Penser l’avenir de l’éducation internationale au Canada
Les tensions au sujet du nombre de personnes étudiantes internationales au Canada révèlent l’absence d’une stratégie concertée entre les gouvernements et les établissements universitaires. Un manque qu’il devient urgent de combler.

Entre 2018 et 2023, le nombre des personnes étudiantes internationales au Canada a augmenté de 63 %, et de plus de 200 % entre 2013 et 2023, selon le Bureau canadien de l’éducation internationale (BCEI). On en comptait plus d’un million à la fin de 2023. La forte augmentation, cependant, n’a pas été accompagnée d’une stratégie de croissance à long terme, selon de nombreux acteurs et actrices du secteur de l’enseignement supérieur.
« Il n’y a pas vraiment eu de coordination avec les gouvernements ni avec les municipalités, pour répondre à la pression que cela faisait peser sur le logement et certains services publics », estime Alex Usher, président du Higher Education Strategy Associates. « Devant ces problèmes, le gouvernement réagit en limitant le nombre d’étudiants. »
Ce n’est pas propre au Canada. L’Australie a adopté un plafond en 2024 et a doublé les frais des visas d’études pour contenir l’impact de l’immigration sur le coût des logements. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas, entre autres, ont resserré certaines règles.
Les tensions autour de la crise du logement et, dans le cas du Québec, de l’anglicisation de Montréal ont changé la vision que la population a de l’immigration temporaire. Or, ce revirement d’opinion coïncide avec un contexte politique compliqué.
« Nous avons oublié la valeur sociale et économique que les étudiants internationaux génèrent dans nos communautés, déplore Larissa Bezo, présidente-directrice générale du BCEI. Le sujet de l’éducation internationale est devenu extrêmement politisé au cours de la dernière année et demie. Nous risquons de sacrifier la réputation du Canada à long terme pour des gains politiques à court terme. »
La montée de l’édugration
La situation actuelle témoigne toutefois d’un malaise plus profond, qui tient à un glissement du rôle des personnes étudiantes internationales et des universités dans les politiques d’immigration canadiennes. « Le Canada recrutait traditionnellement ses immigrants à l’étranger, mais depuis vingt ans il les choisit de plus en plus parmi des gens déjà au pays, comme les travailleurs temporaires et les étudiants internationaux », rappelle Lisa Brunner, chercheuse postdoctorale au Centre for Migration Studies de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC).
Cette approche a généré l’édugration, un processus dans lequel l’éducation internationale devient une voie privilégiée de recrutement d’une immigration qui détient un diplôme, parle au moins une des deux langues officielles et est bien intégrée. En 2023, 70 % des personnes étudiantes internationales souhaitaient obtenir un permis de travail à la fin de leurs études et 57 % voulaient décrocher une résidence permanente, selon des sondages du BCEI.
Le gouvernement de Justin Trudeau voyait d’un bon œil l’augmentation du nombre d’inscriptions internationales dans les universités. Ces dernières y ont saisi une occasion de résoudre en partie leur sous-financement public, puisque les personnes étudiantes internationales paient généralement beaucoup plus cher que celles du Canada. « Leur présence aide notre université à soutenir plus d’étudiants canadiens que ce que le financement public seul permettrait de faire », confirme Thandi Fletcher, une porte-parole de UBC. En 2022, selon Statistique Canada, une personne étudiante internationale au premier cycle universitaire déboursait 36 100 dollars par année.
« Nous avons créé une source de revenu privé au sein d’établissements d’enseignement publics qui en sont devenus dépendants, estime Lisa Brunner. En même temps, les universités se sont retrouvées à accomplir un travail de recrutement d’immigrants pour lequel elles ne sont ni formées ni financées. »
Recruter différemment
Dans un tel contexte, on comprend que le revirement soudain de l’ancien gouvernement fédéral et de certains gouvernements provinciaux désarçonne les universités, qui doivent désormais imaginer une approche différente de l’éducation internationale.
« Les plafonds nous forcent à revoir nos manières de recruter en privilégiant la qualité plutôt que la quantité », reconnaît François Gélineau, vice-recteur aux affaires internationales et au développement durable de l’Université Laval. Pendant longtemps, les stratégies visaient à mousser la réputation de l’établissement pour attirer le plus grand nombre d’inscriptions internationales possible, ce qui a bien fonctionné. En 2023, l’Université Laval a traité plus de 60 000 demandes d’admission internationale.
Mais en misant sur le volume, l’université se retrouve avec beaucoup de candidatures qui n’ont pas le niveau suffisant de préparation pour compléter un diplôme universitaire. « Nous ne rendons service à personne lorsque nous recrutons un tel étudiant, car cela le place en situation d’échec en plus d’imposer de la pression sur nos ressources », précise le vice-recteur.
