Le rapport entre science et société scruté à la loupe
Le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, parle de l’incidence du savoir dans la société et de son rôle de « cheerleader » pour la recherche.
Le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, a donné à Montréal une conférence intitulée Pour une économie du savoir basée sur la science et la recherche. Jusqu’à sa nomination, M. Quirion était, entre autres, vice‐doyen aux sciences de la vie et aux initiatives stratégiques de la Faculté de médecine de l’Université McGill, directeur scientifique du Centre de recherche de l’Institut Douglas et directeur exécutif de la Stratégie internationale de recherche concertée sur la maladie d’Alzheimer des Instituts de recherche en santé du Canada. Affaires universitaires en a profité pour recueillir ses observations sur le milieu de la recherche universitaire.
Affaires universitaires : Comment définissez-vous l’économie du savoir?
Rémi Quirion: Pour moi, l’économie du savoir c’est l’économie basée sur des secteurs très innovants et en développement. Par exemple, l’intelligence artificielle fait partie de l’économie du savoir et la société s’initie à ce qu’est l’intelligence artificielle en étant partie d’une société du savoir. En contraste, si on fait l’exploitation du fer dans le nord du Québec comme on l’a fait depuis 50 ans, il n’y a pas beaucoup de valeur ajoutée. À l’autre bout du spectre, on trouve tous les phénomènes de radicalisation et de faits alternatifs. Dans une économie du savoir, on devrait être en mesure de mieux se questionner sur ce genre d’approches et être beaucoup mieux équipé pour y faire face qu’une société qui n’est pas informée.
AU : Sommes-nous sur la bonne voie pour devenir une société du savoir?
RQ: On n’est pas dans les leaders à travers le monde, on est probablement dans la moyenne. Comme société au Québec et au Canada, on valorise de façon positive la science, les chercheurs et la recherche. L’appréciation de la science, c’est une bonne base pour aller plus loin et pour créer une vraie société du savoir qui repose sur l’expertise dans des domaines de pointe. Y a-t-il une relation directe entre les investissements en recherche et innovation et la société du savoir? Probablement. Souvent les pays qui investissent le plus grand pourcentage de leur PIB en recherche et innovation sont aussi ceux les plus près d’être une société du savoir.
AU : Vous jugez que la recherche financée par des fonds publics est méconnue, à quoi attribuez-vous cette situation?
RQ: On se vend mal. Globalement, le secteur des universités, surtout au Québec, depuis quelques années a eu mauvaise presse. Plutôt que de réagir, les universités se sont un peu isolées en se retirant de la scène publique. On a commencé à discuter au niveau des trois fonds (les fonds Nature et technologies, Santé, et Société et culture, les trois composantes des Fonds de recherches du Québec) pour trouver des façons de mieux faire connaître notre impact économique, en plus de celui mieux connu des découvertes.
AU : Vous estimez que les universités sont appelées à évoluer, qu’est-ce qui vous a mené à cette conclusion?
RQ: Ce qui est tout à fait essentiel pour les universités, c’est d’être à l’avant-garde, de former des jeunes et d’avoir accès à des formations de qualité. Les universités sont beaucoup jugées par rapport à la qualité de leur enseignement et de leur recherche et il faut que ça reste. Toutefois, pour faire face aux questions de recherche importante d’aujourd’hui, tels que les changements climatiques ou le développement durable, il faut avoir le moins de silo possible. La bonne nouvelle, c’est qu’en majorité, les hauts dirigeants d’université sont assez prêts à aller dans cette direction. Les systèmes de récompenses et de promotion ne sont pas encore alignés avec la transversalité. Le défi est d’amener les collègues dans les universités à penser qu’il y a une valeur ajoutée à la transversalité. À l’autre bout, il faut peut-être changer la façon dont on finance nos institutions universitaires au Québec ou au Canada parce que ça reste par discipline.
AU : Dans combien de temps peut-on espérer voir ce changement prendre forme?
RQ: Je pense que la transformation va s’opérer dans les quelques prochaines années. Et ça va s’opérer presque à côté de nous si on ne le fait pas. De plus en plus, les jeunes créent leur cursus. Il y a de plus en plus de programmes où c’est possible d’aller chercher des cours à gauche et à droite. Donc, si on ne le fait pas, la raison d’être d’un département va peut-être diminuer parce qu’ils vont aller chercher les cours qu’ils veulent avoir ailleurs. Je suis assez optimiste que d’ici une dizaine d’années ça va arriver.
AU : Vous êtes le scientifique en chef du Québec depuis 2011. En 2016, le gouvernement du Québec vous a confié un second mandat de cinq ans. Comment avez-vous vécu ce passage du milieu de la recherche au monde politique?
