurs travaillaient initialement au traitement de maladies zoonotiques et d’origine animale. Ils ont ainsi créé des vaccins et des traitements efficaces contre les maladies respiratoires, gastro-intestinales et hémorragiques touchant les bovins, la volaille et les porcs. « Ces travaux ont changé la donne pour les éleveurs de bétail au Canada », souligne Paul Hodgson, directeur adjoint du développement commercial de la VIDO. Le premier vaccin pour les bovins qu’ils ont mis au point, le Vicogen, a considérablement réduit le taux de mortalité chez les veaux. Il a été créé en collaboration avec les laboratoires Connaught, un fabricant de vaccins du gouvernement fédéral qui a été privatisé pour devenir le Sanofi Pasteur.
Au fil des privatisations et des fusions dans le secteur pharmaceutique canadien, Biostar, l’entreprise de production de vaccins pour animaux de la VIDO, a été vendue à une entreprise pharmaceutique américaine, et ses vaccins sont passés à Novartis Santé Animale. À travers ses liens avec l’Université de la Saskatchewan, le laboratoire national demeure néanmoins la propriété du gouvernement fédéral et de la province. Après avoir mis tout en œuvre pendant les deux dernières décennies pour assurer sa croissance grâce à des subventions fédérales et provinciales, l’organisation vise maintenant à devenir un centre national de recherche sur les pandémies. « Bien des maladies animales ont servi de modèles fort utiles pour étudier les maladies humaines, explique M. Hodgson. De nombreux pathogènes se propagent en effet d’une espèce à l’autre. »
Alors que la crise sanitaire mondiale s’aggravait au début de 2020, une dizaine de membres du personnel travaillaient jusqu’aux petites heures entre deux contrats. Ils cherchaient à créer leur premier vaccin humain, s’appuyant sur un financement fédéral initial d’un million de dollars. Le vaccin a été mis au point par Darryl Falzarano, virologue qui a travaillé avec les virus Ebola et Zika. M. Falzarano est devenu en février 2020 le premier chercheur au Canada à isoler le SRAS-CoV-2. Pendant des années, il avait travaillé à la vaccination d’animaux porteurs d’un autre coronavirus, celui à l’origine du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (SRMO). Ce virus provoque une infection des voies respiratoires supérieures, qui n’entraîne aucune réaction chez les chameaux qui en sont porteurs, mais qui se transmet aux humains, et provoque chez eux des symptômes tels que la fièvre, la toux et l’essoufflement. La propagation de ce virus est rapide, et le tiers des personnes infectées en meurent.
Comme les chameaux sont rares dans les Prairies, M. Falzarano a plutôt créé deux vaccins prévenant la transmission du coronavirus chez les alpagas, et ce, avant même la pandémie. « Au début, nous travaillions sans relâche », dit-il. Il se souvient avoir travaillé jusqu’à 95 heures par semaine, mais ces efforts en ont valu le coût. Grâce à sa connaissance du coronavirus du SRMO, son équipe a pu trouver un antigène candidat en seulement cinq semaines et produire un vaccin contre le SRAS-CoV-2 efficace chez le furet.
Cependant, adapter celui-ci à l’humain représentait un défi de taille. La VIDO a été la première organisation œuvrant dans une université canadienne à soumettre son vaccin à des essais cliniques, aux côtés de riches entreprises biopharmaceutiques américaines et européennes, qui misaient sur la technologie de l’acide ribonucléique (ARN) messager. « Nous n’avons pas reçu un milliard de dollars dans le cadre de l’opération Warp Speed », déclare Trina Racine, directrice adjointe du développement des vaccins à la VIDO, en faisant référence au programme de 18 milliards de dollars américains mis sur pied aux États-Unis. « Nous n’avons pas des dizaines de milliers d’employés. »
Même si les travaux de la VIDO progressaient et qu’elle embauchait davantage de chercheurs, l’enthousiasme des percées initiales faisait place à la frustration. Le vaccin canadien fonctionnait suffisamment bien chez les hamsters, mais les scientifiques devaient maintenant produire des doses d’essai destinées aux humains. À l’été 2020, le personnel s’est donc mis en quête des composants nécessaires à la création du vaccin et d’un fabricant ayant le temps et les ressources nécessaires pour en produire un petit lot. Selon Mme Racine, cette situation a entraîné un retard de six mois « incroyablement frustrant » dans le développement du vaccin de la VIDO, baptisé COVAC-2. (Les chercheurs travaillaient également au vaccin COVAC-1, une autre composition comprenant un adjuvant différent.)
