Les archives à l’ère de la numérisation et de la décolonisation
Il ne suffit toutefois pas de numériser ces archives et de les verser dans un système pour les faire passer au domaine public.
Cet article est un sommaire de l’article « Archives are adapting to an era of digitization and decolonization ».
En 1971, lors du déménagement de l’Université Algoma au pavillon Shingwauk, à Sault Ste. Marie, dans le Nord de l’Ontario, peu d’étudiants et de membres du personnel savaient que l’immeuble avait abrité un pensionnat autochtone jusqu’à tout juste six mois auparavant. L’ancienne vocation des lieux n’allait être connue de tous qu’en 1981, lors de la première réunion de quelque 400 étudiants, membres du personnel et du clergé et survivants de l’ancien pensionnat Shingwauk. Aujourd’hui, un grand nombre de documents comportant leurs témoignages et de registres du pensionnat sont conservés à la bibliothèque Arthur A. Wishart de l’Université Algoma et au Shingwauk Residential Schools Centre (SRSC), où ils sont peu à peu numérisés. Cette démarche vise à empêcher ce que Krista McCracken, archiviste de la bibliothèque, appelle l’« oubli institutionnel ».
Les archives comme celles du SRSC n’ont jamais été aussi accessibles qu’aujourd’hui. Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a grandement facilité la collecte, la numérisation et la mise en commun des documents relatant l’histoire du pays. Lancée en 2015 par BAC, la Stratégie de numérisation du patrimoine documentaire (SNPD) réunit les pratiques exemplaires de numérisation et offre des fonds pour numériser les petites collections. Grâce au financement de la SNPD, le SRSC a pu mettre en place le projet Healing and Education through Digital Access, pour numériser les lettres de deux anciens directeurs du pensionnat Shingwauk. Mme McCracken estime que ces documents jettent un éclairage précieux sur le quotidien du pensionnat et sur les activités du personnel, la vie étudiante et les relations avec le ministère des Affaires indiennes et l’Église anglicane. Il ne suffit toutefois pas de numériser ces archives et de les verser dans un système pour les faire passer au domaine public. « Il faut suivre des principes éthiques et collaborer avec les survivants pour que le contenu présenté respecte leur volonté », indique Mme McCracken. L’an prochain, les membres de la Children of Shingwauk Alumni Association se réuniront pour examiner les résultats du projet – ce volet de responsabilisation communautaire était prévu initialement.
Certains archivistes estiment que le libre accès aux archives (une exigence fréquente des projets de numérisation de BAC) restreint la participation de certaines collectivités autochtones, où la propriété et la présentation des biens ne dépendent pas des priorités fédérales, mais du protocole local. Ils croient qu’il faut plutôt aider les collectivités à créer et à gérer leurs propres archives numériques.
De l’avis de nombreux archivistes, l’Université du Nord de la Colombie-Britannique y arrive très bien. Lors des incendies qui ont ravagé l’intérieur de la province l’an dernier, des membres de la bande des Nak’azdli Whut’en, à Fort St. James, ont appelé l’équipe des archives et des collections spéciales de l’Université en poste dans le Nord de la Colombie-Britannique. Les habitants de leur collectivité éloignée étaient évacués, et les bureaux de la bande étaient menacés par les flammes. Il fallait donc trouver un endroit où conserver les archives. L’Université a immédiatement accepté.
Cette histoire peut sembler banale, à moins de se remémorer la façon discutable dont les institutions de préservation du patrimoine ont longtemps traité les biens autochtones. De nombreux musées ont eu en leur possession des articles confisqués conformément à la Loi sur les Indiens aux XIXe et XXe siècles, lorsque le gouvernement fédéral a interdit les pratiques culturelles autochtones. À une certaine époque, les institutions de préservation du patrimoine contrôlaient aussi l’accès aux documents qui touchaient la vie des Autochtones, par exemple les données des recensements et les relevés des terres. Les collectivités auraient été justifiées de ne pas faire confiance à l’Université du Nord de la Colombie-Britannique, si celle-ci ne s’était pas employée pendant des années à resserrer les liens dans la région. Les archivistes Ramona Rose et Erica Hernández-Read ont travaillé de concert avec les collectivités à proximité pour comprendre leurs besoins et élaborer les protocoles d’entente qui allaient encadrer ces liens. Comme le précisent ces protocoles d’entente, la bibliothèque offre de la formation aux membres des collectivités et les aide à constituer et à gérer leurs propres archives. L’Université n’est pas le propriétaire officiel des ouvrages et ne s’occupe pas de fournir aux chercheurs externes l’accès à ces collections. Les collectivités conservent pleinement les droits liés à leurs collections. Mme Hernández-Read aimerait qu’un grand nombre d’institutions de préservation du patrimoine adoptent une telle politique.
Elle travaille en ce sens comme membre du Comité directeur sur les archives canadiennes, qui regroupe entre autres organisations professionnelles l’Association des archivistes du Québec et BAC. À la tête du Groupe de travail sur la réponse au rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Comité directeur, Mme Hernández-Read travaille avec des archivistes et des spécialistes du patrimoine autochtone de tout le pays afin d’élaborer des pratiques exemplaires de collaboration avec les collectivités autochtones. La Commission a précisément demandé aux musées et aux institutions d’archives de collaborer avec les Autochtones pour préserver et présenter efficacement leurs cultures et leur histoire. Le Groupe de travail prévoit diffuser un cadre favorisant la réconciliation plus tard cette année.
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