La nouvelle approche de recrutement devra être plus raffinée. Il ne s’agit plus seulement de faire de la publicité, mais de nouer des partenariats plus étroits avec des établissements à l’étranger, d’ajouter des services de préparation pour les étudiantes et étudiants dans leur pays d’origine et de cibler les profils qui répondent aux besoins des programmes universitaires. « Ce sont des tactiques que nous avons testées, mais que nous n’avions pas déployées, car nous étions dans une stratégie de volume », précise M. Gélineau.
Des modifications dans l’approche de chaque université ne suffiront toutefois pas à créer une stratégie nationale cohérente qui permette de profiter des bénéfices de l’éducation internationale tout en gérant mieux certains défis. « Nous avons besoin d’une structure permanente qui assure une coordination et un meilleur dialogue entre les universités et les gouvernements provinciaux et fédéral », soutient Christopher Busch, vice-président associé à la gestion des inscriptions de l’Université de Windsor.
Selon lui, les récentes décisions des gouvernements ont été prises sans consulter les établissements universitaires. Il déplore aussi la rapidité des changements successifs comme la hausse des exigences financières pour les visas d’études ou les plafonds d’admission, qui complique l’évaluation de leurs impacts isolés sur le nombre d’inscriptions de l’étranger.
« Les effets cumulés pourraient provoquer une baisse du nombre de demandes d’étudiants internationaux bien plus forte qu’anticipée », craint-il. En janvier dernier, une étude d’ApplyBoard indiquait une diminution de 41 % des permis d’études au 1er cycle et de 38 % aux 2e et 3e cycles en 2024. Dans les deux cas, c’est supérieur à la cible de 35 % évoquée par Marc Miller, l’ancien ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada.
L’absence de concertation expliquerait aussi la mauvaise planification des impacts de la hausse du nombre de personnes étudiantes internationales ces dernières années. « Nous avons une bonne compréhension des effets des étudiants internationaux sur nos campus, mais le logement, le marché du travail, l’économie locale ou encore l’immigration relèvent d’autres acteurs, souligne-t-il. Nous devons échanger de l’information et nous coordonner. »
L’expérience étudiante
Le climat actuel, marqué par une succession de décisions politiques et de revirements, crée énormément d’incertitude pour la direction des établissements universitaires, mais également pour les étudiantes et étudiants inscrits au Canada ou qui réfléchissent à y venir. « L’impression générale est que le Canada ne veut plus vraiment de nous », reconnaît Jovial Orlachi Osundu, présidente de l’Association des étudiantes et étudiants internationaux du campus de l’Université de Moncton (AEEICUM).
Ce sentiment serait plus fort chez les personnes étudiantes racisées, qui sentent une attitude plus négative dans la population envers l’immigration. Jovial Orlachi Osundu est venue du Nigéria en 2020 et étudie actuellement en travail social. Elle a un temps envisagé la Corée du Sud et les États-Unis, avant de choisir le Canada dont la réputation enviable rassurait ses parents.
Elle souligne qu’une stratégie nationale concertée devrait prendre en compte l’expérience d’études au Canada. « Cette expérience peut varier grandement entre les étudiants, en particulier en fonction de leur pays d’origine, de leurs moyens financiers et de l’accès, plus ou moins facile, aux services dont ils ont besoin, que ce soit à l’université ou dans la communauté où ils résident. »
Respecter nos engagements
Larissa Bezo croit que nous devons remplir les promesses que nous faisons à l’international en améliorant le soutien que nous offrons à ces étudiantes et étudiants, à partir de leur choix d’un établissement canadien jusqu’à, et incluant, leur transition vers le monde du travail.
Elle estime en outre que le Canada devra diversifier les pays où il recrute. Actuellement, dans les universités, environ la moitié des personnes étudiantes internationales viennent de la Chine ou de l’Inde. « C’est important pour être vu comme une destination inclusive et pour réduire les risques associés à certains pays », avance-t-elle.
En mai 2024, le BCEI a organisé un dialogue sur l’éducation internationale entre plus de 225 parties prenantes. Le groupe a notamment proposé la création d’un Comité pancanadien de l’éducation internationale, d’un Comité-conseil étudiant, d’un Centre d’excellence de l’éducation internationale et d’une campagne nationale pour redorer le blason des personnes étudiantes internationales.
Les personnes présentes ont aussi souligné le besoin de rehausser le financement public des établissements postsecondaires. Un sujet fondamental, selon Lisa Brunner. « La réflexion sur les étudiants internationaux doit mener à une autre, plus profonde, sur la manière dont nous soutenons notre système d’éducation public et les vraies raisons pour lesquelles l’accueil des étudiants internationaux a connu une si forte augmentation », croit-elle.
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