Redéfinir la réussite et l’échec dans le milieu universitaire
Nous devons contribuer à changer le système de reconnaissance universitaire et sa culture axée sur la comparaison.
Mes échecs ont été plus fréquents que mes réussites, même si mon curriculum vitæ semble indiquer le contraire.
L’année dernière, le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) a refusé de m’accorder une bourse postdoctorale. Le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) a fait la même chose deux années de suite. Au début de 2020, je me posais de sérieuses questions sur ma valeur en tant que chercheuse.
Et puis, en l’espace de quelques mois, le programme Banting et le CRSH m’ont accordé une bourse postdoctorale, et j’ai obtenu un poste menant à la permanence à l’Université d’Ottawa. Inutile de dire que j’ai ajouté ces honneurs à mes profils publics.
À l’opposé, mes échecs demeurent inconnus du public, et même de la plupart de mes amis proches, parce que je ne partage que mes réussites.
Dans la culture universitaire, ce sont ces réussites qui nous définissent. Toute subvention ou publication refusée est synonyme d’échec. Officiellement, mes efforts semblent avoir été récompensés et presque tout semble me réussir.
Le milieu universitaire entretient un système de récompense toxique axé sur la comparaison, mais malheureusement, la réussite ne dépend pas seulement de nos efforts. C’est aussi une combinaison de privilèges, de conjoncture et de chance.
Une grande part de ma propre réussite peut être attribuée à la chance, même si ce n’est pas que cela. Mon but n’est pas de minimiser nos réalisations (et encore moins celles des femmes et des personnes racisées) ni de suggérer de travailler moins fort. Je cherche plutôt à relativiser la notion de réussite dans le milieu universitaire, à remettre en question la culture nocive qui y règne et à changer la façon d’évaluer les candidats à un emploi ou à une subvention.
Liste d’échecs
C’est avec tout cela en tête que j’ai suivi l’exemple de Melanie I. Stefan, une conférencière de l’école de science biomédicale à l’Université d’Édimbourg, en dressant la liste de mes échecs.
L’exercice m’a aidée à relativiser mes échecs et mes réussites dans ce monde impitoyable qu’est le milieu universitaire. Il m’a personnellement permis de jeter un nouveau regard sur mes propres réussites, mais aussi sur celles des autres, que je surestimais visiblement.
Je suis d’accord avec Johannes Haushofer, professeur de psychologie à Princeton, qui indique dans sa propre liste d’échecs que les universitaires « risquent de se juger responsables de leurs échecs sans penser au fait que le monde est stochastique, que la sélection d’une candidature se joue en un coup de dés, et que les comités de sélection et les examinateurs ont de mauvaises journées ». Les candidats aussi peuvent avoir quelques mauvais mois, ou même mal se vendre dans une demande. Cela ne signifie pas qu’ils ne font pas bien leur travail.
Mes échecs ne signifient pas que je ne mérite pas de subvention ou de poste menant à la permanence. Ils remettent plutôt mes réussites en contexte et me rappellent que bien des candidats rejetés mériteraient eux aussi du financement ou une nomination. Et aussi que les conseils du type « travaillez plus fort, vous réussirez l’an prochain », n’ont pas lieu d’être, car parfois, travailler fort ne suffit pas.
Privilèges, conjoncture et chance
Nous oublions souvent l’importance du rôle de nos privilèges dans nos réussites. Ils influent sur la faculté qui nous accepte aux cycles supérieurs, sur l’intensité de notre anxiété matérielle et psychologique, et sur le respect qui nous est témoigné.
Je suis immigrante de deuxième génération, d’ascendance indo-malgache. Mais comme j’ai presque l’air blanche, je n’ai jamais eu à démontrer ma valeur comme mes collègues à la peau noire ou brune. Je suis née au Canada et j’ai étudié à l’Université de Toronto. Ma citoyenneté me procure un avantage indu comparativement à mes cousins à Madagascar.
Même dans mes pires moments, lorsque je vivais avec les maigres 15 000 dollars de mon financement étudiant, je savais que, si j’en avais besoin, ma famille m’aiderait à payer mon loyer à la fin du mois. J’ai aussi toujours eu une bonne santé mentale. Même si le fait d’être une femme francophone non issue du milieu universitaire comporte son lot de défis, mes privilèges m’ont aidée à obtenir une bourse postdoctorale Banting et un poste menant à la permanence.
Et, heureux hasard, la conjoncture a voulu que les comités de sélection qui ont évalué mes demandes en 2020 s’intéressent à l’émancipation des femmes en Inde et à la décolonisation. À en croire la liste de mes échecs, ce n’était pas le cas en 2019.
Lorsque j’ai reçu la lettre de refus du FRQSC en 2020, ma première pensée a été que je n’étais pas assez talentueuse. Mais ensuite, j’ai obtenu une bourse Banting, ce qui m’a surprise. En comparant la liste de mes échecs avec celle de mes réussites, force est de constater que je ne méritais pas plus cette reconnaissance qu’avant. En fait, parfois j’obtiens les fonds ou l’emploi voulus, et parfois non. Et c’est parfois le cas pour un même projet de recherche.
Nous devons contribuer à changer le système de reconnaissance universitaire et sa culture axée sur la comparaison. C’est pourquoi nous devons parler (même sur les réseaux sociaux!) de nos échecs autant que de nos réussites.
Postes vedettes
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
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