Vera Heller et les perspectives florissantes de l’art-thérapie
La pratique, qui joint l’art et la psychologie, est en plein essor, mais peine quand même à être reconnue.
Depuis une vingtaine d’années, Vera Heller redessine inlassablement les frontières entre l’art et la thérapie, préférant les pointillés aux lignes continues. Psychothérapeute, peintre, professeure, elle rassemble toutes ces fonctions sous celle d’art-thérapeute et peut se targuer de diriger les seuls programmes francophones en art thérapie d’Amérique du Nord, délivrés par l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Le Musée des beaux-arts de Montréal lui a ouvert ses portes pour une exposition en 2017; son enseignement est sollicité jusqu’en Thaïlande et au Japon où elle anime des ateliers d’art-thérapie depuis trois ans. Une discipline en plein essor qui peine pourtant à être reconnue.
De sa jeunesse passée en Roumanie sous Ceauşescu, Mme Heller a gardé le goût alors réprimé de la liberté d’expression, de l’exploration et le désir d’évasion. Sa pratique s’est nourrie d’expériences cliniques en santé mentale et en intervention interculturelle, partagée entre l’exercice privé et l’enseignement universitaire.
« Je m’intéresse à la psychologie et à l’art depuis que je suis enfant. J’ai trouvé une profession qui combinait mes deux passions », résume simplement la professeure praticienne. Dans ce domaine encore méconnu, la désignation varie d’un continent à l’autre. En Europe, l’art-thérapie inclut la musicothérapie, la thérapie par la danse, le théâtre ou les arts visuels tandis qu’en Amérique du Nord, l’art-thérapie s’appuie uniquement sur les arts plastiques, mais sous toutes leurs acceptions – peinture, modelage, dessin, collage…
Dans l’histoire de l’art, « beaucoup d’artistes ont essayé de donner un cadre thérapeutique à la création, explique Mme Heller. Plusieurs ont même réussi à guérir grâce au processus artistique. » Elle cite le cas de Frida Kahlo, qui avait commencé à peindre clouée au lit après un accident d’autobus lui ayant brisé le corps. « Plusieurs artistes, immobilisés dans leur lit, ont eu recours à l’art parce qu’ils s’ennuyaient. »
Mais le regard que Mme Heller pose sur cette discipline dépasse le simple passe-temps : « à travers l’art, la création, on peut toucher des parties profondes de la psyché humaine », défend-elle, des parties qui échapperaient au langage, à la mise en mots, directement accessibles par la couleur et les formes exprimées. « L’art est un moyen d’expression plus facile et plus direct que la parole, on plonge d’emblée dans l’émotion. On peut l’utiliser aussi bien en thérapie familiale avec des enfants qu’avec des patients atteints d’Alzheimer. » La fonction de l’art-thérapie consiste alors à « articuler sur le plan de conscience ce sur quoi porte la création ». Sans oublier l’aspect de plaisir, « non négligeable », nonobstant le résultat.
Le patient n’a pas besoin d’habiletés artistiques pour bénéficier des retombées thérapeutiques de son expression plastique, assure Mme Heller. En fait, l’art est utilisé comme lieu de rencontre entre les mondes intérieur et extérieur. Il peut être un moyen de régler des conflits ou de favoriser la sensibilisation et la croissance personnelle.
Une formation en plein essor
Les candidats de l’UQAT s’inscrivent au programme aussi bien pour enrichissement personnel que pour développement professionnel, assure-t-elle. L’Association des Art-thérapeutes du Québec délivre un permis à ses membres, mais l’art-thérapie n’est pas validée par l’Ordre des psychologues du Québec. « La reconnaissance de l’art-thérapie, c’est notre bataille présentement », fait valoir Mme Heller.
Ses étudiantes – car les hommes sont peu nombreux – proviennent surtout des professions en relation d’aide – travailleuses sociales, psychologues, psychoéducatrices. Elle prévient sans ambages : rares sont les institutions à la recherche d’art-thérapeutes. Les étudiants sont surtout motivés par la pratique privée et par la plus-value que cette formation ajoutera à leur profil professionnel.
Depuis trois ans, la formation s’offre à Montréal pour la maîtrise ainsi que le microprogramme de 2e cycle et connaît un engouement sans précédent. « Nous avons même dû refuser des étudiants », illustre Mme Heller, convaincue que l’art-thérapie est une profession d’avenir vouée à se développer dans le cadre universitaire. D’ici un an et demi, la formation sise au centre de l’UQAT sur l’avenue du Président-Kennedy, à Montréal, devrait doubler ses espaces d’accueil en investissant les locaux de la formation « création et nouveaux médias », laquelle devrait être délocalisée.
Reste l’épineuse question du recrutement des professeurs en art-thérapie: la discipline étant relativement récente, rares sont les postulants diplômés d’un doctorat qui seraient habilités à enseigner. Pour cette formation en pleine croissance, le monde de l’art-thérapie est devenu un vivier de futurs praticiens, nous rappelant que la guérison se fabrique aussi parfois avec les outils les plus élémentaires : des couleurs, des formes et l’inspiration du moment.
Laisser un commentaire
Affaires universitaires fait la modération de tous les commentaires en appliquant les principes suivants. Lorsqu’ils sont approuvés, les commentaires sont généralement publiés dans un délai d’un jour ouvrable. Les commentaires particulièrement instructifs pourraient être publiés également dans une édition papier ou ailleurs.