J’ai eu une belle carrière, j’ai été très chanceux en recherche avec mes étudiants. Ma famille scientifique compte 75 étudiants au postdoctorat qui sont maintenant un peu partout dans le monde, c’est ce dont je suis le plus fier. En tant que scientifique en chef, je ne fais pas de recherche active, c’est ce qui est le plus difficile parce que c’est pour ça que j’ai été formé. En même temps, je fais une expérience sur le Québec. La difficulté, c’est de me dire que je donne des avis à des ministres et au gouvernement du Québec, et c’est seulement ça. S’ils ne suivent pas l’avis je n’ai pas nécessairement mal fait mon travail.
AU : Comment concevez-vous votre rôle de scientifique en chef?
RQ: Mon rôle principal est de conseiller le gouvernement en termes de recherche innovation dans tous les secteurs. Globalement, je vois ça un peu comme un rôle de « cheerleader » pour la science et la recherche au Québec par rapport aux élus, aux chercheurs et aux membres du public. Je ne suis pas là pour demander continuellement de l’argent, mais pour essayer d’expliquer ce qu’on fait [en tant que chercheur] pour qu’ils puissent voir la valeur ajoutée et ce qui peut les aider dans leur travail. Un autre de mes mandats est d’amener les gens qui viennent de différents secteurs à travailler un peu plus ensemble, il y a des cultures à changer, mais je pense qu’on y arrive progressivement, c’est un aspect très stimulant.
AU : Le gouvernement du Canada a lancé en 2016 un processus visant à nommer un conseiller scientifique en chef. Auriez-vous quelques conseils à donner au futur conseiller scientifique en chef du Canada?
RQ: C’est tout à fait essentiel de créer des liens de confiance le plus rapidement possible avec le gouvernement, les élus et les hauts fonctionnaires. Il faut bâtir ces liens très rapidement. Il y a déjà eu des scientifiques en chef avant qui avaient une belle carte d’affaires, ça prend beaucoup plus que ça. Il est critique que le premier ministre rencontre cette personne de temps à autre, ce qui n’est pas arrivé avant. John Holdren, le conseiller scientifique de Barack Obama, le voyait presque à toutes les semaines. Cette personne devra avoir de la résilience, ne pas se décourager. Elle doit aussi avoir l’appui et rester très près de la communauté des chercheurs. Si elle perd la crédibilité de la communauté scientifique, c’est inutile. C’est pour ça que le gouvernement doit nommer un chercheur de haut niveau qui est reconnu par la communauté des chercheurs.
AU : Est-ce qu’il existe un groupe de scientifique en chef?
RQ: Il y a un scientifique en chef en Angleterre depuis 50 ans. Le modèle d’origine est britannique. C’est un petit groupe. J’avais proposé d’organiser une première rencontre des scientifiques en chef du monde. On a fait quelque chose à Montréal dans le cadre du Forum des Amériques pour avoir une première réunion. Par la suite, ça s’est formalisé par une rencontre des scientifiques en chef et l’équivalent. C’est en Nouvelle-Zélande qu’on a créé l’International Network for Government Science Advice (INGSA). Ce groupe se rencontre pour partager les meilleures pratiques pour donner des avis aux élus. Le fait d’avoir le réseau, c’est intéressant parce que ça permet d’appeler quelqu’un quand on a besoin d’aide. On a commencé à avoir des mini-écoles pour former des jeunes qui seraient intéressés au travail de scientifique en chef. Il y a environ un mois, on en a organisé une à Dakar, il y avait une quarantaine de participants.
AU : Quelle est l’importance d’intégrer les étudiants dans les prises de décisions du milieu de la recherche?
RQ: Pour moi, l’aspect de relève est toujours très important. Dès le départ, il faut leur donner un rôle important au niveau des conseils d’administration des fonds de recherche, par exemple nommer un membre étudiant pour y siéger. Les trois étudiants nommés aux fonds de recherche du Québec ont ensuite recruté quelques autres étudiants pour former un comité intersectoriel pour travailler sur certaines questions telles que le niveau de financement des bourses à la maîtrise. Cette année, ils se penchent sur la réalité des étudiants postdoctorants. À chaque rencontre du conseil d’administration, on réserve du temps pour un rapport du comité étudiant et c’est devenu très populaire. Ils ont écrit une lettre d’opinion pour proposer que des étudiants soient également nommés aux conseils d’administration au niveau du fédéral, il y a un peu de réticence et je ne comprends pas trop pourquoi.
AU : Vous êtes l’un des neuf membres du comité qui a participé au rapport sur l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale (PDF) qui a été rendu public le 10 avril dernier. Que pouvez-vous nous dire sur le contenu de ce rapport?
RQ: Je suis assez optimiste que le gouvernement du Canada va être d’avis que certaines des recommandations doivent être suivies et qu’il faut réinvestir ici et là. Des réinvestissements significatifs dans certains secteurs devraient aider à assurer que le Canada soit le plus compétitif possible. Je pense que plusieurs personnes vont être un peu déçues. Les personnes qui vont le lire dans leur bureau ou dans leur laboratoire vont se dire « juste ça ». Il ne faut pas tout mettre à plat, il y a des choses qui fonctionnent très bien. C’était important qu’il sorte peu de temps après le budget pour la crédibilité du rapport.
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