Robert Vallerand, la passion comme moteur de recherche

Premier universitaire canadien à recevoir le prix Tang, le professeur de psychologie entend continuer à déchiffrer les secrets de la motivation.

23 mai 2023
Robert Vallerand.

À quoi tient le bonheur? Voilà, en somme, la question fondamentale qui sous-tend les recherches de Robert Vallerand, professeur du Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Son travail sur la passion et la psychologie des processus motivationnels lui ont valu plusieurs reconnaissances. Celles, officielles, de prestigieux prix internationaux soulignant sa contribution à la connaissance scientifique, dont le récent prix Tang 2022. Puis il y a les autres marques de reconnaissance confirmant son legs universitaire : M. Vallerand peut se targuer d’avoir formé des dizaines de chercheurs, de chercheuses et de professeur.e.s, devenu.e.s pour certain.e.s, des partenaires privilégié.e.s. Toute une communauté d’esprits scientifiques qui le surnomment « Bob » admirent sa « générosité », son dévouement et son « incroyable énergie ». Celui qui recevra en juin le Prix de la médaille d’or de la Société canadienne de psychologie pour contributions remarquables à la psychologie canadienne au cours de l’ensemble de la carrière soulignera ce même mois ses 42 ans comme professeur d’université et n’envisage pas pour autant de prendre sa retraite…motivé par l’adage, « quand on aime, on ne compte pas ».

Il faut remonter le fil de ses souvenirs sportifs pour comprendre le choix d’étudier les processus motivationnels. Comme bon nombre de Québécois.es, M. Vallerand goûte aux plaisirs du hockey dès son plus jeune âge sur la patinoire de fortune aménagée dans son quartier, mais c’est grâce au basketball, pratiqué au niveau provincial, qu’il se rapproche du champ de la psychologie. En compétition, le sport exacerbe les passions et les athlètes sont souvent prêt.e.s à toutes les aventures pour atteindre leurs objectifs, résume-t-il. « Je suis tombé en amour avec la psychologie du sport, la compréhension théorique des processus motivationnels, ce qui peut expliquer la performance d’un athlète, bonne ou mauvaise », se souvient le professeur.

Déterminante aussi, la lecture d’un essai du chercheur américain Edward L. Deci lui ouvre de nouveaux horizons dans le vaste champ de la recherche scientifique en psychologie moderne. « On parlait alors beaucoup de béhaviorisme [science de l’observation et du contrôle du comportement], très peu des processus internes », explique M. Vallerand, dont la propre expérience sportive trouve soudainement un écho dans les écrits du professeur américain. Selon ce dernier, « la force la plus importante est celle qui vient de l’intérieur, la motivation intrinsèque, partage M. Vallerand. Ça correspondait à ce que j’avais vécu comme joueur de basket ». C’est par le biais des processus motivationnels qu’il décide, dès lors, d’aborder la psychologie. Après une maîtrise à l’Université McGill, un doctorat à l’Université de Montréal et un postdoctorat à l’Université de Waterloo, il commence à enseigner à l’Université de Guelph avant de s’établir à l’UQAM où il se sent « encouragé » et « libre d’agir ».

« On a ouvert tout un nouveau champ de connaissance, des milliers d’études utilisent désormais notre modèle théorique sur le concept de passion. »

Pour preuve : au fil de sa carrière, il a signé 12 livres et monographies, plus de 400 articles et chapitres de livres scientifiques. Universitaire passionné, il dirige le Laboratoire de recherche sur le comportement social de l’UQAM qu’il a fondé. M. Vallerand a aussi été président de la Société québécoise pour la recherche en psychologie, de la Société canadienne de psychologie et de l’International Positive Psychology Association. Encore faut-il mentionner qu’il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les processus motivationnels et le fonctionnement optimal, laquelle a été renouvelée en décembre dernier.

Entre harmonie et obsession

Grâce à ses travaux, ce qui n’était qu’un domaine de recherche encore balbutiant a pris un essor considérable. « On a ouvert tout un nouveau champ de connaissance, des milliers d’études utilisent désormais notre modèle théorique sur le concept de passion. »

Celui-ci repose sur deux catégories : la passion harmonieuse, « positive et adaptative », et l’obsessionnelle, qui contrôle le sujet et peut s’avérer malsaine, explique le chercheur. Dans le premier cas, l’objet de la passion prend une place importante dans l’identité d’un individu tout en s’harmonisant avec ses autres centres d’intérêts. Dans le second cas, la passion occupe tout l’espace identitaire, il s’agit « d’une passion jalouse, qui ne permet pas de s’investir ailleurs », précise M. Vallerand.

Ses recherches ont révélé que la personnalité peut influencer le sujet à se retrouver dans l’une ou l’autre des catégories. Par exemple, les gens extravertis, selon la théorie du « big five » – un modèle descriptif de la personnalité en cinq traits –, vont développer des passions beaucoup plus harmonieuses que les personnalités associées au « névrosisme », plus enclines à l’obsession.

« Les gens les plus heureux sont dotés d’une passion harmonieuse pour plein d’activités dans leur vie. »

La pandémie a offert un terrain de recherche inédit pour étudier la résilience des individus, renchérit M. Vallerand. Ses observations? Les personnes ayant pratiqué leur passion ont réussi à vivre des émotions positives qui ont contrecarré les effets négatifs de la pandémie; « Elles ont maintenu, voire augmenté leur bien-être psychologique ». Quid des adeptes de voyages, assigné.e.s à domicile, ou des artistes, bien souvent privé.e.s de leur métier? Le chercheur explique que les individus aptes à développer une passion harmonieuse pour une activité affichent bien souvent une passion pour une deuxième, voire même une troisième activité. Lorsque l’une d’elle devient impossible à réaliser, leur attention se tourne vers la suivante. « Ce qu’on est en train de trouver, dans nos travaux les plus récents, mais qui ne sont pas encore publiés, c’est que les gens les plus heureux sont dotés d’une passion harmonieuse pour plein d’activités dans leur vie. »

Une théorie que le chercheur semble lui-même appliquer. L’ancien basketteur devenu une sommité internationale en matière de psychologie sociale, est aussi…musicien. L’une de ses anciennes étudiantes, Nathalie Houlfort, désormais professeure au Département de psychologie de l’UQAM, se souviendra toujours du premier congrès auquel elle a participé à ses côtés. Après le volet « sérieux » du programme en journée, « Bob a sorti sa guitare en soirée, tout le monde s’est mis à chanter, avec lui il n’y avait plus de ségrégation professeur/étudiant.e.s ». Un autre confrère, le professeur Richard Koestner de l’Université McGill, avec qui il a rédigé plusieurs articles scientifiques et « coenseigne » à une vingtaine d’étudiant.e.s, témoigne à son tour d’un mémorable voyage en Bulgarie, dans les années 1990. « Dix heures de vol en première classe, il ne s’est pas laissé distraire par ce qui était offert, il restait incroyablement concentré sur ses articles à réviser. » Ou tout l’art de savoir garder un bon équilibre en toutes circonstances, comme au basket.

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