Le personnel de laboratoire commençait également à montrer des signes d’épuisement. Une membre de l’équipe est rentrée en Chine, n’ayant pas vu sa famille depuis plus de deux ans. Une autre personne est partie pour Toronto après avoir accepté un poste à temps plein mieux rémunéré chez Sanofi Pasteur, où son expérience en laboratoire de niveau 3 était très prisée. « Nous perdions des gens au moment où nous avions le plus besoin d’eux, regrette M. Falzarano. Embaucher et former de nouvelles personnes prend du temps. »
Malgré les nombreux obstacles, la VIDO a annoncé en juin des résultats intérimaires encourageants à la suite de la première phase d’essais cliniques. « Nous avons démontré que le vaccin est sûr, affirme M. Gerdts. La réponse immunitaire chez les volontaires se compare à celle qu’entraînent les vaccins de Moderna et de Pfizer. » Il ajoute que le COVAC-2 n’a pas besoin d’être conservé à une température polaire, ce qui en fait un choix tout indiqué pour les régions éloignées et les collectivités autochtones, ainsi que pour des millions de personnes dans des pays à revenu faible ou intermédiaire.
Il s’avère toutefois difficile d’élargir les essais cliniques chez l’humain. Lors de sa première recherche de volontaires, la VIDO a été inondée d’appels de Canadiens non vaccinés prêts à participer. Mme Racine mentionne que certains volontaires se sentaient plus à l’aise avec le vaccin de la VIDO, car il s’agit d’un vaccin à sous-unités protéiques, comme ceux contre la coqueluche, la poliomyélite, le tétanos et d’autres vaccins traditionnels. Mais pour des raisons éthiques, et en temps de pandémie, Santé Canada n’autorise pas les essais vaccinaux traditionnels avec un groupe placebo. La VIDO devra donc retarder la deuxième phase de ses essais au pays jusqu’en 2022, le temps de trouver suffisamment de volontaires déjà vaccinés qui pourront recevoir le COVAC-2 comme dose de rappel.
C’est pourquoi Mme Racine a fait appel à des collègues au Sénégal et en Ouganda, des pays où seulement 5 % de la population est entièrement vaccinée. Après avoir recruté 300 volontaires, la VIDO souhaite commencer les essais cliniques de phase 2 dans ces pays au printemps. Mme Racine espère pouvoir réduire le coût du vaccin à 3 dollars par dose. Elle estime que le coût des vaccins à ARN messager utilisés au Canada avoisine les 20 dollars par dose.
Goulot d’étranglement dans la production
Les scientifiques de la VIDO se heurtent à un autre problème majeur : le manque de capacité de production. Depuis 10 ans, l’organisation tente de construire ses propres installations de production de vaccins à petite échelle. Avant la pandémie, ses activités de lobbyisme n’avaient rapporté que « quelques millions de dollars » de financement, ce qui était loin d’être suffisant, selon M. Gerdts.
Au milieu de 2020, alors qu’émergeaient des vaccins expérimentaux, le Canada s’est retrouvé complètement démuni, sans aucune entreprise pharmaceutique capable de produire suffisamment de doses pour le pays. C’est alors que les décideurs à Ottawa qui avaient refusé ses demandes un an plus tôt voulaient à présent savoir dans quels délais VIDO pourrait se lancer dans la production. M. Gerdts leur a répondu que cela ne se ferait pas du jour au lendemain. La VIDO a dû s’en remettre à d’autres entreprises et attendre qu’elles daignent s’occuper d’elle, explique le chercheur, qui compare le processus à l’assemblage d’une voiture à partir de pièces provenant de dizaines d’usines différentes.
Ottawa avait promis d’investir 2,2 milliards de dollars dans le renforcement des capacités de production nationale en vue de la prochaine pandémie. Le gouvernement fédéral a ensuite signé d’importants contrats d’approvisionnement à l’étranger, achetant plus de doses par habitant que tout autre pays. Une fois la majorité des Canadiens vaccinée, la colère relative au manque de capacité de production nationale s’est estompée. Au moment des élections, à l’automne 2021, les plateformes de tous les principaux partis appuyaient en théorie la production de vaccins au pays, mais peu de candidats et de chefs en parlaient.
« La VIDO a une occasion en or d’utiliser sa base de vaccinologie animale pour étendre ses activités à la vaccinologie humaine. La marche n’est pas si haute. »
Et ce, même si Ottawa n’a annoncé qu’un investissement de 59 millions de dollars pour la VIDO dans le budget fédéral 2021 pour l’aider à devenir le « centre national de recherche sur les pandémies ». Une partie de ce financement doit servir à la construction de l’usine de production tant attendue.
À cet argent s’ajoutent des dons privés et un peu plus de 15 millions de dollars d’aide municipale et provinciale. Le plan consiste à mettre à niveau les laboratoires de la VIDO pour les faire passer au niveau de confinement 4, et à moderniser ses installations qui abritent les animaux. Ce projet évalué à 66 millions de dollars devrait être complété en trois ans. Ces installations sont appelées à devenir la demeure d’une grande diversité d’animaux, dont des chauves-souris, des insectes et des espèces exotiques.
De plus, l’usine de production fabriquera de petits lots de vaccins et de produits biologiques pour les tester. « Ce sera l’une des seules installations au monde à pouvoir fabriquer des vaccins pour les humains et les animaux dans la même enceinte », souligne M. Hodgson.
Alan Bernstein, vaccinologue, président et chef de la direction du CIFAR – un organisme de recherche international établi à Toronto – et membre du Groupe de travail sur les vaccins contre la COVID-19 du Canada, estime que toute installation de production de vaccins doit être « intimement liée » au milieu universitaire, au sein duquel se fait la majeure partie de la recherche fondamentale. Dans cette optique, il estime que la VIDO et l’Université de la Saskatchewan peuvent jouer ensemble un rôle « absolument crucial » dans le renforcement de la capacité du Canada à mettre au point ses propres vaccins. « La VIDO a une occasion en or d’utiliser sa base de vaccinologie animale pour étendre ses activités à la vaccinologie humaine, croit-il. La marche n’est pas si haute. »
Virologue et professeur émérite à l’Université d’Ottawa, Earl Brown abonde dans le même sens. Il estime qu’en matière de maladies infectieuses d’origine animale, la VIDO est « sans doute mieux positionnée que d’autres [entités] au Canada, à moins de compter les grandes multinationales, comme GlaxoSmithKline et Sanofi Pasteur ».
M. Brown et Bernstein s’entendent pour dire que le Canada va dans la bonne direction pour se préparer aux futures pandémies, mais qu’il reste beaucoup à faire avant que la prochaine ne sévisse – ce qui à leur avis pourrait être d’ici 10 ans.
La VIDO tient à ce que ses scientifiques jouent un rôle de premier plan dans ce processus. Toutefois, M. Gerdts s’inquiète de ne pas pouvoir préserver l’expertise acquise par la VIDO et la capacité de son équipe à réagir rapidement en cas de menace virale. Il en coûte 10 millions de dollars chaque année pour nourrir et loger les animaux et payer les scientifiques, dont il compare le travail à celui des services d’urgence. « En cas d’incendie, vous ne pouvez pas commencer à chercher des camions ou des pompiers, illustre M. Gerdts. Vous devez être en mesure de réagir rapidement. »
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